La suspension de Donald Trump par Facebook n’est pas une question de liberté d’expression

Mercredi, Facebook a décidé de maintenir la suspension de l’utilisation de ses services par l’ancien président américain Donald Trump. Par ailleurs, jeudi, Twitter a suspendu un compte «faux-nez» de l’ancien président qui reprenait de courts messages de son site web personnel. Trump reste banni de Twitter.

Le président Donald Trump parle lors d’une conférence de presse [Source: AP Photo/Carolyn Kaster].

Le 6 janvier, Trump, alors président, a incité une foule à prendre d’assaut le Capitole américain, dans le but d’empêcher la certification de l’élection et d’organiser un coup d’État. Dans le cadre de cette opération, les loyalistes de Trump au sein de l’armée et de la police ont orchestré un retrait des forces fédérales à Washington DC. afin de faciliter l’attaque.

À 13h10, Trump a conclu un discours près de la Maison-Blanche en appelant ses partisans à marcher vers le Capitole afin de «reprendre notre pays». En moins de 40 minutes, les émeutiers ont pénétré à travers les portes et les fenêtres du Capitole.

Pendant les trois heures qui ont suivi, les émeutiers ont pillé le Capitole, tenté de trouver, d’enlever ou de tuer des législateurs et agressé des policiers. Mais ils ont échoué dans leurs efforts déclarés de «pendre Mike Pence», et le vice-président a réussi à s’échapper vers un endroit sûr, où il a fait une déclaration à 16h05 appelant Trump à «exiger la fin de ce siège».

Lorsqu’il est devenu clair que les insurgés n’avaient réussi à capturer aucun législateur, Trump a publié une déclaration réitérant son soutien aux émeutiers, mais leur demandant de se retirer du Capitole. Il a ensuite tweeté à 18h07, qualifiant les émeutiers de «grands patriotes qui ont été maltraités injustement pendant si longtemps.» Cette déclaration a été republiée sur son compte Facebook.

À 18h15, Facebook a supprimé le message de Trump et l’a bloqué de son service. À 19h02, Twitter a fait de même en suspendant le compte de Trump.

La suspension initiale de Trump de Facebook et Twitter a suscité l’opposition non seulement des partisans fascistes de Trump, mais aussi de journalistes libertariens, dont John Pilger, Glenn Greenwald, Chris Hedges et Joe Lauria de Consortium News.

Ces journalistes ont associé leur opposition à la suppression du compte Twitter de Trump à des efforts pour minimiser – parfois au point de justifier – les actions de Trump. Ils ont délibérément minimisé et rejeté, face à des preuves accablantes, l’importance de ce qui s’est passé le 6 janvier.

En réponse à la réaffirmation par Facebook de la suspension antérieure de Trump, le journaliste Glenn Greenwald a commenté mercredi: «Le fait que Facebook ait des tribunaux qui décident qui peut et ne peut pas être entendu sur des plateformes d’expression monopolistiques est tyrannique. Nous vous rappelons que les dirigeants du monde entier – dont beaucoup n’aiment pas Trump – ont condamné la suppression de Trump par Facebook.»

Réagissant aux actions de Twitter, le World Socialist Web Site a écrit le 16 janvier:

Une analyse de classe, éclairée par le marxisme et l’expérience historique du mouvement socialiste international, expliquerait que l’action de Twitter reflète une crise aiguë au sein de l’État bourgeois, dont la fraction semi-constitutionnelle, compromise par ses reniements et menacée de renversement violent, a cherché à empêcher Trump de mobiliser ses partisans fascistes. Pourquoi les opposants de gauche à la tentative de coup d’État devraient-ils s’opposer à la perturbation des communications de Trump? En fait, si Twitter n’avait pas pris cette mesure, les socialistes interpréteraient à juste titre sa «neutralité» comme une complicité ouverte avec les conspirateurs.

Dans le cadre de leurs propres efforts indépendants pour mobiliser l’opposition ouvrière à la conspiration de Trump, les socialistes exhorteraient les travailleurs de Twitter et d’autres employés de l’industrie technologique à lui couper l’accès aux réseaux sociaux et à perturber ceux de ses partisans armés. En fait, de nombreuses demandes dans ce sens ont été formulées par les travailleurs de Twitter eux-mêmes, ce qui a été un facteur important dans la décision de Twitter de fermer le compte de Trump. Un article paru dans Vanity Fair observe que «Twitter aurait pu avoir sa propre insurrection s’il n’avait pas largué Trump.» Hedges considère-t-il que ces demandes des travailleurs constituent une violation inadmissible de la liberté d’expression?

Le WSWS n’est pas indifférent aux conséquences d’un renversement fasciste du gouvernement américain. Le danger posé par la «Big Tech» et le Parti démocrate ne sera pas résolu en acceptant passivement, sous couvert de la défense inconditionnelle de la liberté d’expression, l’établissement d’un régime autoritaire dirigé par Trump, soutenu par des groupes fascistes. Notre slogan au milieu d’une attaque fasciste contre le Congrès n’est pas: «Ne touchez pas à Hitler! La liberté d’expression pour Trump!»

Rien de ce qui est apparu au cours des mois suivants ne nécessite de modifier cette analyse. Trump continue de prétendre faussement avoir gagné l’élection de 2020 et continue de mobiliser les extrémistes de droite violents. Il réaliserait, s’il en avait les moyens, un autre coup d’État violent demain.

Les reportages ultérieurs n’ont fait que démontrer le degré de planification et d’organisation des insurgés – qui disposaient de caches d’armes hors site, prêtes à être déployées si leur complot réussissait. Des documents internes de l’armée et de la police du Capitole témoignent de l’ampleur de l’immobilisme militaire et policier qui a permis aux insurgés de pénétrer dans le Capitole.

La suspension de Trump de Facebook n’est pas une question de liberté d’expression. Ses comptes des médias sociaux ont été suspendus alors qu’il tentait de renverser une élection présidentielle et d’imposer sa dictature.

Au moment des faits, Trump n’était pas un simple citoyen, mais le commandant en chef de l’armée américaine, utilisant les vastes pouvoirs de la présidence dans le but de détruire les droits démocratiques aux États-Unis. Malgré l’échec du coup d’État de Trump, il reste le chef effectif du Parti républicain, capable de mobiliser le vaste appareil de l’une des plus anciennes machines politiques du monde.

La décision de Facebook et Twitter de fermer les comptes des médias sociaux de Trump a eu lieu dans le contexte d’une lutte acharnée au sein de la classe dirigeante entre ses factions pseudo-démocratiques et ouvertement fascistes. Il y avait certainement un élément d’instinct de survie en jeu: les dirigeants des médias sociaux, comme les opposants de Trump au sein du Parti démocrate, pouvaient s’attendre à voir une cellule de prison si Trump avait réussi à se faire dictateur.

La classe ouvrière et sa direction socialiste ne sont pas partie prenante de la lutte des factions au sein de l’État capitaliste. Nous n’avons jamais exigé que les sociétés privées coupent les communications de Trump, et nous n’avons jamais promu l’illusion que la suspension de Trump de ces services allait stopper la menace du fascisme.

Mais ce n’est pas la tâche du mouvement marxiste d’exiger que Trump ait un accès sans entrave à Twitter et Facebook. Les marxistes n’exigent pas positivement que la liberté d’expression soit accordée aux fascistes, ou qu’aucune mesure ne soit prise, par crainte d’empiéter sur la liberté d’expression des conspirateurs fascistes, pour contrer la communication sans entrave entre le chef d’un coup d’État de droite et ses partisans.

Parmi les journalistes qui demandent le rétablissement des comptes des médias sociaux de Trump, il y a plus à l’œuvre que de l’embrouille libertarienne: il y a certainement un élément d’adaptation lâche à l’extrême droite.

Contrairement à ces journalistes désarçonnés, l’opposition du WSWS à la droite fasciste est inébranlable. En nous appuyant sur les leçons de l’histoire, nous savons que les forces fascistes mobilisées derrière Trump constituent une menace existentielle pour la classe ouvrière et sa direction socialiste.

Les appels à l’appareil répressif de l’État ou aux sociétés ne protégeront pas la démocratie aux États-Unis ou ailleurs. La lutte contre le fascisme ne peut être gagnée que dans la mesure où elle mobilise la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme. La demande que les fascistes violents qui complotent ouvertement pour instaurer une dictature bénéficient d’un accès sans entrave aux communications ne joue aucun rôle dans la construction d’un tel mouvement.

Le fait est que la censure des médias sociaux cible en grande majorité la gauche, et non la droite. L’année dernière, le PDG de Google, Sundar Pichai, a admis que l’entreprise censurait le World Socialist Web Site, et le WSWS demeure enterré dans les résultats de recherche pour «socialisme», «socialiste», «trotskisme» et «lutte des classes», alors qu’il est universellement reconnu comme la source la plus fiable sur ces questions.

Pendant des mois, Facebook a bloqué le partage d’un article du WSWS s’opposant à la théorie conspirationniste selon laquelle la COVID-19 était une arme biologique fabriquée en Chine, et quiconque a tenté de partager l’article a été averti ou suspendu. Les principaux membres du comité éditorial du World Socialist Web Site, dont le rédacteur en chef américain Niles Niemuth, ont été suspendus de Facebook sans aucune raison.

Greenwald et ses copenseurs, tout en condamnant la prétendue violation par Facebook de la liberté d’expression de Trump, n’ont fait aucune mention de la censure en cours du World Socialist Web Site. En fait, en novembre, Chris Hedges a carrément refusé, en réponse à un appel du président du comité éditorial international du WSWS, David North, de faire une déclaration pour s’opposer à la suspension du compte Twitter des Étudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale (IYSSE), affirmant qu’il était trop occupé.

Le World Socialist Web Site a des personnalités bien plus importantes à défendre que l’aspirant dictateur fasciste Donald Trump. Nous continuerons à dénoncer la censure des sites web et des organisations de gauche, antiguerre et socialistes. Et nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faire connaître le sort des journalistes emprisonnés, comme Julian Assange, des travailleurs et des scientifiques persécutés comme Rebekah Jones qui sont attaqués parce qu’ils s’opposent aux politiques homicides des gouvernements capitalistes.

(Article paru en anglais le 8 mai 2021)

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