Perspective

Il faut mettre fin à la guerre américaine en Afghanistan

Suite à l’horrible attentat à la bombe perpétré samedi devant une école de Kaboul, on a assisté à une escalade significative de la campagne menée par les dirigeants américains en faveur d’une poursuite de la guerre meurtrière menée depuis deux décennies en Afghanistan.

Un attentat massif à la voiture piégée, suivi de deux autres explosions, a fait 85 morts et près de 200 blessés dans un quartier pauvre de l’ouest de Kaboul, à majorité hazara, une minorité chiite. La majorité des victimes étaient des écolières âgées de 13 à 18 ans.

Des Marines américains se préparent à monter à bord d’hélicoptères sur la base opérationnelle avancée de Dwyer, en Afghanistan, le 2 juillet 2009. (Photo de l’adjudant-chef 3 Philippe E. Chasse)

Le Washington Post et le Wall Street Journal ont tous deux publié mardi des éditoriaux s’emparant de cette atrocité pour attaquer l’annonce faite le mois dernier par le président américain Joe Biden que toutes les troupes américaines se retireraient d’Afghanistan d’ici le 11 septembre. La date choisie est le 20e anniversaire des attentats de New York et Washington DC qui ont servi de prétexte à l’invasion américaine de l’Afghanistan le 7 octobre 2001.

Intitulé «L'avenir du terrorisme en Afghanistan», l’éditorial du Wall Street Journal déclare: «Le retrait des États-Unis d’Afghanistan porte atteinte aux intérêts de la sécurité américaine, mais le désastre humanitaire est peut-être plus immédiat. L’attaque d’une école à Kaboul ce week-end en est un avant-goût probable.» Il conclut: «Une présence américaine ne peut pas déjouer toutes les attaques horribles, mais partir signifie accepter qu’on en voie davantage».

Sous un titre très similaire («Un aperçu sinistre»), le Washingon Post écrit: «L’horrible attentat à la bombe contre une école de filles à Kaboul samedi, était un sinistre présage de la catastrophe que l’Afghanistan – et en particulier ses femmes – pourrait subir avec le retrait des forces américaines et d’autres forces internationales.» Le journal se demande «pourquoi les États-Unis ne se contentent pas de maintenir leur empreinte relativement faible en Afghanistan, qui, ces dernières années, a consommé moins de 10 pour cent du budget du Pentagone et a coûté peu de pertes américaines».

Dans le contexte des divisions acerbes au sein de l’État américain sur le retrait d’Afghanistan, l’attentat à la bombe à Kaboul revêt un caractère particulièrement sinistre.

Alors que le gouvernement fantoche pro-américain de Kaboul et les médias américains ont cherché à rejeter la responsabilité de cette tuerie sur les talibans, ces derniers ont condamné l’attentat et ont généralement cherché à ne pas provoquer Washington avant le retrait promis. Pour l’instant, personne n’a revendiqué la responsabilité de l’attentat.

Du point de vue de savoir à qui profitent ces meurtres, il y a tout lieu de se demander si des éléments de l’appareil militaire et de renseignement américain ou des milieux dirigeants afghans dont le sort dépend directement de la poursuite de l’occupation américaine, ont joué un rôle dans l’attentat. Tant par son timing que par sa cible, l’attentat était taillé sur mesure pour soutenir le narratif bidon prôné par les opposants au retrait, selon lequel sans les troupes américaines les «acquis des 20 dernières années» et en particulier «les droits des femmes et des filles» seraient détruits.

Cette propagande cynique entre dans la catégorie des «gros mensonges». Elle présente l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan par les États-Unis non seulement comme une croisade contre le terrorisme, mais encore comme un exercice d’intervention «humanitaire» visant à promouvoir la démocratie et l’égalité des sexes.

Ce que cache ce gros mensonge, c’est que la rencontre tragique de l’Afghanistan avec l’impérialisme américain n’a pas commencé en 2001, mais plus de deux décennies avant. La CIA, en collaboration avec l’Arabie saoudite et le Pakistan, avait alors recruté des combattants islamistes dans tout le monde musulman pour une guerre par procuration contre les forces soviétiques, qui soutenaient un gouvernement laïc à Kaboul. Parmi les collaborateurs de la CIA figurait en bonne place Oussama ben Laden, qui a fondé Al-Qaïda avec son aide.

Les talibans eux-mêmes sont le produit du chaos et de la destruction engendrés par cette guerre de dix ans, qui a coûté la vie à pas moins de deux millions d’Afghans. Ils furent Initialement soutenus par Washington comme la force la plus capable de rétablir l’ordre dans le pays, et avec laquelle l’impérialisme américain pouvait «faire des affaires» sur les pipelines et d’autres intérêts.

Quels sont les «gains» supposés de deux décennies de bombardements et de massacres américains? Selon une estimation prudente, 175.000 Afghans ont perdu la vie, mais le bilan réel, y compris les décès indirectement causés par la guerre, est probablement plus proche du million. Selon l’indice de développement humain des Nations unies, l’Afghanistan occupe le 169e rang, derrière la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. La grande majorité de la population, hommes et femmes confondus, vit dans des conditions de pauvreté et d’oppression extrêmes. Et cela, après que Washington ait dépensé 143 milliards de dollars pour la «reconstruction» de l’Afghanistan, enrichissant ainsi une étroite strate de politiciens et de seigneurs de guerre corrompus.

Si le gouvernement Biden tiendra sa promesse de retrait le 11 septembre reste à voir. Il faut rappeler que Donald Trump avait annoncé un retrait complet de Syrie en 2019. Face à une tempête d’opposition du complexe militaire et du renseignement, il a fait marche arrière, affirmant qu’il ne laissait des troupes que pour «garder le pétrole». Si Biden est confronté à un retour de flamme similaire, il dira sans aucun doute qu’il ne laisse les troupes que pour «sauver les femmes».

Les divisions qui sous-tendent le retrait d’Afghanistan ne sont dues ni à des préoccupations liées au terrorisme, ni, a fortiori, aux droits des femmes. Ce qui est en jeu, ce sont les intérêts géostratégiques d’un pays qui a fourni à l’impérialisme américain une tête de pont dans une Asie centrale riche en énergie, et une rampe de lancement potentielle pour des guerres contre la Chine, l’Iran ou la Russie.

Un discours de 2018 du colonel de l’armée américaine à la retraite Lawrence Wilkerson, chef de cabinet du secrétaire d’État au moment de l’invasion américaine, Colin Powell, donne un aperçu des véritables raisons de l’intervention américaine en Afghanistan.

Wilkerson déclara que l’un des objectifs était de déployer une «puissance dure» à distance de frappe de l’initiative chinoise de «Nouvelle route de la soie», qui traverse l’Asie centrale. Parlant de l’étroite frontière de l’Afghanistan avec la province occidentale du Xinjiang, il a déclaré qu’elle fournirait à la CIA une base d’opérations «pour fomenter des troubles» parmi la population ouïgoure, majoritairement musulmane, et pour «déstabiliser la Chine». Il fit remarquer la participation de milliers d’Ouïghours aux forces d’Al-Qaïda ayant servi de troupes terrestres mandatées par la CIA dans la guerre de changement de régime en Syrie.

Le Pentagone se prépare à un retrait d’Afghanistan tout en cherchant de nouvelles bases qui serviront les mêmes objectifs. L’ancien envoyé américain en Afghanistan, Zalmay Khalilzad, fut envoyé dans les anciennes républiques soviétiques d’Ouzbékistan et Tadjikistan, qui bordent l’Afghanistan et offrent une proximité similaire avec la Chine, l’Iran et la Russie. Washington fait également pression sur le Pakistan pour qu’il fournisse une base aérienne.

Les hauts gradés parlent de maintenir «à l’horizon» des forces pouvant poursuivre indéfiniment la guerre en Afghanistan par des bombardement, des frappes de drones et des opérations au sol, si nécessaire. En attendant il est loin d’être clair que tous les moyens militaires américains, sans parler de la CIA, seront retirés d’Afghanistan. Si, officiellement, environ 3.300 membres des forces armées américaines sont déployés dans le pays, il y en a trois à quatre fois plus sous forme de «contractants» américains, y compris ceux directement impliqués dans les opérations de «contre-terrorisme».

En attendant, aucune troupe n’ayant apparemment encore quitté le pays ravagé par la guerre, le Pentagone a déployé des bombardiers B-52, des avions de chasse F-18 et un groupe d’attaque de porte-avions dans la région, soi-disant pour couvrir le retrait prévu.

Washington n’a pas l’intention de mettre fin à la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis; au mieux, il ne prévoit que de la poursuivre par d’autres moyens. De plus, sa stratégie en Afghanistan est inextricablement liée à la stratégie de conflit entre «grandes puissances» décrites dans les documents de sécurité nationale américains, c’est-à-dire les préparatifs d’une guerre mondiale contre les puissances nucléaires Chine et Russie.

La campagne de propagande qui vise à justifier la poursuite de la guerre en Afghanistan au nom des «droits de l’homme» et des «droits des femmes» va de pair avec les mensonges diffusés par Washington et ses alliés sur le «génocide» chinois contre les Ouïgours. La résurgence de l’impérialisme des «droits de l’homme» sous la direction de Biden ouvre la voie à une conflagration mondiale.

La seule façon de mettre fin à la guerre de 20 ans en Afghanistan et d’empêcher l’éruption de nouvelles guerres encore plus catastrophiques est la mobilisation de la classe ouvrière en Asie, au Moyen-Orient et à l’international, dont les luttes croissantes doivent être unies à celles des travailleurs aux États-Unis, en Europe et ailleurs, dans un mouvement socialiste anti-guerre. Sans l’intervention révolutionnaire de la classe ouvrière, la menace d’une troisième guerre mondiale ne fera que s’intensifier.

(Article paru d’abord en anglais le 12 mai 2021)

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