Le gouvernement conservateur de Boris Johnson a exposé son programme autoritaire dans le discours prononcé par la reine mardi. Il comprend des attaques contre le droit de manifester et de voter, contre la liberté d'expression, le droit d'asile, et le contrôle judiciaire du gouvernement et des forces armées.
Le discours annonçait encore des plans pour accélérer la privatisation du Service national de santé et réduire les charges payées par les employeurs opérant dans les zones franches nouvellement créés.
Des 30 lois proposées, la plus importante est le projet de loi sur la police, la criminalité, les tribunaux et sentences, qui a eu sa deuxième lecture parlementaire et devrait être adoptée plus tard cette année. Le projet de loi sur la police impose des restrictions draconiennes aux manifestations et menace les manifestants de lourdes amendes et de longues peines de prison.
Cette législation poursuit l'assaut contre le droit de manifester sur les campus universitaires, aidant les forces de droite à renforcer leur position. Un projet de loi sur l'enseignement supérieur (Liberté d'expression) imposera aux universités anglaises et aux syndicats étudiants de garantir la «liberté d'expression» du personnel et des conférenciers invités. Les personnes qui prétendent que leurs libertés ont été violées pourront demander réparation devant les tribunaux. Un «directeur de la liberté d'expression et de la liberté universitaire» se verra confier le pouvoir de mener des enquêtes et d'imposer des sanctions par le biais du régulateur de l'Office des étudiants.
Ces mesures visent à réprimer les critiques et les protestations populaires contre les idéologues réactionnaires et les provocateurs – tels que les représentants du lobby sioniste et les personnalités d'extrême droite.
Le droit de vote au Royaume-Uni seront sévèrement limités par le projet de loi sur l'intégrité électorale rendant obligatoire une pièce d'identité avec photo pour voter aux élections. Cette décision privera des pans des communautés ouvrières du vote, en particulier les minorités ethniques. Environ 11 millions d'électeurs, soit 24 pour cent de l'électorat, ne possèdent pas le passeport ou le permis de conduire avec photo qui sera nécessaire pour voter. Plus de 20 associations caritatives et groupes de la société civile se sont opposés à ces plans qui, selon eux, «auront un impact disproportionné sur les groupes les plus marginalisés de la société».
Il est probable que ce changement servira plus tard à plaider en faveur de l'introduction d'une carte d'identité nationale, qui a toujours rencontré une opposition farouche.
Un projet de loi sur la sécurité en ligne, annoncé en décembre dernier, autorisera le régulateur Ofcom à infliger des amendes allant jusqu'à 18 millions de livres ou 10 pour cent du chiffre d'affaires mondial aux entreprises de réseaux sociaux qui ne réglementent pas selon les directives du gouvernement les «préjudices» en ligne. Cela inclut la «désinformation et la mauvaise information » et donne à l'État le pouvoir de décider de ce qui est un discours légitime et de ce qui est de la désinformation «préjudiciable».
Les changements fondamentaux apportés aux lois britanniques sur l'asile visent à saper les droits démocratiques établis en réponse aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale et de l'Holocauste.
En vertu du Nouveau plan d'immigration, ceux qui n'entrent pas dans le pays par «voie légitime», c'est-à-dire par des régimes gouvernementaux extrêmement restrictifs, ne seront pas automatiquement pris en charge par le système d'asile. Le gouvernement visera à les expulser s’il considère qu’ils ont traversé un «pays sûr». Même ceux qui ont obtenu l'asile après être entrés «illégalement» n'auront droit qu'à un «statut de protection temporaire», ce qui signifie qu'ils seront systématiquement visés pour être expulsés du Royaume-Uni, verront leurs droits au regroupement familial limités et n'auront pas accès aux prestations sociales à moins d'être dans la misère.
Cette loi redéfinit les critères d'asile, exigeant une «crainte bien fondée de persécution» pour bloquer ainsi les demandes «non fondées». Les demandeurs d'asile n'auront qu'une seule occasion de présenter leur dossier avant l'appel et les avocats se verront imposer des amendes pour avoir intenté une action «sans valeur».
Les peines de prison seront augmentées pour les migrants jugés «illégaux» et pour les expulsés qui retournent au Royaume-Uni; dans ce dernier cas, de six mois à cinq ans. La peine maximale pour le trafic d’êtres humains passera de 14 ans à la perpétuité. Le gouvernement qualifie déjà tout migrant – et l’emprisonne sur cette base – qui ne fait que toucher la barre d’un bateau durant le périlleux voyage à travers la Manche, de «trafiquant d’êtres humains».
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a exprimé sa «grave préoccupation» au sujet de ces propositions qui, selon lui, «endommageront des vies» par des conséquences «réelles et néfastes».
Le discours de la reine a présenté des plans pour un projet de loi sur le contrôle judiciaire des actes du gouvernement. Le Barreau l’a déjà commenté: «les propositions les plus controversées permettraient aux actes illégaux du gouvernement ou d'organismes publics de ne pas être touchés ou d’être intouchables [...] L'effet des propositions serait une distorsion fondamentale de la protection que le contrôle judiciaire est censé offrir contre l'action de l'État, qui porte atteinte à l’état de droit et restreint l’accès à la justice ».
Dans un futur projet de loi sur l'Irlande du Nord, le gouvernement a l'intention de restreindre ou d'arrêter les poursuites contre les soldats britanniques pour des crimes commis pendant trois décennies de «Troubles», renforçant ainsi les protections accordées par la loi (article en anglais) sur les Opérations d’outremer aux soldats britanniques ayant servi dans d'autres opérations à l’étranger.
Le gouvernement a annoncé son intention de promulguer le Livre blanc de février donnant aux ministres un contrôle plus direct du Service national de la santé afin d’accélérer la privatisation.
Faisant des promesses creuses d’«amélioration» du pays grâce à une «révolution des compétences», la reine a indiqué que les employeurs menant des activités dans huit zones franches nouvellement créées – établies par les conservateurs dans le cadre de leur plan d’une économie post-Brexit compétitive au plan mondial – paieront moins de charges sociales pour les nouvelles embauches.
La batterie de lois antidémocratiques prévue par le gouvernement conservateur indique l’agenda de guerre de classe brutale qu'il entend mener. Johnson s’apprête à réprimer la résistance croissante de la classe ouvrière face à la levée des protections en place pendant la pandémie et dans des conditions d'immense crise sociale et d'assaut agressif sur les emplois, les salaires et les conditions de travail. Le discours a ainsi promis que «les finances publiques retrouveront une trajectoire durable une fois que la reprise économique sera assurée».
Une fois de plus, le Parti travailliste n’a offert aucune opposition. Le chef du Labour Sir Keir Starmer a ouvert le débat sur le discours de la reine en accusant les conservateurs de « gâcher » une chance de «résoudre la crise de la protection sociale, assainir notre politique, nettoyer le gâchis de la dernière décennie ». Il a totalement évité, ou presque, de commenter le programme autoritaire du gouvernement, n'offrant que la critique la plus légère du projet de loi sur le contrôle judiciaire et de celui sur la réforme électorale, car ceci «réduirait la participation aux élections et affaiblirait la démocratie».
Auparavant, la secrétaire fantôme des Affaires étrangères, Lisa Nandy, a combiné des critiques symboliques sur les plans d'identification des électeurs à un soutien à la campagne guerrière alléguant une «ingérence de la Russie» dans les élections: «Cela fait 18 mois que le premier ministre a reçu un rapport disant que la Russie en particulier interférait avec notre démocratie…
« Donc, ce que je chercherai dans le discours de la reine d'aujourd'hui, ce n’est pas plus de mesures pour rendre plus difficile aux Britanniques de voter mais plus d'action pour garantir que nous ne permettions pas à d'autres pays d'interférer avec notre démocratie. »
Starmer a promis de «travailler de manière constructive» avec le gouvernement, cette fois sur un projet de loi sur les menaces contre l'État, affirmant que «l'action contre l'ingérence de la Russie et d’États hostiles est attendue depuis longtemps».
La seule critique des travaillistes sur les plans de zones franches est que les employeurs pourraient ne pas pouvoir profiter pleinement des allégements fiscaux offerts par ces zones grâce aux termes de certains accords commerciaux post-Brexit signés par le gouvernement conservateur. Les accords signés par la Grande-Bretagne avec 23 pays interdisent aux fabricants britanniques opérant dans les zones franches de bénéficier des conditions favorables convenues dans l'accord commercial. La secrétaire au Commerce fantôme du Labour, Emily Thornberry, a déclaré dimanche au Parlement qu'elle avait exhorté son homologue conservatrice Liz Truss « à retourner immédiatement à la table des négociations avec ces 23 pays et à faire supprimer ces clauses avant que les zones franches britanniques n'entrent en vigueur plus tard cette année ».
(Article paru en anglais le 12 mai 2021)