Un rapport documente le rôle désastreux du gouvernement de l’Ontario dans le ravage causé par la pandémie dans les foyers de soins de longue durée

La Commission d’enquête sur la COVID-19 dans les foyers de soins de longue durée de l’Ontario a soumis son rapport final au gouvernement progressiste-conservateur de droite de la province à la fin du mois dernier. Ses conclusions constituent une condamnation convaincante de l’échec du gouvernement conservateur dirigé par Doug Ford à protéger les dizaines de milliers de résidents âgés des foyers de soins de la province pendant la pandémie de COVID-19. Lors de la première et de la deuxième vague de la pandémie au Canada, le secteur des soins de longue durée de l’Ontario, chroniquement sous-financé et axé sur le profit, a été le théâtre d’un très grand nombre d’infections et de décès.

Un membre des Forces armées canadiennes travaillant dans une maison de retraite au Québec (ministère de la Défense du Canada).

Le gouvernement a mis sur pied la commission, présidée par le juge en chef adjoint Frank N. Marrocco, l’été dernier, en raison de l’indignation du public face aux ravages causés par la pandémie dans les maisons de retraite et autres établissements de soins de longue durée lors de la première vague. À la fin de mai 2020, soit trois mois seulement après le début de la pandémie, 1587 résidents d’établissements de soins de longue durée de l’Ontario étaient décédés après avoir contracté le virus, soit environ 75% de tous les décès liés à la pandémie survenus dans la province à ce moment.

Un an plus tard, près de 4000 résidents de foyers de soins de longue durée en Ontario sont morts du virus, ainsi que 11 membres du personnel. À l’échelle du Canada, près de 15.000 résidents de foyers de soins de longue durée et de maisons de retraite ont succombé à la COVID-19. Selon un rapport publié en mars par l’Institut canadien d’information sur la santé, les foyers de soins de longue durée du Canada présentent le pire bilan de décès dus à la COVID-19 parmi les pays riches.

La commission indépendante a été chargée d’enquêter sur les raisons pour lesquelles la COVID-19 s’est propagée de façon si agressive dans les foyers de soins, si les mesures prises par le gouvernement Ford étaient adéquates et si les racines de la dévastation se trouvaient dans les conditions des établissements avant le début de la pandémie. Pendant neuf mois, les commissaires ont interrogé plus de 700 membres des familles, résidents et employés d’établissements de soins de longue durée. Le rapport reconnaît que les personnes interrogées «ont fourni une histoire orale de première main sur la solitude, l’angoisse et la peur qui, pour elles, ont marqué à jamais cette période de l’histoire de l’Ontario.» Il ajoute: «Les commissaires ont été marqués de façon indélébile par ce que nous avons entendu.»

À la suite de l’impact mortel de la première vague, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a juré que la province construirait un «anneau de fer» autour des foyers de soins de longue durée pour protéger les résidents et le personnel d’autres catastrophes. Les conclusions de la commission démontrent que la promesse du premier ministre n’était qu’une imposture vide de sens et que l’inaction du gouvernement a fait en sorte que la deuxième vague a eu un impact encore plus mortel que la première sur les résidents des foyers de soins de longue durée.

Lorsque la pandémie a déferlé au printemps 2020, le personnel mal payé, mal formé et employé de façon précaire a été largement laissé à lui-même dans des établissements qui ne disposaient même pas des équipements de protection individuelle et de prévention des infections les plus élémentaires, en raison de décennies d’austérité et de privatisation. La volonté de réduction des coûts des fournisseurs de soins de longue durée et les salaires de misère qu’ils versent ont obligé le personnel à continuer à travailler sur plusieurs sites, propageant ainsi le virus dans tout le système. La situation était si catastrophique à la fin avril et en mai 2020 que l’armée canadienne a été appelée à fournir un soutien d’urgence dans plusieurs foyers, où elle a découvert des conditions de vie épouvantables. (Voir: L’Ontario prend le contrôle de cinq maisons de retraite après que l’armée ait mis en évidence une négligence systématique – Article en anglais).

Le rapport conclut que la province a non seulement oublié les leçons tirées de l’épidémie de SRAS de 2003, qui a révélé il y a près de vingt ans à quel point les systèmes d’urgence et de santé du pays étaient mal préparés, tant au niveau national que provincial, pour faire face à la propagation d’un virus mortel. Le gouvernement Ford n’a même pas réussi à mettre en œuvre des changements après que la première vague de COVID-19 au Canada ait causé tant de tragédie dans le secteur des soins de longue durée.

Dès avril 2020, un groupe de médecins a averti le gouvernement ontarien que des mesures de prévention et de contrôle des infections (IPAC) devaient être immédiatement mises en œuvre dans les foyers de soins de longue durée. Des appels ont été lancés pour que des spécialistes IPAC soient embauchés dans ces établissements, à raison d’un spécialiste à temps plein pour 200 lits, et d’un pour 250 lits dans les maisons de retraite. Il s’agit de ce que l’on appelle un «modèle en étoile», et les travailleurs des établissements dans lesquels il aurait été mis en œuvre auraient été formés et supervisés par des médecins spécialisés des hôpitaux locaux.

Les experts en maladies infectieuses qui ont imploré le gouvernement de mettre en place ces mesures ont estimé que la proposition ne coûterait que 5,5 à 7,2 millions de dollars par an. Pourtant, malgré les appels pressants à une action rapide, pratiquement rien n’a été fait. Les lettres de financement n’ont commencé à arriver pour ces mesures qu’en janvier 2021, soit neuf mois après que la proposition ait été faite. Ce n’est qu’en novembre 2020 que le ministère des Soins de longue durée a commencé à formuler des recommandations pour les foyers de soins s’apparentant au modèle en étoile.

Les commissaires ont également conclu que les problèmes qui se sont «envenimés» dans le secteur pendant des décennies ont sans aucun doute contribué à la perte de milliers de vies parmi les citoyens les plus vulnérables de l’Ontario. Le sous-financement chronique, les graves pénuries de personnel, les infrastructures désuètes et la mauvaise surveillance existaient tous dans le secteur bien avant le début de la pandémie. En effet, l’attaque contre les soins de longue durée qui a mené à la catastrophe de la COVID-19 a commencé il y a trente ans, lorsque le gouvernement du Nouveau Parti démocratique de Bob Rae a commencé à privatiser les foyers dans le cadre de son attaque contre les services publics. Ce mouvement a été massivement accéléré par le gouvernement conservateur de droite de Mike Harris, et s’est poursuivi sous les gouvernements libéraux de Dalton McGuinty et Kathleen Wynne, soutenus par les syndicats. En d’autres termes, l’ensemble de l’establishment politique a du sang sur les mains.

Les commissaires ont reproché au médecin en chef de l’Ontario, le Dr David Williams, d’avoir initialement ignoré les innombrables avertissements des scientifiques et des responsables de la santé selon lesquels des porteurs asymptomatiques pouvaient propager le virus et qu’il y avait une transmission communautaire, et d’avoir découragé le port du masque.

Les conclusions de la commission sont d’autant plus accablantes que le gouvernement Ford a trié sur le volet ses membres. Outre le juge Marrocco, ils comprenaient des personnalités de l’establishment comme Angela Coke, ancienne cadre supérieure de la fonction publique de l’Ontario, et le Dr Jack Kitts, ancien président-directeur général de l’Hôpital d’Ottawa.

La ministre ontarienne des Soins de longue durée, Merrilee Fullerton, dont la réponse désastreuse à la pandémie est décrite en détail dans le rapport, a tenté de rejeter le blâme sur les gouvernements précédents et sur le caractère mortel du virus lorsqu’elle a été interrogée sur les conclusions de la commission lors d’une conférence de presse le 3 mai. Lorsqu’on lui a demandé si le gouvernement provincial allait présenter des excuses pour les milliers de morts et les souffrances incommensurables, Fullerton a répondu: «Je pense que collectivement, en tant que société, nous devons faire un examen de conscience.»

Soulignant où se situent les intérêts des conservateurs et qui ils veulent protéger, le gouvernement de l’Ontario a adopté à la fin de l’année dernière une loi (projet de loi 218) qui protège les foyers de soins de longue durée, y compris ceux qui appartiennent à des sociétés géantes à but lucratif, contre les poursuites civiles découlant de leur mauvaise gestion de la pandémie.

Les résultats de la commission font écho à des conclusions similaires tirées d’un rapport sur l’état de préparation et l’intervention en cas de pandémie dans le secteur des soins de longue durée, publié le 28 avril par la vérificatrice générale de l’Ontario, Bonnie Lysyk. Le rapport de Lysyk mettait en lumière les principaux problèmes du secteur des soins de longue durée, à savoir les résidents vivant dans des chambres de trois ou quatre personnes, le manque de formation du personnel pour fournir des soins appropriés, le manque d’uniformité dans la pratique de la prévention et du contrôle des infections, même avant la pandémie, et une «pratique de mise en œuvre problématique.»

L’une des principales raisons de l’absence d’application de la loi est la décision scandaleuse prise par le gouvernement Ford à l’automne 2018 de mettre fin aux inspections proactives et complètes des foyers de soins de longue durée. Un ancien inspecteur provincial des foyers de soins de l’Ontario a récemment parlé de façon anonyme à Global News du manque d’application de la loi. L’inspecteur a décrit une grave pénurie d’inspecteurs et une incapacité pour eux d’imposer des amendes, ce qui signifie que lorsque les foyers de soins ne respectent pas les normes, ils n’ont aucune contrainte financière ou autre pour corriger leurs problèmes de non-conformité.

Le cas d’un foyer de soins de Scarborough, en Ontario, dans lequel 81 résidents sont décédés à la suite d’une éclosion en décembre, en est un excellent exemple. Deux inspecteurs avaient visité la maison de retraite de 254 lits à dix reprises entre le 7 et le 20 janvier 2020, et avaient émis 13 avis écrits. Les inspecteurs avaient été appelés au foyer à la suite de nombreuses plaintes allant de problèmes de nutrition et d’hydratation et de manque de personnel à des blessures inexpliquées.

Une enquête menée par Global News pendant des mois a également permis de mettre en lumière des documents qui révèlent que le gouvernement Ford a été averti à plusieurs reprises des risques dans les foyers de soins de longue durée, mais qu’il a ignoré les appels des scientifiques, des médecins et des défenseurs des personnes âgées qui demandaient que des mesures soient prises pour éviter qu’une deuxième vague ne fasse des ravages parmi leurs résidents. Les documents comprennent une lettre des responsables de la prévention et du contrôle des infections dans les hôpitaux de la région de Toronto, datée du 20 avril 2020, avertissant du besoin urgent de former et d’embaucher davantage d’experts en prévention des infections, et une liste des «leçons apprises» du ministère des Soins de longue durée, datée du 15 juillet 2020, qui indique que la province savait qu’elle avait besoin de «milliers» de préposés aux soins personnels supplémentaires.

Un autre document, daté du 24 juillet 2020, était un examen de Santé Ontario intitulé «Insights and Recommendations for Long-Term Care» (Aperçu et recommandations pour les soins de longue durée), qui avertissait que «[les soins de longue durée] et la santé publique manquent considérablement de ressources pour répondre aux normes de l’IAPC afin de protéger les besoins fondamentaux des résidents.»

Malgré la quantité écrasante de preuves suggérant que des changements majeurs doivent être mis en place immédiatement dans le secteur des soins de longue durée pour prévenir d’autres décès, la ministre de la Santé de l’Ontario, Christine Elliot, a annoncé le 28 avril qu’une nouvelle ordonnance d’urgence permettrait à la province de commencer à transférer des patients des hôpitaux vers des foyers de soins de longue durée afin de libérer des lits pour l’afflux massif de patients atteints de la COVID-19 qui entrent dans les hôpitaux en raison de la troisième vague de la pandémie. Les variants les plus infectieux, notamment le variant britannique B.1.1.7, ont fait grimper en flèche les taux d’infection chez les jeunes, faisant passer le nombre de patients aux soins intensifs à plus de deux fois la limite supérieure fixée par le gouvernement pour le maintien des niveaux de soins habituels.

Avant même cette annonce, les hôpitaux ontariens avaient commencé à renvoyer des patients âgés. Le 22 avril, plus d’un millier de patients avaient été rapidement renvoyés et transférés dans des foyers de soins de longue durée alors qu’ils avaient encore besoin d’une aide médicale.

Les nouvelles mesures permettent de transférer les patients dans n’importe quelle maison de retraite sans leur consentement. Le gouvernement Ford a timidement tenté de détourner l’attention de ce fait inquiétant en soulignant que les personnes transférées ne seront pas soumises au co-paiement habituel que les maisons demandent normalement lorsqu’elles reçoivent de nouveaux patients, comme si elles étaient en quelque sorte les bénéficiaires de la générosité du gouvernement.

Ces développements ne font que souligner davantage le besoin urgent pour la classe ouvrière de former ses propres organisations de lutte pour combattre les politiques meurtrières de la classe dirigeante. La société doit être restructurée selon des principes socialistes afin de défendre et d’étendre les services publics, y compris les programmes et les établissements de soins qui soutiennent nos populations les plus vulnérables et à risque, comme les personnes âgées.

(Article paru en anglais le 14 mai 2021)

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