Manifestations allemandes contre le bombardement de Gaza et l’accusation bidon d’«antisémitisme»

L’antisémitisme est une accusation grave, surtout en Allemagne. Aucun autre crime dans l’histoire n’est comparable au génocide des Juifs sous le régime nazi. Sur la seule base de leur ascendance et de leur religion, six millions de personnes ont été privées de leurs droits, maltraitées et finalement assassinées par l’État allemand et ses innombrables complices dans le cadre d’une opération précisément planifiée et organisée.

C’est pourquoi cela est d’autant plus répugnant que le gouvernement allemand, les médias et tous les partis représentés au Bundestag – à commencer par le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) – qualifient d’antisémites tous ceux qui manifestent contre les crimes de guerre perpétrés au Moyen-Orient.

Un rassemblement à Berlin, en Allemagne, le 15 mai 2021 (AP Photo/Michael Sohn)

Personne ne peut sérieusement prétendre que le bombardement par le gouvernement israélien de la bande de Gaza, densément peuplée, n’est pas un crime. Plus de 200 personnes, dont 58 enfants, ont déjà été victimes des bombes israéliennes, selon les chiffres officiels. La destruction d’un gratte-ciel qui abritait plusieurs médias internationaux est également un crime de guerre. L’organisation Reporters sans frontières l’a ouvertement déclaré, et l’agence de presse Associated Press a vivement protesté contre cet acte de destruction. De toute évidence, l’armée israélienne ne veut pas de témoins indépendants de ses actions.

En outre, le conflit actuel ne peut être considéré indépendamment de son histoire: l’expulsion forcée des Palestiniens lors de la fondation de l’État israélien; l’occupation de Jérusalem-Est, du plateau du Golan, de la Cisjordanie et de Gaza lors de la guerre de 1967 – des occupations déclarées illégales au regard du droit international; la confiscation systématique des terres par les colons d’extrême droite; et les décennies de discrimination à l’encontre des Palestiniens par l’État israélien.

Un antisémite n’est pas quelqu’un qui proteste contre les crimes du gouvernement de Benjamin Netanyahou. Ce dernier a conclu une alliance avec des partis d’extrême droite, il a un pied en prison et il ne peut se maintenir au pouvoir que par des provocations sans fin. Un antisémite est une personne qui assimile «les Juifs» à la politique du gouvernement israélien. En fait, Netanyahou n’a même pas de majorité en Israël. D’innombrables personnes juives en Israël et dans le monde rejettent avec véhémence son programme.

La chancelière allemande Angela Merkel a appelé Netanyahou le week-end dernier et, selon un porte-parole du gouvernement, s’est rangée «sans réserve» derrière Israël. Seuls ceux qui sont historiquement aveugles peuvent considérer cela comme une indication de sympathie pour les Juifs. En réalité, le gouvernement allemand ne se soucie pas de leur sort. L’impérialisme allemand considère Israël, avec lequel il entretient depuis longtemps d’étroites relations politiques et militaires, comme un allié utile, du moins pour le moment, pour prendre pied plus solidement dans la région âprement disputée du Moyen-Orient.

En tant que chef de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) pendant près de vingt ans, Merkel a dirigé un parti qui comptait de nombreux anciens nazis dans ses rangs. Le coauteur et commentateur des lois raciales de Nuremberg, Hans Globke, était le chef de cabinet du modèle politique de Merkel, le chancelier d’après-guerre Konrad Adenauer. En 1966 encore, la CDU a nommé comme chancelier un ancien membre du parti nazi, Kurt Georg Kiesinger. Les réseaux d’extrême droite, qui ont commis 2.275 crimes antisémites rien que l’année dernière, sont systématiquement couverts par les agences de renseignement allemandes. Hans-Georg Maaßen, qui a longtemps dirigé les services secrets allemands sous la présidence de Merkel, adhère à des théories de conspiration antisémites et vient d’être nommé candidat de la CDU pour les élections fédérales.

Le Parti de l’égalité socialiste a critiqué l’historien Jörg Baberowski en 2014 pour avoir défendu l’apologiste du nazisme Ernst Nolte et affirmé qu’Hitler n’était «pas brutal». Des représentants de tous les partis politiques et des médias ont dénoncé le PES et se sont précipités pour défendre le professeur d’extrême droite. «Les tentatives d’établir un récit historiquement faux interviennent à un moment critique de l’histoire allemande», écrivions-nous à l’époque. «Le renouveau du militarisme allemand nécessite une nouvelle interprétation de l’histoire qui minimise les crimes de l’ère nazie.»

Ce n’est donc pas surprenant que l’AfD, parti d’extrême droite, ait fulminé le plus fort contre les manifestations antiguerre actuelles. L’AfD, dont les dirigeants ont décrit le meurtre de masse des Juifs comme «un grain de poussière» dans un millier d’années d’histoire allemande glorieuse et qualifié le mémorial de l’Holocauste à Berlin de marque de honte, se présente maintenant comme le meilleur ami d’Israël. Le chef de l’AfD, Jörg Meuthen, est allé jusqu’à accuser le gouvernement allemand de ne pas en faire assez «pour soutenir Israël et ses efforts pour protéger sa population des attaques terroristes».

Le groupe parlementaire de l’AfD a demandé que les manifestations antiguerre soient interdites à l’avance, tandis que le chef de la faction parlementaire de l’AfD, Alexander Gauland, a laissé échapper le véritable motif du parti: «Celui qui veut vraiment lutter contre l’antisémitisme doit arrêter l’immigration de masse islamique incontrôlée et expulser systématiquement les criminels sans poser de questions».

Comme c’est le cas avec la politique des réfugiés et le réarmement interne et externe de l’Allemagne, l’AfD est utilisée comme pionnier par tous les autres partis. Sur la base d’incidents antisémites isolés, ils dénoncent comme antisémites les milliers de personnes qui ont manifesté pacifiquement dans toute l’Allemagne contre la terreur israélienne. L’objectif est de justifier la xénophobie anti-immigrée et la répression des manifestations.

Le chef de la CDU, Armin Laschet, se dit révolté par les «images horribles des manifestations». Le groupe parlementaire CDU/CSU discute déjà d’une limitation encore plus grande de l’immigration qui doit être «maintenue à un niveau soutenable pour l’intégration», selon Mathias Middelberg, porte-parole de la CDU pour la politique intérieure.

Le secrétaire général de la CDU, Paul Ziemiak, a déclaré que l’antisémitisme en Allemagne venait de trois directions: l’extrémisme de droite, l’extrémisme de gauche et l’immigration. Il a ajouté: «Ces trois domaines doivent être identifiés et résolument combattus.» Il a ensuite appelé à l’interdiction de plusieurs organisations et partis palestiniens.

Le Parti social-démocrate (SPD) a exprimé des vues similaires. Saskia Esken, chef du SPD, a appelé à punir rigoureusement ceux qui prennent part à des «manifestations antisémites». Le candidat au poste de chancelier du SPD, Olaf Scholz, a ajouté: «Aucune excuse n’existe pour de telles choses. Les auteurs de ces actes doivent ressentir toute la force de la loi.» Le député des Verts Cem Özdemir s’est insurgé contre «l’antisémitisme des immigrés».

Gregor Gysi, du Parti de gauche, a également condamné les «manifestations antisémites» dans une longue interview accordée à Der Spiegel: «Quiconque met le feu à des drapeaux israéliens n’est pas de gauche». Il a ensuite appelé le gouvernement allemand à une médiation en Israël, en s’appuyant sur le parti palestinien discrédité Fatah. Dietmar Bartsch, responsable parlementaire du Parti de gauche et candidat principal de la campagne électorale du Bundestag, soutient même la livraison de sous-marins allemands à Israël.

De son côté, le journal taz (proche des Verts) tente de surpasser le journal conservateur Die Welt dans sa condamnation des manifestations contre les bombardements israéliens. Pour Die Welt, le slogan de certains manifestants: «Arrêtez de faire ce qu’Hitler vous a fait», adressé au gouvernement israélien, est une preuve indubitable d’antisémitisme.

Le taz a condamné les manifestations antiguerre comme étant «de l’antisémitisme pur, à peine déguisé sous le masque de l’antisionisme.» Selon le journal: «La haine des juifs est un problème dans les communautés d’immigrés – mais elle est également répandue parmi ceux qui vivent ici depuis longtemps. Le phénomène de la haine des Juifs ne concerne pas seulement les néonazis ou les populistes de droite. Il s’applique également aux supposés gauchistes qui, armés des fantasmes anti-impérialistes d’aujourd’hui et de la haine des Juifs de leurs grands-pères, se joignent assidûment aux manifestations contre le grand démon Israël.»

Les accusations d’antisémitisme doivent être fermement rejetées. Elles sont portées par des partis et des médias qui sont profondément compromis dans des conspirations de droite, antidémocratiques et militaristes: la véritable source du fascisme et de l’antisémitisme. La lutte contre ces forces exige la mobilisation indépendante de la classe ouvrière de toutes les nationalités sur la base d’un programme socialiste.

(Article paru en anglais le 19 mai 2021)

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