Perspective

Les crimes de guerre à Gaza et la crise d'Israël

Le «World Socialist Web Site» condamne sans équivoque le massacre unilatéral perpétré par les Forces de défense israéliennes (FDI) contre Gaza. Depuis 10 jours, les avions et l’artillerie israéliens font pleuvoir des missiles, des bombes et des obus sur une population de deux millions de Palestiniens pris au piège d’une occupation et d’un blocus israéliens impitoyables et incessants dans cette étroite et pauvre enclave côtière.

Au moins 217 Palestiniens ont été tués, dont près de la moitié étaient des femmes et des enfants, et des milliers ont été blessés. Quelque 41.000 habitants de Gaza ont été forcés de fuir leurs foyers pour se réfugier dans des abris de fortune situés dans des écoles gérées par l’ONU, tandis que la tactique d’Israël, notamment de faire tomber des tours entières avec des «bombes intelligentes», terrorise toute la population.

Une unité d’artillerie israélienne tire en direction de cibles dans la bande de Gaza, à la frontière israélienne de Gaza, mardi 18 mai 2021. (AP Photo/Tsafrir Abayov)

Le système de santé de Gaza est en train de s’effondrer, les lits et fournitures médicales s’épuisent. Les hôpitaux, déjà surchargés en raison de la pandémie de COVID-19 débordent à présent de blessés, beaucoup souffrant de blessures graves. Une infirmière a déclaré à Al Jazeera qu’on empilait bras et jambes coupés sur un lit d’hôpital.

On s’attend à ce que les dégâts causés à l’infrastructure et la coupure de l’approvisionnement en carburant plongeront toute la bande de Gaza dans le noir, coupant l’électricité des foyers, des hôpitaux et des cliniques, de son système d’égouts et de son usine de désalinisation. Ceux tués par les bombes et obus israéliens ne feront qu’une partie du bilan, car la destruction et la neutralisation des installations de santé et des infrastructures de base augmenteront la mortalité pour longtemps.

Israël n’est pas le seul coupable de crimes de guerre ici; il y a aussi son principal facilitateur, l’impérialisme américain. En plein bombardement, on a rapporté que le gouvernement démocrate de Joe Biden avait officiellement notifié le Congrès américain, le 5 mai, d’une livraison d’armes à Israël de 735 millions de dollars. Celle-ci comprend des JDAM (Joint Direct Attack Munitions) [bombes guidées par GPS], les mêmes que celles utilisées pour tourner en grabats les plus hauts bâtiments de Gaza. L’approbation de cette tranche de l’aide annuelle de près de 4 milliards de dollars de Washington à Israël montre clairement la complicité directe de tous les dirigeants du Parti démocrate dans les crimes commis à Gaza.

Simultanément, Washington a exercé son droit de veto trois fois en une semaine pour empêcher le Conseil de sécurité de l’ONU de publier une quelconque déclaration critiquant les actes d’Israël.

La réponse de la Maison-Blanche de Biden au massacre en cours à Gaza est une preuve irréfutable de sa continuité avec le gouvernement Trump, mais aussi avec ses prédécesseurs Barack Obama et George W. Bush, qui ont pareillement aidé et encouragé les guerres menées par Israël en 2008-2009 et 2014. Celles-ci ont tué ensemble au moins 3.500 habitants de Gaza, l’écrasante majorité des civils.

Des millions de travailleurs et de jeunes du monde entier sont indignés à juste titre non seulement des crimes de guerre d’Israël mais encore des justifications hypocrites de gens comme Biden et son secrétaire d’État Antony Blinken, qui répètent incessamment la formule «Israël a le droit de se défendre.» En pratique, cela signifie qu’une puissance occupante dotée de l’une des machines de guerre les plus avancées du monde a le «droit» d’infliger mort et violence aux occupés sans aucune restriction, à une population de réfugiés pratiquement sans défense, piégée dans un immense ghetto créé par Israël-même. Lundi, Biden a entonné ce refrain, par l’intermédiaire d’un porte-parole, en exprimant son soutien platonique à un cessez-le-feu sans date précise.

L’immense colère populaire contre les crimes de guerre à Gaza s’est exprimée par des centaines de manifestations sur tous les continents, hors l’Antarctique. Malgré le soutien des États-Unis et des autres puissances impérialistes à l’agression israélienne, Israël est aux yeux de millions de gens dans le monde, un paria, un État ayant perdu toute légitimité morale et politique.

Les tentatives de qualifier ces manifestations d’antisémites sont vues pour ce qu’elles sont, une lourde tentative d’Israël et de ses soutiens impérialistes d’étouffer toute opposition à leurs crimes, et une calomnie envers des millions de Juifs dans le monde qui sont choqués et révoltés par les actions de l’État sioniste.

Mais la colère et les protestations ne suffisent pas. Ce qu’il faut, c’est une perspective politique sur ce qui a produit ces crimes et sur la manière dont on peut les stopper.

L’éruption de la violence contre Gaza est motivée par la crise et les contradictions immenses au sein même de la société israélienne. La décision de Tel-Aviv d’entrer en guerre était en premier lieu une tentative de contenir une crise politique hors de contrôle, manifestée par l’incapacité de former un gouvernement viable après quatre élections en deux ans et la présence d’un premier ministre, Benjamin Netanyahu, à qui il faut rester au pouvoir pour ne pas être emprisonné pour corruption.

Des contradictions sociales insolubles sous-tendent cette crise politique. Israël reste, avec les États-Unis, l’un des pays les plus inégalitaires de l’OCDE. Selon le rapport annuel sur la pauvreté de l’agence d’aide israélienne Latet, le taux de pauvreté en Israël a bondi de 20,1 pour cent à 29,3 pour cent en 2020, tandis que les 20 individus les plus riches y ont amassé une richesse combinée de plus de 61 milliards de dollars, Israël ayant la plus grande concentration de milliardaires au monde par rapport à la population.

Le caractère insoutenable d’une telle fracture sociale fut mis en évidence par la révolte des citoyens palestiniens d’Israël, déclenchée initialement par l’attaque et la violente prise d’assaut de la mosquée al-Aqsa par la police et des actes de «nettoyage ethnique» de plus en plus agressifs à Jérusalem-Est. Les Palestiniens d’Israël, qui représentent 20 pour cent de sa population, se sont joints mardi à la grève générale des Palestiniens des territoires occupés, pour protester contre l’attaque de Gaza. Le deuxième motif était leur opposition aux «lois raciales» israéliennes de type apartheid qui les condamnent à une citoyenneté de seconde classe. Les travailleurs ont fermé les magasins, les écoles et les chantiers et ont quitté le travail dans tout le pays.

Alors que la camarilla au pouvoir en Israël, qui représente les intérêts de la classe dirigeante milliardaire, cherche une base de soutien par la promotion du militarisme et de la haine anti-arabe, lâchant des gangs fascistes-sionistes dans les rues, il y a dans la classe ouvrière une large hostilité au gouvernement et à ses crimes et de la sympathie pour les Palestiniens. Cela s’est exprimé dimanche dans une manifestation de travailleurs de la santé juifs et israélo-palestiniens devant l’hôpital Rambam de Haïfa, appelant à l’unité ; une manifestation embryonnaire de la volonté de la classe ouvrière de s’unir dans une lutte contre l’oppresseur commun.

Soixante-treize ans après la fondation de l’État d’Israël et 55 ans après la guerre expansionniste des Six Jours, la classe dirigeante israélienne et son vaste appareil militaire ont été incapables d’écraser la résistance palestinienne ; ce qui est inextricablement lié aux immenses contradictions internes de la société israélienne dans son ensemble. En réponse, le gouvernement se comporte comme s’il avait perdu la tête, se déchaînant avec une violence qui ne peut qu’aggraver sa crise.

Israël est arrivé au bout de sa route. L’ensemble du projet sioniste – une perspective réactionnaire visant à créer un État capitaliste juif sectaire au Moyen-Orient par la dépossession du peuple palestinien – a manifestement échoué. L’idéologie sioniste a justifié cet État comme un refuge pour les Juifs au lendemain de l’Holocauste, mais le gouvernement israélien institue des lois raciales et commet des crimes violents qui ressemblent de plus en plus à ceux des nazis.

L’émergence d’une opposition de masse parmi les Arabes israéliens et la classe ouvrière juive face aux crimes de l’État israélien souligne plus encore la totale non-viabilité du projet sioniste. Alors que s’effondrent les efforts déployés depuis des décennies pour creuser un fossé entre les travailleurs palestiniens et juifs, soulevant la perspective d’une révolte de la classe ouvrière, Israël est incapable de survivre autrement que par le recours à une dictature totalitaire.

La crise d’Israël est liée à l’effondrement de tout le système d’États-nation au Moyen-Orient, créé en formant des États théoriquement indépendants, basés sur les frontières tracées par les anciennes puissances coloniales. La bourgeoisie arabe vénale, cherchant à défendre sa propre domination contre une opposition sociale croissante en se rapprochant d’Israël et de l’impérialisme, a abandonné sa mascarade de soutien aux Palestiniens et sa promotion de la chimère d’une «solution à deux États». Dix ans après la répression sanglante de la révolution égyptienne, tous les États limitrophes d’Israël – le Liban, la Jordanie, la Syrie et l’Égypte même – sont secoués par des conflits internes alors que le Moyen-Orient en général a été dévasté par les guerres américaines.

Le Hamas, la force politique dominante à Gaza, est également incapable d’offrir une quelconque alternative progressiste. Comme l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), il est attaché à la solution dite des deux États, qui maintiendrait Gaza et la Cisjordanie comme des ghettos palestiniens sous la coupe de l’État sioniste. Dans un contexte où une rébellion se développe à l’intérieur même d’Israël, le Hamas est incapable de faire appel à la population arabe israélienne et encore moins à la classe ouvrière juive.

Le général Mark Milley, chef d’état-major américain des armées, a averti lundi qu’«une déstabilisation plus large» pourrait avoir lieu et «toute une série de conséquences négatives si les combats se poursuivent» à Gaza. La crainte, clairement, est que les événements en Israël et dans les territoires occupés ne déclenchent des bouleversements révolutionnaires dans toute la région, tout en faisant peser la menace d’une guerre beaucoup plus large, en premier lieu contre l’Iran.

Ces alternatives, la guerre et la révolution, se posent non seulement au Moyen-Orient, mais aussi à l’échelle mondiale. Malgré une pandémie mondiale qui a fait trois millions et demi de morts, les puissances impérialistes procèdent à un renforcement militaire massif en vue d’une guerre mondiale.

Cette même pandémie a provoqué une opposition sociale dans la classe ouvrière et une escalade mondiale de la lutte des classes qui ouvre la voie à la révolution sociale.

Là réside la voie à suivre pour les masses laborieuses de tout le Moyen-Orient. La question centrale est de surmonter la crise de perspective et de direction.

L’impasse du nationalisme bourgeois, de Nasser à l’OLP, a donné raison à la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky. Elle a établi que, à l’époque impérialiste, la réalisation des tâches fondamentales de la libération de l’oppression impérialiste dans les pays opprimés ne peut être résolue sous la direction de la bourgeoisie nationale, totalement liée à, et dépendante de l’impérialisme. Ces tâches ne peuvent être réalisées que par l’intervention politique indépendante de la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste et internationaliste.

L’assaut militaire contre Gaza et la révolte croissante à l’intérieur même d’Israël requiert avec la plus grande urgence une lutte pour unir la classe ouvrière, arabe, juive et iranienne, au-delà de tous les clivages nationaux et sectaires ; un combat commun pour une Fédération socialiste du Moyen-Orient dans le cadre de la lutte pour mettre fin au capitalisme dans le monde entier.

La tâche vitale de mobiliser la classe ouvrière sur la base de ce programme dépend de la construction d’une nouvelle direction révolutionnaire, organisée en sections du Comité international de la Quatrième Internationale dans chaque pays.

(Article paru d’abord en anglais le 19 mai 2021)

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