Le massacre des Palestiniens de la bande de Gaza par les forces armées israéliennes a suscité des critiques à Moscou, Pékin et Téhéran. Ces déclarations, cependant, ne font que souligner le fossé de classe qui sépare les sentiments de milliards de travailleurs, horrifiés par l’assaut israélien contre l’enclave sans défense, et les positions hypocrites des régimes capitalistes à travers l’Eurasie.
Le Kremlin, qui entretient des liens étroits avec Israël, a adopté une pose hypocrite de neutralité entre Israël et Gaza, appelant le «Quartet» pour le Moyen-Orient – composé des Nations unies, des États-Unis, de l’Union européenne et de la Russie – à négocier un accord de paix.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a déclaré: «Nous condamnons les attaques des deux côtés, qui visent des zones résidentielles… Nous pensons que la communauté internationale ne doit pas rester indifférente à ce qui se passe. Le Quartet de médiateurs internationaux se trouve directement obligé de contribuer à la solution de la question palestinienne».
Le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, a averti que l’attaque israélienne pourrait déclencher une guerre plus large. Déclarant que Moscou se trouve «extrêmement préoccupé par le nombre croissant de victimes humaines», il a déclaré par euphémisme: «En général, la région a un système de sécurité plutôt fragile, un énorme manque de confiance mutuelle et un potentiel de longue date pour les conflits régionaux, ce qui ne contribue pas à la stabilisation».
Israël a rejeté une annonce du ministère russe des Affaires étrangères selon laquelle il avait fait appel à des diplomates israéliens mercredi pour dire que de nouvelles victimes civiles à Gaza étaient «inacceptables». Israël a répondu par une déclaration qui indiquait qu’il ne fixerait aucun délai pour mettre fin aux attaques contre Gaza.
Quant au régime de Pékin, il a appelé Washington à négocier avec Israël. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a demandé à Washington «d’assumer ses responsabilités en adoptant une position juste» lors du débat de dimanche au Conseil de sécurité des Nations unies sur la Palestine. Yi a également mis en garde contre une escalade militaire, appelant à «empêcher la situation de se détériorer davantage, à empêcher la région de retomber dans la tourmente».
De manière significative, Yi a également indiqué que la Chine pourrait accueillir des pourparlers israélo-palestiniens, déclarant: «La Chine réitère son invitation aux artisans de la paix de Palestine et d’Israël à venir en Chine pour dialoguer, et accueille les négociateurs de Palestine et d’Israël pour des entretiens directs en Chine».
Yi s’est toutefois abstenu de demander à Israël de mettre immédiatement fin au massacre. Il s’est contenté de lui demander de «mettre fin au blocus et au siège de Gaza dès que possible. Il faut garantir la sécurité et les droits des civils dans le territoire palestinien occupé et de permettre l’accès de l’aide humanitaire».
Lorsque les appels de Pékin à Washington ont échoué, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, s’est plaint mardi que les vetos américains paralysaient le Conseil de sécurité. «Les gens ne peuvent s’empêcher de se demander si c’est bien la diplomatie des valeurs et des droits de l’homme que le gouvernement américain a annoncée. Pourquoi les États-Unis sont si insensibles aux droits de l’homme du peuple palestinien alors qu’ils ne cessent de parler de la défense des droits de l’homme des musulmans?»
Il s’agissait apparemment d’une référence discrète à l’hypocrisie stupéfiante de Washington qui soutient la guerre d’Israël contre Gaza, tout en menant une campagne de mensonges qui accuse Pékin de mener un «génocide» des Ouïghours musulmans dans l’ouest de la Chine.
Se plaignant du fait que «l’attention des États-Unis s’est complètement déplacée vers la compétition entre grandes puissances», le quotidien chinois d’État Global Times a reproché à Washington, de manière remarquable, de ne pas être impliqué au Moyen-Orient: «Afin de se concentrer sur la Chine et la Russie, Washington est désireux de se retirer du Moyen-Orient et ne veut pas investir de nouvelles énergies et ressources au nom de la paix entre la Palestine et Israël… Mais on doit faire comprendre à Washington que la justice ne peut se faire enterrer vivante».
En fait, les guerres impérialistes au Moyen-Orient au cours des trois décennies qui ont suivi la restauration du capitalisme par les bureaucraties staliniennes soviétiques et chinoises en 1989-91 ont permis de clarifier une chose. C’est inutile de faire appel à l’impérialisme américain ou européen pour obtenir «justice». Depuis que la dissolution stalinienne de l’Union soviétique a supprimé le principal contrepoids militaire à Washington, les États-Unis ont mené des guerres agressives de changement de régime, notamment en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie, faisant des millions de morts et détruisant des sociétés entières.
En particulier, ils ont apporté à plusieurs reprises un soutien sans faille aux massacres israéliens unilatéraux à Gaza en 2009, en 2014 et maintenant en 2021.
L’essor économique de la Chine en tant que havre de main-d’œuvre bon marché pour les sociétés transnationales a bien sûr accru son influence dans la région. Le Global Times a rapporté que la Chine est désormais le premier partenaire commercial des pays arabes, avec un volume d’échanges annuel de près de 240 milliards de dollars, alors que la Chine importe d’eux 250 millions de tonnes de pétrole brut. Le Jerusalem Post a qualifié le commerce entre la Chine et Israël de «mariage parfait», passant «de 50 millions de dollars à 13,1 milliards de dollars entre 1992 et 2017», ce qui fait de la Chine le troisième partenaire commercial d’Israël. La Chine a même récemment signé un accord commercial de 400 milliards de dollars sur 25 ans avec l’Iran.
L’impérialisme américain reste cependant la puissance financière et militaire dominante dans la région, et il a soutenu les attaques israéliennes contre Gaza. Cela souligne la faillite de toute perspective de défense de Gaza qui ne repose pas sur la mobilisation de l’opposition internationale de la classe ouvrière à l’impérialisme et à la guerre.
Alors qu'il existe une profonde opposition dans la classe ouvrière israélienne, américaine et internationale à l'inégalité sociale et à la gestion officielle politiquement criminelle de la pandémie du COVID-19, Moscou, Pékin et Téhéran sont incapables de faire appel à ces sentiments et y sont hostiles.
Les régimes russe, chinois et iranien craignent une opposition croissante de la classe ouvrière dans leur pays. Pékin prépare une augmentation profondément impopulaire de l’âge de la retraite, alors même que plus de 400 milliardaires chinois ont amassé collectivement plus de 2.000 milliards de dollars. Le président iranien Hassan Rouhani a fait remarquer que son régime est terrifié à l’idée qu’en cas de pandémie, «les gens, confrontés à la faim, à la pauvreté et au chômage, descendent dans la rue».
Le régime iranien s’est senti obligé de faire des déclarations plus critiques sur Gaza, dans un contexte de manifestations propalestiniennes à Téhéran et de colère croissante dans tout le Moyen-Orient. La guerre à Gaza fait suite aux provocations américaines et israéliennes à l’encontre de l’Iran, notamment les sanctions meurtrières sur des fournitures médicales essentielles en pleine pandémie de COVID-19 et les attaques criminelles d’Israël contre l’installation iranienne d’enrichissement d’uranium de Natanz.
Après que les Israéliens ont frappé le bâtiment du Croissant-Rouge qatari à Gaza, le ministère qatari des Affaires étrangères a condamné Tel-Aviv lundi. Par ailleurs, l’agence publique turque Anadolu a indiqué que son photojournaliste Mohammad Dahla a été blessé mercredi par un missile israélien à Gaza, après que «deux journalistes de l’agence Anadolu ont été blessés alors qu’ils couvraient les attaques israéliennes sur la bande de Gaza la semaine dernière». Israël a également bombardé un centre de médias qui abritait les opérations d’AP et d’Al Jazeera à Gaza.
Le président iranien Hassan Rouhani a déclaré au président turc Recep Tayyip Erdoğan que «la Palestine est la question commune la plus importante de la communauté islamique» lors d’un appel téléphonique dimanche. Selon l’agence de presse IRNA, il a déclaré que «c’est essentiel de faire face aux crimes contre la Palestine et de cesser immédiatement de tuer les personnes opprimées et sans défense». Il a ajouté que «les États islamiques devraient coopérer pour utiliser la capacité des organismes internationaux tels que les Nations unies et l’Organisation de la coopération islamique (OCI) pour faire face à l’agression du régime sioniste».
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, aurait annulé une visite prévue à Vienne après que des drapeaux israéliens ont été hissés sur des bâtiments gouvernementaux pour montrer leur soutien à la guerre israélienne. Il a tweeté: «Alors que les munitions fabriquées par les États-Unis pleuvent sur des Palestiniens innocents, les États-Unis donnent 735 millions de dollars supplémentaires en missiles de “précision” à Israël pour tuer plus d’enfants avec plus de précision».
Zarif a également critiqué les régimes régionaux réactionnaires, dont le Bahreïn, le Soudan et le Maroc, qui ont «normalisé» leurs relations avec Israël, en disant: «Le massacre d’enfants palestiniens aujourd’hui fait suite à cette prétendue normalisation».
Téhéran est toutefois en pourparlers pour rétablir les relations avec l’Arabie saoudite, un architecte clé de cette «normalisation» et un allié de premier plan du gouvernement israélien. Cela souligne le cynisme de la politique iranienne et la nécessité urgente de construire un mouvement antiguerre international basé sur un programme socialiste dans la classe ouvrière internationale pour mettre fin aux attaques sur Gaza.
(Article paru en anglais le 21 mai 2021)