La Chambre des représentants des États-Unis a adopté mercredi une résolution qui demande la création d’une commission bipartite chargée d’enquêter sur l’attentat du 6 janvier contre le Congrès. Le projet de loi a été adopté par la Chambre par 252 voix contre 175, mais le leader républicain du Sénat, Mitch McConnell, et d’autres hauts responsables républicains ont déclaré leur détermination à bloquer l’adoption du projet de loi à la chambre haute.
Au moins 10 sénateurs républicains doivent se joindre à 50 démocrates pour surmonter une obstruction systématique contre le projet de loi et seule une poignée d’entre eux ont indiqué qu’ils soutiendraient le projet de loi après que l’ex-président Donald Trump – l’instigateur de la tentative de coup d’État du 6 janvier – a demandé aux républicains du Congrès de bloquer la proposition.
C’est Trump qui a invité la foule fasciste à Washington le 6 janvier pour un rassemblement devant la Maison-Blanche et qui a prononcé un discours qui les exhortait à marcher sur le Capitole et à se battre pour lui. Au Capitole, ils ont franchi les rangs de la police qui avait été délibérément affaiblie et ils ont pris d’assaut le bâtiment dans le but d’empêcher la certification par le Congrès de la victoire substantielle du démocrate Joe Biden.
Les assaillants pro-Trump ont scandé leur soutien à la pendaison de Mike Pence, le vice-président de Trump, parce qu’il présidait la session conjointe du Congrès. Ils ont exprimé leur désir de tuer la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et d’autres démocrates. La violence de l’attaque a été telle que 140 policiers du Capitole ont été blessés.
Ces événements se sont déroulés il y a seulement 135 jours, mais déjà on voit un effort concerté se développer pour les enterrer, rejeter leur signification, voire même les purger de la mémoire collective du public américain. Cette attitude a été incarnée par le député républicain Andrew Clyde, qui a déclaré que ce qui s’est passé le 6 janvier n’était rien de plus qu’une «visite touristique normale». (Des photos existent de ce jour-là qui montre Clyde qui se joignait à d’autres représentants pour barricader désespérément la Chambre contre la foule qui l’attaquait).
L’effort mené par les démocrates pour établir une commission bipartite chargée d’enquêter sur l’attaque du 6 janvier n’est cependant pas un véritable effort pour mettre à nu les forces impliquées dans la tentative de coup d’État. Cela est démontré par l’invocation constante de la Commission 9/11 (l’attaque sur le World Trade Center), par la présidente Pelosi et d’autres démocrates de premier plan, comme modèle pour l’enquête qu’ils souhaitent mener.
La Commission du 11 septembre était un blanchiment officiel des événements du 11 septembre 2001 qui a délibérément dissimulé les liens entre les agences de renseignement américaines et les pirates de l’air d’Al-Qaïda qui ont été libres d’entrer aux États-Unis, de s’inscrire dans des écoles de pilotage et de préparer leur assaut coordonné, alors même que la CIA et le FBI suivaient leurs mouvements et ne faisaient rien pour intervenir.
L’excuse insensée de ne pas avoir pu «tirer les conclusions nécessaires» a été utilisée pour dissimuler la réalité, à savoir que l’appareil de renseignement militaire a laissé les attentats se produire parce que cela servait un objectif stratégique précis: créer un climat politique aux États-Unis qui permettait la projection de la puissance militaire américaine au Moyen-Orient et en Asie centrale, par le biais des invasions de l’Afghanistan puis de l’Irak.
En fait, la Commission proposée pour le 6 janvier sera un exercice encore plus grand de dissimulation politique étant donné que le même parti qui a incité à l’attaque – en affirmant sans fondement que l’élection présidentielle de 2020 avait été volée – aura un droit de regard égal sur la conduite de l’enquête. C’est comme si, à la suite d’un braquage de banque, lors du procès des agresseurs, le chauffeur et les guetteurs complices étaient assis au banc du jury!
Comme d’habitude dans le fonctionnement du système bipartite américain, les démocrates ont plaidé sans fin avec les républicains, faisant une concession après l’autre, aboutissant finalement au désaccord des républicains qui qualifient avec arrogance le résultat final des négociations d’insuffisant. Ainsi, Pelosi a concédé un nombre égal de membres au sein de la commission, bien que les démocrates disposent de la majorité dans les deux chambres du Congrès. Elle a aussi concédé qu’aucune assignation à comparaître ne soit délivrée sans l’approbation des républicains.
Vendredi, après l’annonce d’un accord entre le président démocrate de la commission de surveillance du gouvernement de la Chambre des représentants et le membre républicain sénior de cette commission, choisis par Pelosi et le chef de la minorité de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, les républicains sont revenus sur cet accord en quelques jours.
Lundi 17 mai encore, les chefs de file des minorités de la Chambre et du Sénat, le représentant Steve Scalise et le sénateur John Thune, ont indiqué que les républicains ne cherchaient pas à bloquer la création d’une commission bipartite. Mardi, cependant, l’ex-président Trump est intervenu, publiant une déclaration qui dénonce la commission proposée et exigeant, nommément, que McCarthy et McConnell mettent fin à toute discussion à ce sujet.
McCarthy, manifestement informé à l’avance depuis Mar-a-Lago, avait déjà publié une déclaration mardi matin pour faire part de son opposition. McConnell se déclarait encore «indécis» quant à son soutien à la commission et «prêt à écouter» la proposition. Mais mercredi, quelques heures après que Trump a rendu publique sa déclaration, McConnell a annoncé son opposition catégorique à ce qu’il a appelé «la proposition biaisée et déséquilibrée des démocrates de la Chambre».
La réponse des démocrates pendant le débat à la Chambre a été d’attaquer les républicains depuis la droite. Le démocrate de l’Ohio, Tim Ryan, a dénoncé la position républicaine, la comparant à «une gifle à tous les policiers de la base aux États-Unis» parce qu’ils s’opposaient à une enquête bipartite sur les personnes qui «frappent les policiers du Capitole à la tête avec des tuyaux de plomb». Il a ajouté, pour faire bonne mesure, que l’abandon du bipartisme sapait la position des États-Unis «si nous voulons affronter la Chine».
De tels commentaires ne sont pas seulement d’une nature réactionnaire, ils font diversion par rapport à la question centrale posée par les événements du 6 janvier. L’attaque fasciste contre le Congrès constitue une tentative de renverser l’élection de 2020, dans laquelle 81 millions de personnes ont voté pour Biden, et de maintenir Donald Trump à la Maison-Blanche en tant que, essentiellement, dictateur.
Bien que menée par des groupes fascistes comme les Proud Boys, l’attaque n’a été possible qu’en raison d’une démobilisation systématique de l’appareil militaire et policier massif qui entoure le siège du gouvernement américain, y compris des dizaines de milliers de soldats de la Garde nationale et de l’armée. L’un des aspects les plus critiques de la tentative de coup d’État a été le retard délibéré dans le déploiement de ces forces au Capitole, malgré les appels des dirigeants du Congrès et même du vice-président Mike Pence pour qu’elles soient mobilisées.
Les personnes nommées par Trump au Pentagone, le secrétaire à la Défense par intérim, Christopher Miller et le secrétaire à l’Armée, Ryan McCarthy, dirigent les activités de la Garde nationale de Washington DC et ont joué un rôle crucial. Ils ont repoussé, pendant trois heures et 19 minutes (199 minutes), les supplications du commandant de la Garde, le général William Walker, qui souhaitait être autorisé à envoyer ses troupes pour secourir les personnes assiégées dans le Capitole.
Dans un communiqué publié le 5 mars 2021, le WSWS a expliqué:
[L]es événements du 6 janvier étaient loin d’être une surprise. Dans les mois qui ont précédé l’insurrection, il y eut une crise politique permanente au cours de laquelle le président des États-Unis a clairement indiqué qu’il n’accepterait pas le transfert pacifique du pouvoir. Les services de renseignement et l’armée étaient bien avertis des plans et des menaces, en particulier celles visant la date du 6 janvier.
On a bien plutôt pris la décision de ne pas agir pendant qu’une stratégie politique précise était mise en œuvre. Pendant plus de trois heures, les groupes fascistes ont eu pratiquement carte blanche face au Capitole. Les éléments formés militairement parmi les émeutiers savaient qu’on leur donnait le temps de rechercher des otages parmi les sénateurs et les députés.
Dans ce cas, Trump aurait déclaré l'état d'urgence, fermé le Congrès, retardé indéfiniment la certification de la victoire de Biden, et ouvert des négociations qui auraient abouti, sous une forme ou une autre, à une capitulation démocrate pour la poursuite de sa présidence. L'armée n'est intervenue et a sécurisé le Capitole qu'après qu'il soit devenu clair que l'attaque n'avait pas atteint ses objectifs et que Trump l'avait publiquement annulée.
La déclaration du WSWS tire la conclusion suivante:
Aucune enquête menée sous les auspices du Parti démocrate ne servira à démasquer les forces engagées dans le complot. Comme parti de Wall Street et de l’armée même, les démocrates sont terrifiés des conséquences politiques et sociales de ces révélations.
Les cent quatre-vingt-dix-neuf minutes du 6 janvier sont un avertissement. Aussi grave qu’ait été l’événement, la réponse elle, est tout aussi importante. Les droits démocratiques ne peuvent être confiés à aucune faction de la classe dirigeante ni à ses représentants politiques. On ne peut laisser la classe ouvrière sans préparation pour la prochaine étape. Elle doit s’organiser de manière indépendante, sur la base de son propre programme, en opposition au système capitaliste.
La faillite imminente de la feuille de vigne politique des démocrates, à savoir une commission bipartite sur le 6 janvier, ne fait que confirmer cette évaluation.
(Article paru en anglais le 21 mai 2021)