Vendredi, quelques heures à peine après l’entrée en vigueur d’un fragile cessez-le-feu entre Israël et les groupes palestiniens du Hamas et du Jihad islamique, les forces de sécurité israéliennes ont tiré des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc sur des fidèles dans l’enceinte de la mosquée al-Aqsa. Au moins 20 Palestiniens ont été blessés, dont deux durent être hospitalisés.
Des dizaines de milliers de personnes étaient venues à la prière du vendredi pour célébrer le cessez-le-feu. Ils portaient des drapeaux palestiniens, distribuaient des bonbons et scandaient des slogans tels que «Dieu est le plus grand» et «Salutations à Ezzedin al-Qassam». Cela, en référence à la branche militaire du Hamas, dirigée par Mohammed Deif, qui fut ciblé maintes fois par les Forces de défense israéliennes (FDI). La police est entrée dans l’enceinte pour confisquer les drapeaux et disperser la foule, provoquant de vives échauffourées. Le commandant du district de Jérusalem a alors ordonné l’envoi massif de renforts pour «gérer les manifestants».
À Sheikh Jarrah, la police a violemment dispersé une manifestation pacifique de centaines de Palestiniens et d’Israéliens juifs parce que l’un des participants brandissait un drapeau palestinien. Le chef de la police a également renforcé la présence policière à Silwan, Isawiya et Sheikh Jarrah, ayant mis en place des barricades autour des quartiers de Jérusalem-Est.
Les FDI se sont préparées à des troubles en Cisjordanie, notamment à Hébron où des partisans du Hamas avaient prévu de célébrer «la victoire de la résistance». Les FDI ont annoncé que la police des frontières, envoyée à Lod en Israël pour réprimer les manifestations palestiniennes contre les groupes d’autodéfense sionistes armés, allait retourner en Cisjordanie.
Des troubles étaient également attendus à Umm al-Fahm, dans le centre d’Israël, après que Mohammed Kiwan, 17 ans, fut tué d’une balle dans la tête mercredi, entraînant des protestations que la police a dispersées à l’aide de gaz lacrymogènes. Une grève générale a entraîné la fermeture de la ville jeudi, jour des funérailles de Kiwan.
Les frappes aériennes d’Israël se sont poursuivies jusqu’à ce que le cessez-le-feu, obtenu par la médiation de l’Égypte, mette temporairement fin à cette guerre unilatérale qui a tué au moins 243 Palestiniens, dont 65 enfants, et blessé plus de 1.900 personnes. En revanche, seules 12 personnes ont été tuées en Israël.
L’ampleur de la destruction et de la souffrance en seulement 11 jours est vraiment choquante. Salaameh Maaruf, responsable de l’information du Hamas, a estimé les dégâts à environ 250 millions de dollars, répartis ainsi:
- 92 millions de dollars pour les logements et les bureaux des ONG,
- 40 millions de dollars pour le commerce et l'industrie de Gaza,
- 27 millions de dollars de dommages aux routes et infrastructures d'eau et d'égouts,
- 23 millions de dollars pour les bâtiments gouvernementaux,
- 22 millions de dollars pour le remplacement du réseau de distribution d'électricité, et
- 24 millions de dollars pour les dommages subis par le secteur agricole.
Environ 800.000 personnes n’ont pas d’accès régulier à l’eau potable. Environ 10.000 mètres de conduites souterraines d’eau et d’égouts sont endommagés. Sont sérieusement endommagées aussi: des canalisations d’eaux usées, des véhicules d’évacuation des eaux usées, des puits et une station de pompage d’eaux usées. Au moins 50 écoles sont gravement endommagées.
Le président américain Joe Biden a déclaré de manière absurde que le cessez-le-feu entre Israël et Gaza offrait une véritable opportunité de progrès. Il a ignoré les assauts meurtriers d’Israël contre Gaza, notamment les guerres de 2008-2009, 2012 et 2014, et les attaques hebdomadaires contre la Grande Marche du retour en 2018-2019 ; sans parler d’innombrables autres attaques de moindre importance contre l’enclave assiégée, autorisées par Washington et les régimes arabes.
Signalant son soutien permanent à Israël contre le Hamas, Biden a déclaré que «l’aide humanitaire» pour la reconstruction de Gaza se ferait en coordination avec l’Autorité palestinienne dirigée par le rival du Hamas, le président Mahmoud Abbas, en Cisjordanie, et «d’une manière empêchant le Hamas de simplement réapprovisionner son arsenal militaire.» Il a promis à Netanyahou que Washington réapprovisionnerait le système de défense antimissile ‘Dôme de fer’ d’Israël qui l’a protégé des projectiles du Hamas.
La fin des hostilités a suscité de grandes réjouissances à Gaza et en Cisjordanie occupée. Le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, salua une «victoire» et affirma qu’elle aurait un large impact dans les relations de la région avec Israël. «Nous avons détruit le projet de “coexistence” avec Israël, de “normalisation” avec Israël», a-t-il affirmé ; le Hamas bénéficierait d’un soutien régional croissant. La lutte contre Israël se poursuivrait jusqu’à la «libération» de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem-Est».
Osama Hamdan, chef du bureau des relations étrangères du Hamas, a déclaré que l’organisation avait reçu des assurances concernant la politique israélienne à l’égard du quartier de Sheikh Jarrah d’où des familles risquent d’être expulsées et du complexe de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem-Est, qui avait déclenché la guerre.
Les responsables politiques israéliens n’ont cependant pas donné aux dirigeants du Hamas de raisons d’être aussi optimistes. Netanyahou a menacé de recourir à «un nouveau degré de force» si le Hamas rompait le cessez-le-feu, déclarant: «Si le Hamas pense que nous tolérerons d’être arrosé de roquettes, il se trompe.» Il a déclaré que les opérations de Tsahal avaient réussi à faire reculer le Hamas de façon spectaculaire, affirmant que Tsahal avait détruit 100 kilomètres de tunnels et d’infrastructures militaires utilisées pour des attaques terrestres et maritimes, et assassiné 20 membres haut placés du Hamas.
Conscient qu’il avait déjà fait des déclarations similaires auparavant sans pour autant mettre fin au conflit, Netanyahou a déclaré que si Israël avait «changé l’équation», «le public et le Hamas ne savent pas tout… l’intégralité de nos réalisations sera révélée avec le temps».
Mais selon Ha’aretz, les responsables de la sécurité étaient plus que sceptiques quant au «succès» de l’opération. Les frappes sur l’arsenal de roquettes et les rampes de lancement du Hamas avaient été moins dommageables qu’on ne l’avait pensé, seuls 40 pour cent ayant été détruits. Ce qui signifiait que le Hamas disposait encore d’un important arsenal. Les responsables avaient critiqué la «faiblesse» des renseignements et l’incapacité des FDI à détruire la plupart des tunnels du Hamas, ainsi qu’à organiser une invasion terrestre et assassiner Yahya Sinwar, le chef du Hamas, et Mohammed Deif, son chef militaire.
Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, qui s’est entretenu avec les dirigeants des régimes arabes ces derniers jours, a menacé le Hamas disant que tout financement d’une reconstruction de Gaza dépendait de la réalisation de progrès sur les autres conditions posées par Israël. Il a averti que sans de nouveaux progrès politiques et diplomatiques vis-à-vis du Hamas, l’opération «Gardiens des murs» «finira par être un nouveau round sur la voie de la prochaine opération militaire».
Le bombardement criminel par Israël d’une population essentiellement sans défense fut déclenché à l’origine par l’indignation, tant dans les territoires palestiniens occupés qu’en Israël, face aux violentes attaques de celui-ci contre la mosquée al-Aqsa durant le ramadan ; mais aussi par la menace d’expulsion de familles palestiniennes des quartiers de Sheikh Jarrah et Silwan au profit de colons juifs. Les familles ont porté plainte devant la Cour suprême, qui entendra le procès de Silwan mercredi. Celui de Sheikh Jarrah, reporté après la Journée de Jérusalem pour tenter d’apaiser l’agitation, le sera dans quelques semaines. Le résultats des audiences risque d’attiser encore les tensions entre Palestiniens et groupes de colons fascistes, dans des conditions où Israël est désormais confronté à la possibilité très réelle d’une guerre civile.
Dans le même temps, la guerre a également intensifié la profonde crise politique, illustrée par l’incapacité d’Israël à former un gouvernement stable après quatre élections non concluantes en deux ans. Un facteur majeur des provocations de Netanyahou contre les Palestiniens a été sa détermination, au milieu de son procès en cours pour corruption, pots-de-vin et abus de confiance, à torpiller toute possibilité pour le leader de l’opposition Yair Lapid de former un gouvernement de coalition. Le succès de Lapid dépendant du soutien de la Liste arabe commune de Mansour Abbas, la guerre de Gaza a fait fuir l’un des alliés potentiels de Lapid, Naftali Bennett et son parti de droite Yamina, vers le camp de Netanyahou. Malgré cela, Netanyahou n’est pas près de pouvoir former un gouvernement, ce qui pourrait précipiter une cinquième élection. Ce sont ces conditions qui sous-tendent l’hostilité croissante de Netanyahou envers l’Iran. Mercredi, il a accusé Téhéran de lancer un drone armé depuis l’Irak ou la Syrie vers Israël, via la Jordanie.
(Article paru d’abord en anglais le 22 mai 2021)