L'armée malienne détient le président lors d'un coup d'État soutenu par la France, visant à étrangler les grèves.

Lundi, les troupes maliennes fidèles à la junte du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) ont arrêté les principaux membres du gouvernement intérimaire de transition. Le président Bah Ndaw, le premier ministre Moctar Ouane et le ministre de la Défense Souleymane Doucoure sont actuellement détenus dans une base militaire de Kati, au nord de la capitale Bamako.

Le colonel Assimi Goïta, vice-président de la transition et homme fort du CNSP, s’est exprimé à la télévision. Il a déclaré qu’il avait placé les principaux responsables «hors de leurs prérogatives» afin de «préserver la charte de la transition et défendre la République».

La police malienne se rassemble devant la Bourse du travail. Les travailleurs en grève s’y sont réunis pour protester contre l’arrestation du président Bah N’Daw et du Premier ministre Moctar Ouane par des militaires à Bamako, au Mali, le 25 mai 2021. (AP Photo)

Goïta a critiqué le gouvernement intérimaire de Ouane pour avoir procédé à un remaniement ministériel «en accord avec le président de transition» mais «sans concertation avec le vice-président», c’est-à-dire lui-même. Deux des principaux alliés de Goïta, les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, qui occupaient les portefeuilles de la défense et de la sécurité, ont été évincés du gouvernement la veille. Goïta a également accusé le gouvernement de ne pas avoir réussi à maîtriser la vague croissante de grèves au Mali.

Le coup d’État survient alors que le Mali et l’ensemble du Sahel sont secoués par des protestations sociales croissantes contre les huit années de guerre française au Sahel et par des grèves de masse. Les arrangements sur lesquels l’impérialisme français s’est appuyé pour lancer sa guerre en 2013 – prétendument pour lutter contre le «terrorisme» mais en réalité pour occuper son ancienne colonie, après qu’un coup d’État ait chassé le président malien Amadou Toumani Touré en mars 2012 – s’effondrent. La guerre étant largement détestée, les travailleurs maliens entrent en lutte, réclamant des augmentations de salaire.

La semaine dernière, l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) a appelé à une grève de cinq jours après l’échec des négociations avec le gouvernement sur les salaires. La grève a entraîné la fermeture des banques et des services publics. Le syndicat a déclaré que «dans toutes les régions du Mali et à Bamako, l’administration est paralysée».

Les grévistes exigent la mise en œuvre de revendications essentielles, notamment le recrutement d’au moins 20.000 jeunes diplômés dans la fonction publique. Les fonctionnaires réclament également l’intégration dans la fonction publique de tous les enseignants des écoles communautaires, et l’application des augmentations salariales qu’ils ont obtenues dans le secteur public en 2014 et 2019 au secteur privé.

L’objectif central du coup d’État, tel qu’il est apparu rapidement, est de travailler avec la bureaucratie syndicale et l’establishment politique corrompu. Ensemble, ils visent à étrangler la grève et à écraser l’opposition croissante de la classe ouvrière à l’exploitation, à la gestion officielle bâclée de la pandémie de COVID-19 et à la guerre française.

Sous la pression intense des travailleurs, l’UNTM fut contrainte de menacer d’une grève illimitée à partir de vendredi si ses revendications n’étaient pas satisfaites. Mais hier soir, l’UNTM a saisi le prétexte du coup d’État pour annuler la grève. «La centrale syndicale ne veut pas augmenter la souffrance éventuelle de la population à travers cette nouvelle crise politique», a déclaré à l’AFP le secrétaire aux questions économiques de l’UNTM, Ousmane Traoré.

La trahison de la bureaucratie de l’UNTM révèle les objectifs sous-jacents des putschistes maliens et de leurs commanditaires à Paris: supprimer la grève et le militantisme politique croissants parmi les travailleurs du Mali et du Sahel, afin que la guerre et l’exploitation de la classe ouvrière puissent se poursuivre.

Vendredi dernier, Ouane a réagi aux grèves croissantes en présentant la démission de son gouvernement. Ndaw l’a immédiatement reconduit dans ses fonctions pour former un nouveau gouvernement. Cependant, cela a provoqué d’âpres conflits au sein du régime dit de «transition» du Mali, qui a émergé en septembre dernier du coup d’État du 18 août 2020 ayant renversé le président Ibrahim Bouba Keïta. Ce régime est officiellement chargé de superviser une transition de 18 mois vers le retour à un régime civil, avec des élections prévues pour février 2022.

La junte du CNSP, mais aussi le Mouvement-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RPF) du 5 juin 2020 se sont opposées à la reconduction de Ouane par Ndaw, le M5-RPF déclarant qu’il ne ferait pas partie du futur gouvernement.

Le M5-RPF a été la principale organisation politique qui a soutenu le coup d’État du CNSP en août dernier, encourageant les manifestations de masse des jeunes à Bamako à aller vers l’impasse d’un soutien au CNSP. Le M5-RPF et le CNSP ont tous deux été fortement soutenus en coulisses, pendant le coup d’État de l’année dernière, par l’impérialisme français. Ce dernier a soutenu le coup d’État pour bloquer un mouvement plus large de la classe ouvrière malienne et des masses opprimées qui exigeraient que les troupes françaises quittent le Sahel.

S’appuyant sur ces forces politiques, Goïta a lancé le coup d’État. Il a clairement calculé que, comme lors du coup d’État d’août 2020, quelles que soient les critiques formulées par les puissances impérialistes, elles ne seraient que de pure forme, et que Paris continuerait à le soutenir tant qu’il créera les conditions de la poursuite de la guerre de la France.

En effet, les puissances européennes, le département d’État américain, les Nations unies (ONU) et l’Union africaine (UA) ont fait les condamnations officielles habituelles. L’ONU et l’UA ont publié une déclaration commune exigeant la «libération immédiate et inconditionnelle» des responsables intérimaires, ajoutant que «la communauté internationale rejette par avance tout acte de coercition, y compris les démissions forcées.» La CEDEAO, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont également signé cette déclaration.

Lors du sommet européen de lundi, le président français Emmanuel Macron a dénoncé un «coup d’État inacceptable» au Mali, menaçant l’UE de sanctions contre le pays. Les dirigeants européens ont «condamné avec la plus grande fermeté l’arrestation du président du Mali et de son premier ministre», a déclaré Macron, estimant qu’il s’agissait d’un «coup d’État dans le coup d’État, inacceptable».

Toutes ces déclarations sont une rhétorique vide destinée à fournir une feuille de vigne démocratique à un coup d’État militaire et à la suppression de la classe ouvrière afin que la guerre puisse continuer.

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a qualifié le coup d’État de «coup de force». Il a refusé de le qualifier de «coup d’État militaire». Radio France Internationale a expliqué que le but de cette terminologie était de «laisser une chance aux négociations» entre Goïta et les autorités civiles.

Le Drian a clairement indiqué que la politique française consiste à faire pression sur l’armée et les partis politiques pour qu’ils trouvent un accord qui soutient le gouvernement de transition et la présence de la France au Mali. S’adressant à l’Assemblée nationale, il a déclaré: «Nous exigeons la libération des autorités dont la sécurité doit être garantie et la reprise immédiate du cours normal de la transition… Je précise que, si d’aventure il n’y avait pas un retour à l’ordre de la transition, nous prendrions des mesures immédiates de ciblage contre les responsables militaires et politiques qui entravent la transition».

Cette politique impérialiste cynique dégouline de sang. Comme Paris a tenté de monter les différents groupes ethniques les uns contre les autres, le Mali a connu une augmentation des massacres sectaires et des meurtres perpétrés par les forces soutenues par la France. La Division des droits de l’homme et de la protection des Nations unies a répertorié plus de 100 exécutions extrajudiciaires perpétrées par les Forces de défense et de sécurité maliennes (FDSM) soutenues par la France.

Déjà victime de fortes perturbations de son approvisionnement alimentaire liées au réchauffement climatique, le Mali a été dévasté par la pandémie de COVID-19. Les 14.252 cas et 514 décès dus au COVID-19 sont largement supposés être une massive sous-estimation, car le système de santé sous-développé du pays est submergé.

En raison de la montée des violences de guerre dans les régions du centre et du nord, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao et Ménaka, le nombre total de personnes déplacées à l’intérieur du Mali a explosé, passant de 208.000 à 326.000 en 2019 et 2020, selon l’Observatoire des déplacements internes. Les violences ont également débordé sur le Burkina Faso et le Niger voisins. Selon le Projet de données sur les lieux et les événements de conflits armés (Armed Conflict Location & Event Data Project) le Mali a connu son année la plus meurtrière jamais enregistrée en 2020, qui a compté plus de 2.800 victimes.

Une tâche essentielle des travailleurs au niveau international est de s’opposer à la guerre française au Mali et de défendre les luttes des travailleurs maliens contre les menaces de l’armée malienne, de Paris et de leurs alliés internationaux.

(Article paru d’abord en anglais le 26 mai 2021)

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