Le procès de l’officier de l’armée Franco A. met en lumière le réseau fasciste dans l’appareil d’État allemand

Le jeudi 20 mai a commencé le procès de Franco A., un soldat d’extrême droite dans la Bundeswehr (Forces armées), au tribunal de grande instance de Francfort. Le parquet fédéral l’accuse d’avoir préparé un «acte de violence grave à l’encontre de l’État». Utilisant une fausse identité de réfugié, il aurait planifié des attaques terroristes contre des politiciens et des institutions publiques pour «changer les conditions politiques en République fédérale d’Allemagne conformément à ses idées d’extrême droite», selon une porte-parole du parquet fédéral.

Dans la salle d’audience, l’accusé a admis avoir demandé l’asile sous un faux nom mais est resté silencieux sur l’accusation de planification d’attaques. Le juge qui présidait a ensuite déclaré que la procédure pour entendre les témoignages abondants nécessiterait forcément une «très longue audience principale».

Franco A. dans une interview avec RT Allemagne (capture d’écran)

Le procès met une fois de plus en lumière les réseaux terroristes de droite étendus dans l’appareil d’État allemand – ainsi que la manière dont ces réseaux sont dissimulés et minimisés par les politiciens, la justice, les services de renseignement et une partie des médias. Depuis que sa première arrestation en 2017 a déclenché des réactions frénétiques au sein du ministère de la Défense et des services de renseignement, des détails sont apparus qui brossent un tableau clair.

L’officier Franco A. faisait partie d’un réseau de soldats d’élite, de policiers spéciaux et de représentants de l’État dont les principaux responsables sont toujours en liberté bien qu’ils aient commis de graves infractions liées aux armes. Les membres du réseau ont fait de grands efforts dans leur préparation d’un coup d’État armé le «Jour X» et, en lien avec ceci, planifié la détention et le meurtre de politiciens, de militants des droits civiques et de travailleurs humanitaires pour les réfugiés.

Franco A. lui-même, avec deux complices, aurait volé plus de 1000 cartouches de munitions ainsi que 51 grenades de la Bundeswehr et les aurait stockées en privé avec de longues listes d’«ennemis». En 2015, il a développé une identité de couverture en tant que réfugié syrien et a demandé l’asile avec succès en Bavière. Selon l’acte d’accusation, ses opinions «völkisch-nationalistes fermement ancrées» sont documentées, entre autres, par plusieurs heures d’enregistrements vocaux saisis.

Les listes de personnes ciblées pour être assassinées contiennent les noms et adresses de la vice-présidente du Bundestag (parlement fédéral) Claudia Roth (Parti vert), de l’ex-président fédéral Joachim Gauck, le ministre de la Justice d’alors et maintenant ministre des Affaires étrangères Heiko Maas (Parti social-démocrate, SPD) et Anetta Kahane, présidente de la Fondation antiraciste Amadeo Antonio.

Selon l’Office fédéral d’enquête de la police judiciaire (BKA), les plans d’attaque contre Kahane étaient les plus avancés. Entre autres choses, les enquêteurs ont trouvé des photos du stationnement souterrain de la Fondation et des croquis de l’emplacement de ses locaux sur la personne de Franco A., ainsi que des plans pour un transfert d’armes dans la capitale et une voie d’évacuation présumée qui devait conduire de Berlin via sa caserne d’Illkirch au refuge de réfugiés en Bavière.

Malgré ces preuves circonstancielles claires, les avocats de la défense de Franco A. ont argumenté de manière agressive au début du procès. Sans commenter le matériel militaire saisi et les nombreuses preuves, l’un des avocats a affirmé par voie de la presse que Franco A. avait été «victime d’une campagne de dénigrement» lancée «par une partie de la presse à sensation». En réalité, «certaines parties des tabloïds» – y compris le journal Bild et la chaîne de télévision RT Deutsch – avaient donné à Franco A. la possibilité de s’épancher longuement à l’avance.

Au cours du procès, la défense a par la suite lu une déclaration qui parlait de «calomnie » dans les médias et accusé la partie adverse d’exercer «une influence politique sur les enquêtes» et de «s’éloigner de la loi». La teneur de leur déclaration était que ce qui était «dangereux pour l’État» n’était pas le soldat de la Bundeswehr «déguisé en réfugié», armé de munitions et de listes de mise à mort, mais «des parties du gouvernement» qui «faisaient cause commune avec des gangs de trafiquants d’êtres humains».

L’affirmation effrontée de Franco A. selon laquelle il n’était «pas un extrémiste de droite» est en totale contradiction avec les faits. Les enquêteurs lui ont saisi non seulement de la littérature pertinente (y compris le «Mein Kampf» d’Hitler), mais aussi des souvenirs de la Wehrmacht (l’armée d’Hitler) et des déclarations telles que «Hitler est au-dessus de tout» et «Ma religion est ma nature germanique». En fait, tout indique que Franco A. est un conspirateur fasciste qui a longtemps été parrainé par de hauts dirigeants de la Bundeswehr.

En 2014, Franco A. rédigea un mémoire de maîtrise qui a été comparé par plusieurs journalistes aux brochures des terroristes d’extrême droite Anders Breivik, Brenton Tarrant et les assassins de Halle et Hanau. Dans son opus, il appelle l’immigration nationale «autogénocide» et invoque un complot juif qui vise la destruction de l’Europe, allant du prophète Isaïe à l’investisseur George Soros.

Après que les formateurs de Franco A. dans l’armée française l’ont laissé tomber face à de tels récits fascistes, ses supérieurs de la Bundeswehr sont intervenus et ont certifié qu’il était devenu «victime de sa propre capacité intellectuelle». Il n’y avait «aucune preuve» d’une attitude d’extrême droite de la part de Franco A., a-t-on dit. «Les doutes sur l’attitude requise à l’égard de l’ordre social des valeurs» «ne pouvaient non seulement pas être prouvés, mais ils peuvent être écartés», ont-ils déclaré.

Franco A. a pu produire une deuxième thèse et atteindre le grade de premier lieutenant de la Bundeswehr. Les enquêtes sur d’éventuelles infractions disciplinaires ont été abandonnées et ont donné lieu à un avertissement qui, contrairement au règlement intérieur, n’a pas été inscrit dans son dossier personnel.

Aussi étonnant que soit le cas Franco A., il ne s’agit que d’une partie d’une conspiration fasciste beaucoup plus large au sein de l’appareil d’État allemand.

En 2015 – à peine un an après avoir rédigé sa thèse – Franco A. a été recruté lors d’une foire d’armes par André S., alias «Hannibal», pour son réseau «survivaliste» qui, selon des témoignages, des journaux et d’archives de conversations en ligne saisies, est dit avoir eu des «lieux sûrs» en Allemagne, en Autriche et en Suisse et se préparait à la guerre civile le «Jour X».

Des membres du groupe Hannibal-nord «Nordkreuz» avaient volé des dizaines de milliers de cartouches de munitions dans les stocks du gouvernement – y compris des munitions militaires des forces spéciales de la police dans toute l’Allemagne – et avaient prévu d’enlever des opposants politiques dans des véhicules de transport de la Bundeswehr et de les assassiner à des endroits précis. À cette fin, ils ont tenu des listes d’ennemis et passé des commandes pour de la chaux caustique et des centaines de sacs mortuaires.

Comme le rapporte le journal taz, Franco A. s’est rapidement avancé pour devenir un membre moteur du groupe «Sud» de ce réseau. Lorsqu’un courriel avec le message d’accueil «L’Allemagne se réveille! Heil, Segen und Sieg » (Salut, bénédictions et victoire) a mis mal à l’aise un membre, Franco A. a répondu:« Moraliser, comme tu fais ici, est toujours une nouvelle raison pour un échange oppressif et non libre. Notre groupe doit rester libre de cela.»

En février 2017, Franco A. fut finalement arrêté par les autorités autrichiennes à Vienne alors qu’il tentait de faire introduire une arme à feu en Allemagne. Neuf mois plus tard, la Cour fédérale de justice leva le mandat d’arrêt contre lui parce qu’elle ne voyait «aucun soupçon urgent» concernant la préparation d’attentats terroristes.

Le Tribunal de grande instance de Francfort a même déclaré qu’il y avait un manque de «soupçons suffisants» quant à la préparation d’un acte de violence grave mettant en danger l’État, bien que le tribunal ait explicitement confirmé l’accusation selon laquelle Franco A. avait acheté les deux pistolets, les deux fusils et 51 engins explosifs et les a gardés.

Franco A. profita immédiatement de sa liberté retrouvée pour préparer sa réinsertion, par exemple, en fournissant aux journalistes de la Neue Zürcher Zeitung une partie des dossiers via ses avocats, qui ont ensuite rédigé une histoire sympathique en trois parties à son sujet.

En juillet 2017, la Cour suprême fédérale avait abandonné le mandat d’arrêt contre le complice de Franco A. Maximilian T., quand bien même il avait une liste d’ennemis identique et avait régulièrement fourni à Franco A. un alibi à la Bundeswehr lors de sa convocation d’entretien avec les autorités responsables des réfugiés. Comme son camarade et ami Franco A., Maximilian T. s’était également révélé à plusieurs reprises en tant qu’extrémiste de droite dans le bataillon des Rangers d’Illkirch.

Après le début des enquêtes contre Maximilian T. en 2017, le député du Bundestag, Jan Nolte, de l’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), embaucha l’officier en tant qu’assistant personnel. Grâce à son nouveau supérieur, qui est membre et secrétaire de la commission de la défense, Maximilian T. a non seulement eu accès aux secrets militaires de la Bundeswehr, mais aussi aux informations et documents traitant de son cas. En octobre 2018, l’affaire fut classée sans suite et l’administration du Bundestag a délivré à Maximilian T. un laissez-passer parlementaire, bien que les services secrets et le service de contre-renseignement militaire (MAD) aient continué à le qualifier comme un extrémiste de droite.

Le procès actuel de Franco A. fait partie de toute une série d’affaires judiciaires contre des personnalités d’extrême droite qui se sont terminées par la libération des accusés. Par exemple, le dirigeant de Nordkreuz, Marco G., dont la peine de prison a été suspendue; André S., qui a reçu une amende; et un soldat d’élite de Saxe associé à Nordkreuz, qui avait caché des munitions sur sa propriété et a été condamné à deux ans de prison avec sursis en mars de cette année.

Bien que le pouvoir judiciaire dispose d’informations détaillées sur l’étendue du complot, qui est également dans le domaine public, le parquet fédéral s’est toujours abstenu de mener des enquêtes sur la «formation d’une organisation terroriste». Dans le même temps, la Bundeswehr, la police et les services de renseignement – dans les rangs desquels ces réseaux opèrent sans entrave – sont dotés de nouveaux pouvoirs de grande envergure et sont massivement renforcés pour être prêts à intervenir dans les luttes des classes à venir en Allemagne et en Europe.

(Article paru en anglais le 28 mai 2021)

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