Sur fond de guerre menée par la France, la junte militaire malienne installe un nouveau gouvernement d’intérim

Lundi, la Cour suprême du Mali a investi le colonel Assimi Goïta président de la transition après l’arrestation par la junte militaire du président Bah Ndaw et du premier ministre Moctar Ouane, forcés à démissionner il y a deux semaines. Goita a nommé Choguel Kokalla Maïga comme premier ministre du nouveau gouvernement.

Choguel Kokalla Maïga [Source: Wikipedia Commons]

Face aux critiques des États-Unis et des puissances européennes concernant la destitution du président, la junte a clairement indiqué qu'elle continuerait à travailler avec Paris dans le cadre de la guerre sanglante menée par la France au Mali.

Les puissances de l'OTAN ont mêlé des critiques creuses de la junte, qui travaille avec les forces d'occupation françaises depuis plus d'un an, à des menaces de sanctions visant à s'assurer qu’elle reste dans leur orbite géopolitique. Elles ont également exigé de la junte qu'elle garantisse la tenue d'élections en février 2022, afin de pouvoir présenter, de façon démagogique la junte de Bamako comme un régime 'civil'.

Goïta a répondu en promettant aux puissances impérialistes qu'il organiserait « des élections crédibles, justes, transparentes, aux échéances prévues ». Il a ajouté: « Je voudrais rassurer les organisations sous-régionales, régionales et la communauté internationale en général que le Mali va honorer l’ensemble de ses engagements pour et dans l’intérêt supérieur de la nation »

La décision de Goïta de choisir Choguel Kokalla Maïga comme premier ministre par intérim est également significative. Maïga, un outil de longue date des régimes militaires maliens, est président du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR) et l'un des leaders du Mouvement-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) du 5 juin 2020.

Le M5-RFP a soutenu le coup d'Etat lancé par la junte de Goïta en août dernier renversant le président Ibrahim Boubacar Keïta. Dans un contexte d'opposition croissante à la guerre de la France au Mali, le M5-RFP a encouragé les manifestations de masse des jeunes dans la capitale malienne à aller dans l'impasse du soutien à la junte de Goïta. Maïga serait également proche de l'imam Mahmoud Dicko, figure centrale du M5-RFP et des manifestations de l'année dernière ayant conduit au coup d'État de Goïta et au renversement de Keïta.

Le M5-RPF et le Comité national pour le salut du peuple ont tous deux été fortement soutenus en coulisses par l'impérialisme français lors du coup d'État de l'an dernier. Paris l’avait appuyé pour bloquer un mouvement plus large de la classe ouvrière et des masses opprimées exigeant que les troupes françaises quittent le Sahel.

Maïga a étudié les télécommunications en Union soviétique dans les années 1970 avant de retourner au Mali. Au cours de sa carrière politique de plus de 30 ans, Maïga a soutenu le dictateur Moussa Traoré (1968-1991), appuyé par la France et le président Amadou Toumani Touré (2002-2012) sous lequel il était ministre de l'Industrie. En 2013, il a soutenu Ibrahim Boubacar Keïta au second tour du scrutin, dont il a été le ministre de la Communication (de 2015 à 2016), avant de passer dans l'opposition. Il s'est présenté aux élections présidentielles de 2002, 2013 et 2018.

Alors que la guerre française au Mali s'enlise dans une débâcle sanglante, Maïga a critiqué l'accord de paix soutenu par la France entre les ex-rebelles du nord du Mali et le régime de Bamako, signé en 2015. Il a affirmé que cet accord était obsolète et maintenu que le gouvernement devait ouvrir des négociations avec les groupes armés, y compris ceux affiliés à Al-Qaïda.

Maïga travaille cependant avec acharnement pour signaler son soutien à la guerre de la France et aux puissances de l'OTAN, et son intention de conclure un accord qui grantisse leurs intérêts. Il s'est engagé à « respecter nos engagements internationaux, qui ne sont pas contraires aux intérêts fondamentaux du peuple malien ». Vendredi dernier, il a déclaré lors d'un rassemblement à Bamako que le Mali avait besoin du soutien de ses alliés, mais que « les invectives, les sanctions, les menaces ne feront que compliquer la situation ».

Le récent coup d'État de Goïta est survenu alors que les masses travailleuses du Mali et de tout le Sahel montent des actions de protestation grandissantes contre la guerre menée depuis huit ans par la France et contre l'effondrement des conditions sociales. Juste avant le coup d'État, l'Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) s'était sentie contrainte par la colère croissante de la classe ouvrière d'appeler à une grève nationale contre la baisse du niveau de vie. La bureaucratie de l'UNTM a annulé la grève après le coup d'État, prétendant cyniquement que Goïta donnait des motifs d’espoir aux travailleurs maliens.

Le secrétaire administratif de l'UNTM, Issa Bengaly, a déclaré: « Vous vous rappelez quand même que nous étions en grève depuis un certain temps, c'était pour nos préoccupations qui sont restées lettres mortes sous la transition. Lorsque Assimi Goïta a pris le pouvoir par la force, il a nommément cité la grève de l'UNTM dans sa première déclaration publique. Il fait cas de nos doléances qui sont restées lettres mortes auprès du premier ministre et du chef de l’État sortants. En tout cas, nous avons pris acte de cette déclaration. Mais en tant que représentant des travailleurs, ce qui nous préoccupe pour l'instant, c'est la prise en compte de nos préoccupations. »

Le soutien de l'UNTM au coup d'État met en évidence sa collaboration avec le M5-RFP, la junte de Goïta et ses soutiens impérialistes pour supprimer l'opposition de la classe ouvrière à la guerre et à la baisse du niveau de vie.

La guerre de huit ans menée par la France a dévasté l'Afrique de l'Ouest. Le Centre mondial pour la responsabilité de protéger (GCR2P) a déclaré que «près de 7.000 personnes ont été tuées en 2020, ce qui en fait l’année la plus meurtrière au Sahel central depuis le début du conflit.» Plus de 2,2 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du Sahel par les combats, selon les chiffres de l’ONU.

L'opposition à la guerre de la France s'intensifie, notamment en raison d'une série de massacres horribles perpétrés par des milices soutenues par Paris, qui ont déclenché des manifestations appelant au retrait des troupes françaises. Lors de certaines de ces manifestations, les manifestants ont brandi des drapeaux russes et appelé la Russie à expulser les troupes françaises du Mali. « Nous voulons que les Français partent et que la Russie entre », a déclaré l'un d'eux.

Ces dernières années, l'influence régionale de la Russie s'est accrue. Selon le groupe de réflexion américain Center for Strategic and International Studies (CSIS), de 2010 à 2018, elle a triplé ses échanges commerciaux avec l'Afrique, passant de 6,6 à 18,9 milliards de dollars. Depuis 2017, Moscou soutient de plus en plus le président Faustin-Archange Touadéra en République centrafricaine (RCA), une ancienne colonie française, contre la France. En décembre dernier, elle a étendu son intervention militaire en RCA, en déployant 300 instructeurs militaires dans ce pays déchiré par la guerre.

Les espoirs de voir Moscou aider à expulser les forces d'occupation françaises du Mali et à mettre fin à l'oppression impérialiste française en Afrique seront déçus. Que ce soit à l'époque de la bureaucratie soviétique ou après la restauration stalinienne du capitalisme et la dissolution de l'Union soviétique en 1991, le Kremlin a toujours utilisé l'Afrique comme un pion dans ses négociations avec les puissances impérialistes. Pourtant, son influence est sans aucun doute un sujet de préoccupation à Paris, au milieu du sentiment anti-guerre croissant dans la région.

Jeudi, le président français Emmanuel Macron a annoncé une « transformation profonde » de la présence militaire de la France dans la région. S'exprimant avant les sommets du G7 et de l'OTAN, il a déclaré que « la forme de notre présence, celle d'opérations extérieures engageant plus de 5 000 hommes, maintenant depuis plusieurs années, n'est plus adaptée à la réalité des combats. »

Macron a indiqué que la mission française de l'opération Barkhane serait remplacée par une autre, dans laquelle la France chercherait à obtenir davantage de troupes de ses alliés régionaux et internationaux. « Nous transformons notre opération pour être cohérent et en soutien. Ce n'est pas lié aux évolutions récentes, au Tchad comme au Mali », a-t-il déclaré.

La mort récente du dictateur tchadien Idriss Déby, un outil de longue date de l'impérialisme français qui fournissait à Paris de la chair à canon pour les guerres dans toute la région, a déclenché une crise politique à N'Djamena dans un contexte de protestations sociales croissantes contre la baisse du niveau de vie au Tchad.

Macron entend continuer à utiliser toutes ces forces politiques corrompues, dont la junte militaire malienne et le M5-RFP, comme mandataires pour faire valoir les intérêts français. La colère croissante contre la guerre doit être convertie en un mouvement politique conscient, basé sur une stratégie socialiste révolutionnaire mobilisant la classe ouvrière à travers la région, ainsi qu'en France et dans les autres puissances de l'OTAN, contre la guerre impérialiste et pour le retrait des troupes d’Afrique.

(Article paru d’abord en anglais le 12 juin 2021)

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