Turquie: une adhérente du HDP kurde brutalement assassinée dans une attaque d'extrême droite contre les bureaux du parti à Izmir

Le World Socialist Web Site condamne fermement l'assassinat politique de Deniz Poyraz (38 ans), une membre du Parti démocratique des peuples (HDP), nationaliste kurde, jeudi. Ce meurtre politique est clairement une opération planifiée et soutenue par l'État, visant à créer les conditions d'une dictature brutale ciblant avant tout la classe ouvrière.

Bureau provincial du HDP à Izmir, après l'attaque, le 17 juin 2021. (source: @hdpgenelmerkezi/Twitter)

Dans sa première déclaration publique, le HDP a déclaré: « L'instigateur et le complice de cette attaque brutale est le gouvernement AKP-MHP [Parti de la justice et du développement/Parti du mouvement nationaliste] et le ministère de l'Intérieur qui cible constamment notre parti et nos membres. »

À 11 h 05, Onur Gencer (27 ans) est entré au deuxième étage du bureau provincial du HDP à Izmir. Poyraz, une militante du parti, était la seule personne présente et a été prise en otage. La police est arrivée mais n'est pas intervenue pendant au moins 15 minutes. Gencer a ensuite abattu Poyraz et s'est rendu à la police.

Il fut amicalement accueilli. Une vidéo montre la police demandant à l'agresseur « quel est ton nom, mon frère ? » lors de son arrestation. Selon une capture d'écran sur les réseaux sociaux, le tueur « aimait » des commentaires sur Instagram alors qu'il était en détention, et il a supprimé les « histoires » incriminables qu'il avait partagées sur son compte de réseau social.

Gencer a affirmé qu'il avait agi seul – « Je n'ai aucun lien avec qui que ce soit. Je suis entré dans le bâtiment parce que je déteste le PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan, nationaliste] » – et en représailles à certaines insultes sur les réseaux sociaux dirigées contre sa mère et sa sœur, postées jusqu'au 16 juin. Ce n'est pas du tout crédible. Il s'agissait d'une opération soigneusement planifiée qui aurait coûté beaucoup plus de vies sans circonstances fortuites.

Le coprésident du HDP, Mithat Sancar, a déclaré aux médias après l'attaque: « Il ne s'agissait pas d'un plan visant à tuer une personne au hasard. Nous avions prévu une réunion à laquelle participeraient 40 de nos administrateurs au moment exact de l'attaque. Cette réunion planifiée à l'avance a été reportée pour des raisons urgentes. Ils [les fascistes] préparaient un massacre. »

Les responsables du HDP ont fait remarquer que l'attaque avait été menée sous le nez de la police et contre un parti constamment surveillé par les forces de l'État et soumis à des provocations répétées. « L'attaque s'est produite alors même que le bâtiment du parti est juste en face du poste de police. C'est une attaque organisée, » a déclaré le député du HDP d'Izmir, Murat Çepni. « À ce stade, le Palais présidentiel lui-même et le ministère de l'Intérieur sont responsables de l'attaque, » a-t-il ajouté.

Selon l'Agence de Mésopotamie, Abdulkadir Baydur, responsable du HDP à Izmir, a déclaré qu'il s'était disputé avec la police pendant au moins 15 minutes et que personne n'avait répondu à la prise d'otages durant tout ce temps. « On entendait des tirs pendant que je me disputais avec la police. [Celle-ci] a réagi un peu plus tard et a capturé l'agresseur. »

Gencer avait tenté d'incendier le bâtiment avant de tuer son otage.

Initialement qualifié d'« ancien agent de santé », c’est un fasciste convaincu qui a déclaré aux autorités: « Depuis mon enfance, j'ai planifié de tuer des membres du PKK. L'incident s'est produit de manière improvisée. »

Sur son compte de réseau social, il a partagé des photos de lui tenant des armes à feu et faisant le signe des « Loups gris » d'extrême droite, associés au MHP ; photos prises dans le nord de la Syrie durant des opérations du groupe islamiste de l’«Armée syrienne libre », soutenu par la Turquie, contre les Unités de défense du peuple (YPG), affiliées au PKK. Dans un post de réseaux sociaux, le meurtrier partage une photo de lui avec fusil d'assaut, à Manbij le 21 février 2020, sous-titrée « un souvenir de Syrie ». Une autre photo de lui, titrée « De retour du devoir », le montre à Gaziantep, en Turquie.

Gencer a expliqué cela en affirmant avoir passé les premiers mois de 2020 en Syrie et à Manbij à travailler comme médecin, avant de démissionner de sa profession en avril 2021. Le député du HDP d'Istanbul, Hüda Kaya, a répondu en insistant sur le fait qu'il avait été formé militairement par l’International Defense Consulting Industry and Trade Inc (SADAT), une organisation qui se définit comme « entreprise de conseil et de formation militaire dans le domaine de la défense ». SADAT a longtemps été accusée de mener des opérations dans l'intérêt de l'État turc.

Gencer a confirmé que son attaque était prévue dès janvier 2021, où il avait «effectué quelques reconnaissances à plusieurs reprise ». Il avait « fait la demande d’un permis de possession d'arme à feu à la Direction de la sécurité du district de Gaziemir en mai 2021» et avait « reçu un permis temporaire », après quoi il avait acheté « un pistolet Ruger pour 3 500 lires », utilisé dans l'attaque.

L'attaque est survenue après que le président Recep Tayyip Erdoğan eut déclaré la guerre à toute opposition à son régime, fin mai. Il a applaudi la tentative d'attaque physique contre la dirigeante d'extrême droite du Bon Parti, Meral Akşener, et a déclaré qu'ils « lui avaient donné une bonne leçon sans aller trop loin […] Ce n'est que la première. Beaucoup d'autres choses vont arriver, ce sont des jours meilleurs ».

Le HDP est la cible d'opérations continues de l’État depuis des années, au motif qu'il a des « liens » avec le PKK qui est interdit. Des membres du HDP, y compris d'anciens dirigeants et députés, ont été emprisonnés et des administrateurs nommés dans les circonscription remportées par le parti aux dernières élections. En Mars, le gouvernement a décidé (article en anglais) d’interdire le parti, le troisième plus important du Parlement, qui a reçu près de 5 millions de voix. Le HDP a indiqué dans un communiqué qu'il avait « été pris pour cible par le parti au pouvoir et le ministère de l'Intérieur et que des familles avaient été amenées devant les bâtiments provinciaux du HDP dans un but de provocation pendant des mois ».

L'attaque contre les bureaux du HDP à Izmir est survenue immédiatement après la réunion du (article en anglais)14 juin entre Erdoğan et le président américain Joe Biden au sommet de l'OTAN; le principal point de discorde en avait été le soutien américain aux YPG en Syrie, comme arme contre le régime d'Assad, malgré la désignation par Washington du PKK comme « organisation terroriste ».

Sur fond d'une crise économique qui s'aggrave et face à une colère sociale croissante, exacerbée par la réponse mortifère de l'AKP à la pandémie, le gouvernement a encore été déstabilisé par les allégations de criminalité et de corruption du gangster d'extrême droite Sedat Peker, dont celles de livraisons d’armes présumées par la Turquie à Al Nusra, la branche d'Al Qaida en Syrie, organisées par la SADAT.

Peker a tweeté après l'attaque contre le HDP, « nous allons connaître des attaques beaucoup plus importantes […] dans les prochains jours. Si vous en croyez mon expérience et ma sincérité, ne descendez en aucun cas dans la rue ». Affirmant « qu'un très grand jeu est en train de se monter », il a écrit que si les masses descendaient dans la rue, l'ancien ministre de l'Intérieur Mehmet Ağar et ses hommes « utiliseraient leurs agents dans les organisations terroristes pour transformer les choses en chaos ».

L'assassinat a été condamné par les partis bourgeois d'opposition, que le HDP appelle les « forces de la démocratie », mais qui partagent la responsabilité de l'évolution de la situation actuelle. Le chef du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kılıçdaroğlu, a condamné l'attaque sur Twitter, déclarant: « Nous avons déjà vécu ce scénario, notre peuple ne tombera pas dans le piège cette fois. » Il a été rejoint par le chef du Bon Parti Akşener, le président du parti DEVA Ali Babacan, et Ahmet Davutoğlu, le chef du Parti du futur, tous partis ayant fait scission avec l’AKP.

Dans leurs déclarations, les responsables du HDP ont fait valoir que cette attaque était une répétition de la période du 7 juin au 1er novembre 2015 et appelé les partis d'opposition bourgeois à s'unir contre le gouvernement. Mais c'était une période où non seulement Erdoğan, mais encore le premier ministre Davutoğlu et le vice-premier ministre Babacan, que que le HDP compte maintenant parmi les « forces de la démocratie », dirigeaient l'AKP. Comme l’expliqua le World Socialist Web Site: « L'AKP, incapable de former un gouvernement de coalition après les élections de juin a appelé à de nouvelles élections pour le 1er Novembre. Cependant, voyant l'opposition à son régime monter de plus en plus, il compte attiser un sentiment anti-terreur et anti-kurde et pro-guerre pour mobiliser sa propre base et légitimer la répression de ses opposants politiques et des médias. »

Ce fut également une période où Washington et les autres grandes puissances impérialistes ont de plus en plus pris des mesures pour abandonner les milices islamistes et adopter les milices nationalistes kurdes comme principale force par procuration en Syrie, exacerbant les tensions entre Ankara et ses alliés de l'OTAN. Ces tensions culminèrent avec la résurgence de la guerre civile dans les provinces kurdes de Turquie, qui coûta des milliers de vies supplémentaires, et conduisit finalement à la tentative de coup d' État soutenue par l'OTAN contre Erdoğan, en juillet 2016.

Sur fond de tensions géopolitiques et de classe croissantes, le gouvernement turc se prépare clairement à une guerre contre la classe ouvrière, en utilisant à la fois les forces de l’État et les forces paramilitaires. La seule façon d'avancer contre ce danger est de mobiliser la classe ouvrière indépendamment de toutes les factions de la bourgeoisie pour prendre le pouvoir d'État dans le cadre d’une lutte pour le socialisme à l’international.

(Article paru en anglais le19 juin 2021)

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