Perspectives

100 ans depuis la fondation du Parti communiste chinois

Ce mois-ci, cela fait 100 ans que le congrès fondateur du Parti communiste chinois (PCC) s’est ouvert dans une école de filles de Shanghai en juillet 1921. Inspiré par la révolution russe de 1917, cet événement d’importance historique mondiale a marqué un tournant décisif dans la lutte prolongée du peuple chinois contre l’oppression de classe et la domination impérialiste.

Les conceptions révolutionnaires qui ont guidé la fondation du PCC il y a 100 ans sont en contradiction flagrante avec l’hypocrisie et les falsifications qui caractérisent les célébrations officielles du centenaire, qui sont conçues pour renforcer l’image publique du parti et celle du président Xi Jinping en particulier.

Un écran montre le président chinois Xi Jinping s’exprimant lors d’une cérémonie qui marque le 100e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois au pouvoir sur la place Tiananmen à Pékin, jeudi 1er juillet 2021. (AP Photo/Ng Han Guan) [AP Photo/Ng Han Guan]

La télévision chinoise est inondée des drames qui retracent l’histoire du parti. Des séminaires sont organisés dans les quartiers des villes et des villages du pays. Le «tourisme rouge» est encouragé: les branches du parti, les unités de travail et les clubs locaux sont incités à visiter les sites associés à l’histoire du PCC, notamment le lieu de naissance de Mao Zedong. Les cinémas sont tenus de projeter, deux fois par semaine, des films à la gloire du PCC, et les théâtres présentent des opéras dits révolutionnaires. Quatre-vingts nouveaux slogans, tels que «Suivez le Parti pour toujours» et «Aucune force ne peut arrêter la marche du peuple chinois», sont affichés partout.

Et la liste continue, tous vantant le nationalisme chinois et le rôle du PCC dans la fin de l’humiliante subordination de la Chine aux puissances impérialistes aux XIXe et XXe siècles et dans la construction de la nation chinoise. Les écoliers doivent rédiger des essais sur le «rêve chinois» de Xi qui vise à transformer la Chine en une grande puissance sur la scène internationale. Les cours pour adultes offrent des réductions pour les dissertations qui font l’éloge de l’idéologie maoïste et de la «Pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère».

Derrière cette extravagance nationaliste se cache une nette nervosité dans l’appareil du PCC, qui craint que le centenaire n’entraîne une remise en question critique de la litanie de mensonges qui compose l’histoire officielle du parti. Le 9 avril, le Centre de signalement des informations illégales et malsaines, une division de l’appareil chinois de maintien de l’ordre sur Internet, a ajouté une nouvelle couche à sa censure déjà très étendue en annonçant un nouveau dispositif pour lutter contre le «nihilisme historique». Les citoyens sont encouragés à signaler les publications en ligne qui déforment l’histoire du PCC, attaquent sa direction ou son idéologie ou «diffament les martyrs héroïques».

De bonnes raisons existent pour ces inquiétudes, en particulier dans un contexte de dégoût généralisé pour la bureaucratie corrompue du PCC, qui représente ouvertement les intérêts des couches les plus riches de la population. Toute la célébration officielle se construit sur le mensonge transparent que le parti est resté fidèle à ses principes fondateurs. En réalité, le PCC a renoncé depuis longtemps au programme d’internationalisme socialiste sur lequel il avait été fondé.

Le 23 juillet 1921 – et non le 1er juillet, une anomalie que le PCC n’a jamais corrigée – le congrès fondateur du Parti communiste chinois s’est ouvert dans un dortoir du Lycee Bowen pour femmes dans la Concession française de Shanghai, déplacé plus tard dans une maison privée. Douze délégués étaient présents – deux de Shanghai, deux de Pékin, deux de Wuhan, deux de Changsha et deux de Jinan – ainsi que deux représentants de la Troisième Internationale ou Comintern – Henk Sneevliet, dit Maring, et Vladimir Neiman, dit Nikolsky en Chine. Était également présent un représentant spécial de Chen Duxiu, qui n’a pas pu assister à la réunion mais qui a été élu président fondateur du PCC.

Alors que la propagande actuelle du PCC présente le congrès comme une affaire chinoise, la fondation du parti communiste en Chine, comme dans d’autres pays, reflétait l’énorme impact international de la révolution russe d’octobre 1917 et l’établissement du premier État ouvrier par le Parti communiste dirigé par Vladimir Lénine et Léon Trotsky. Le manifeste du congrès fondateur de la Troisième Internationale en mars 1919 lançait un appel direct aux masses des pays coloniaux, déclarant: «Esclaves coloniaux d’Afrique et d’Asie: l’heure de la dictature du prolétariat sera aussi l’heure de votre libération».

Les intellectuels et les jeunes de Chine qui cherchaient un moyen de lutter contre l’oppression semi-coloniale du pays ont trouvé ce message immensément attrayant. La révolution chinoise de 1911 a fait de Sun Yat-sen, qui avait formé le Kuomintang (KMT) nationaliste bourgeois, le président provisoire d’une «République de Chine». Mais il a réussi ni à unifier le pays ni à mettre fin à la domination impérialiste. En outre, au lendemain de la Première Guerre mondiale, les grandes puissances victorieuses présentes à la conférence de paix de Versailles en 1919 ont entériné les revendications du Japon sur la province de Shandong, saisie à l’Allemagne. Lorsqu’on a rendu publique cette décision, elle a provoqué des protestations et des grèves généralisées à partir du 4 mai 1919. Ce que l’on a appelé le mouvement du 4 mai est né d’un sentiment anti-impérialiste, mais a donné lieu à une effervescence intellectuelle et politique beaucoup plus large, dans laquelle Chen Duxiu et son proche collaborateur Li Dazhao ont joué un rôle de premier plan.

Un article récent publié par l’agence de presse étatique Xinhua dans sa série «Leçons du centenaire du PCC» déclare que l’objectif de la fondation du parti en 1921 était le «grand rajeunissement de la nation chinoise». On peut lire ensuite: «[Le PCC] assume les tâches historiques de sauver le pays, de le revitaliser, de l’enrichir et de lui donner du pouvoir; il sera toujours l’avant-garde de la nation chinoise et du peuple chinois; il forgera un monument historique, sur lequel ses grandes réalisations seront marquées pendant des milliers d’années.»

Cette glorification du nationalisme chinois est totalement étrangère aux conceptions qui ont guidé la fondation du PCC, liée à la révolution russe et à l’intervention de la Troisième Internationale en Chine. Les jeunes et les intellectuels qui ont émergé du mouvement du 4 mai pour former le parti avaient été gagnés à la compréhension que la lutte contre l’impérialisme était inséparable de la lutte internationale pour renverser le capitalisme et établir le socialisme. Son objectif était la révolution socialiste mondiale, et non la conception nationaliste réactionnaire – «le rajeunissement de la nation chinoise» – qui est l’élément central du «rêve» de Xi.

Les documents du premier congrès de 1921 ont élaboré les principes de base du parti: le renversement du capitalisme par la classe ouvrière et l’établissement de la dictature du prolétariat, menant à l’abolition des classes, à la fin de la propriété privée des moyens de production et à l’unité avec la Troisième Internationale.

Tout examen objectif du PCC aujourd’hui met à nu l’affirmation selon laquelle il continue à lutter pour ces objectifs. Le PCC n’est pas un parti du prolétariat, mais de l’appareil bureaucratique qui dirige la Chine. Même selon ses propres chiffres officiels, les travailleurs ne représentent que 7 pour cent des membres du parti qui est dominé par une écrasante majorité de fonctionnaires d’État et comprend certains des milliardaires les plus riches de Chine. Les syndicats d’État contrôlent la classe ouvrière et répriment toute opposition des travailleurs à leurs conditions oppressives.

L’affirmation selon laquelle la Chine, avec ses énormes sociétés privées, ses marchés boursiers et ses riches multimilliardaires, où le profit privé et le marché dominent tous les aspects de la vie, représente le «socialisme aux caractéristiques chinoises» est grotesque. Le «rêve» de Xi d’une nation chinoise puissante n’a rien à voir avec le socialisme ou le communisme. Il représente les ambitions des oligarques super riches et des élites fortunées qui ont émergé avec la restauration du capitalisme en Chine sous Deng Xiaoping à partir de 1978.

Dans la politique actuelle du gouvernement chinois, aucune trace ne reste de l’internationalisme qui a animé la fondation du PCC en 1921. L’objectif du PCC aujourd’hui n’est pas de renverser l’impérialisme, mais d’occuper une place de choix dans l’ordre capitaliste mondial. Il ne prône ni soutient la révolution socialiste nulle part dans le monde, y compris et surtout en Chine, où il utilise son énorme appareil d’État policier pour réprimer toute opposition, même limitée.

La question cruciale qui se pose aujourd’hui aux travailleurs, aux jeunes et aux intellectuels chinois désireux de lutter pour un socialisme authentique est de savoir quelle perspective guidera cette lutte. Pour répondre à cette question, on doit comprendre comment et pourquoi le PCC – qui était un parti révolutionnaire luttant pour renverser le capitalisme – s’est transformé en son contraire.

Trois tournants clés se distinguent dans l’histoire longue et complexe du parti.

La deuxième révolution chinoise (1925-27)

Le premier est la deuxième révolution chinoise de 1925-27 et sa défaite tragique. La principale responsabilité politique de l’écrasement de ce vaste mouvement révolutionnaire incombe à la bureaucratie émergente de Moscou. Dirigée par Staline, la Troisième Internationale, dans le contexte de la défaite des révolutions en Europe et de l’isolement continu de l’État ouvrier, a abandonné l’internationalisme socialiste sur lequel était fondée la révolution russe et a avancé la perspective réactionnaire du «socialisme dans un seul pays».

Ce faisant, l’appareil stalinien a transformé la Troisième Internationale – qui était le moyen de faire avancer la révolution socialiste mondiale – en un instrument de la politique étrangère soviétique. La classe ouvrière de tous les pays fut subordonnée à des alliances opportunistes avec des partis et organisations dits de gauche.

Travailleurs armés à Shanghai pendant la révolution de 1925-27

L’impact sur le jeune et inexpérimenté Parti communiste chinois a été immédiat. En 1923, le Comintern exigea, contre l’opposition des dirigeants du PCC, que le parti se dissolve et entre individuellement dans le KMT bourgeois, affirmant qu’il représentait «le seul groupe révolutionnaire national sérieux en Chine».

Cette instruction niait toute l’expérience de la révolution russe, qui s’était déroulée en opposition irréconciliable avec la «bourgeoisie libérale». C’était un retour à la théorie des deux étapes des mencheviks qui soutenaient que dans la lutte contre l’autocratie tsariste en Russie, la classe ouvrière ne pouvait qu’aider les cadets libéraux à établir une république bourgeoise, remettant la lutte pour le socialisme – la deuxième étape – à un avenir indéfini.

Lorsque la question fut discutée au Politburo du Parti communiste de l’Union soviétique au début de 1923, Léon Trotsky fut le seul membre à s’opposer et à voter contre l’entrée dans le KMT. Lénine avait été rendu invalide par une série d’attaques cérébrales, la première en mai 1922. Dans son «Projet de thèse sur les questions nationales et coloniales» écrit en 1920, Lénine avait insisté sur le fait que le prolétariat, tout en soutenant les mouvements anti-impérialistes, devait maintenir son indépendance politique vis-à-vis de toutes les fractions de la bourgeoisie nationale.

Dans sa théorie de la Révolution permanente, qui a guidé la révolution russe, Trotsky a démontré l’incapacité organique de la bourgeoisie nationale à accomplir les tâches démocratiques fondamentales, qui ne pouvaient donc être réalisées que par le prolétariat, dans le cadre de la lutte pour le socialisme. Il a formé l’Opposition de gauche plus tard en 1923 pour défendre les principes de l’internationalisme socialiste contre leur renoncement par la bureaucratie stalinienne.

La subordination du PCC, et donc de la classe ouvrière chinoise, au KMT devait avoir des conséquences dévastatrices pour le mouvement révolutionnaire de masse de grèves et de protestations qui a éclaté en 1925, déclenché par la fusillade de manifestants à Shanghai par la police municipale britannique le 30 mai. Malgré l’imposition de restrictions de plus en plus strictes sur les activités politiques des membres du PCC au sein du KMT – désormais dirigé par Chiang Kai-shek – Staline s’opposa à toute rupture avec le KMT et continua à peindre ce parti bourgeois sous de vives couleurs «révolutionnaires».

En 1927, Trotsky a mis à nu la fausseté de l’affirmation de Staline selon laquelle la lutte contre l’impérialisme obligerait la bourgeoisie chinoise à jouer un rôle révolutionnaire, en expliquant:

La lutte révolutionnaire contre l’impérialisme n’affaiblit pas, mais au contraire renforce la différenciation politique des classes… Pour encourager réellement les ouvriers et les paysans à se lever contre l’impérialisme n’est possible qu’en reliant les intérêts fondamentaux et les plus profonds de leur vie à la cause de la libération du pays… Mais tout ce qui amène les masses opprimées et exploitées des travailleurs à se lever pousse inévitablement la bourgeoisie nationale dans un bloc ouvert avec les impérialistes. La lutte des classes entre la bourgeoisie et les masses d’ouvriers et de paysans n’est pas affaiblie, mais, au contraire, est aiguisée par l’oppression impérialiste, au point de provoquer une guerre civile sanglante à chaque conflit majeur.

Légende: Un des hommes de main de Chiang exécutant un ouvrier communiste en 1927

Cet avertissement a été tragiquement confirmé. En subordonnant le PCC au KMT, Staline devint le fossoyeur de la révolution, facilitant le massacre en avril 1927 de milliers d’ouvriers et de membres du PCC à Shanghai par Chiang Kai-shek et ses armées. Puis il a été suivi du massacre des ouvriers et des paysans par le Kuomintang dit de gauche en mai 1927. Staline a ensuite fait une brusque volte-face et, alors que la marée révolutionnaire s’essoufflait, a entraîné le Parti communiste chinois dans une série d’aventures désastreuses.

Ces défaites catastrophiques, qui devaient avoir un impact d’une telle portée sur l’histoire du 20e siècle, ont effectivement marqué la fin du PCC en tant que parti de masse de la classe ouvrière chinoise.

Loin de tirer les leçons politiques nécessaires de cette expérience tragique, Staline a insisté sur le fait que ses politiques étaient correctes et a fait du dirigeant du PCC Chen Duxiu le bouc émissaire des défaites. Chen et d’autres dirigeants éminents du PCC, cherchant des réponses aux questions posées par la deuxième révolution chinoise, ont été attirés par les écrits de Trotsky et ont formé l’Opposition de gauche chinoise, puis une section de la Quatrième Internationale, que Trotsky a créée en 1938 en opposition aux trahisons monstrueuses du stalinisme en Chine et au niveau international.

Ceux qui sont restés au sein du PCC ont défendu Staline et ses crimes jusqu’au bout, y compris la théorie menchévique des deux étapes, et se sont retirés à la campagne. Mao Zedong, qui devait finalement assumer la direction incontestée du PCC en 1935, a tiré la conclusion antimarxiste des défaites des années 1920 que c’était la paysannerie, et non le prolétariat, qui était la principale force de la révolution chinoise.

La troisième révolution chinoise de 1949

Cette conclusion devait avoir des conséquences considérables pour la troisième révolution chinoise de 1949 – le deuxième grand tournant dans l’histoire du PCC.

Même si Trotsky était parfaitement conscient de l’immense signification révolutionnaire démocratique des luttes de la paysannerie en Chine et de la nécessité pour la classe ouvrière de gagner le soutien des masses paysannes, il a lancé un avertissement très clairvoyant sur les implications de la tentative de substituer la paysannerie au prolétariat comme fondement social du mouvement socialiste révolutionnaire.

Dans une lettre de 1932 adressée aux partisans chinois de l’Opposition de gauche, Trotsky écrit:

Le mouvement paysan est un puissant facteur révolutionnaire dans la mesure où il est dirigé contre les grands propriétaires fonciers, les militaristes, les féodaux et les usuriers. Mais dans le mouvement paysan lui-même se trouve des tendances propriétaires et réactionnaires très puissantes, et à un certain stade, il peut devenir hostile aux travailleurs et entretenir cette hostilité déjà armée. Celui qui oublie la double nature de la paysannerie n’est pas un marxiste. Il faut apprendre aux ouvriers avancés à distinguer, parmi les étiquettes et les bannières «communistes», les processus sociaux réels.

Les armées de paysans dirigées par Mao, a averti Trotsky, pourraient se transformer en un ennemi ouvert du prolétariat, incitant la paysannerie à s’opposer aux travailleurs et à leur avant-garde marxiste représentée par les trotskystes chinois.

L'armée paysanne victorieuse du PCC en 1949

La défaite du KMT, la prise du pouvoir par le PCC et la proclamation de la République populaire de Chine en octobre 1949 étaient le résultat d’un bouleversement révolutionnaire capital dans la nation la plus peuplée du monde. Elle s’inscrit dans le cadre des mouvements révolutionnaires et des luttes anticoloniales qui ont éclaté dans le monde entier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, reflétant la détermination des travailleurs à mettre fin au système capitaliste qui avait engendré deux guerres mondiales et la Grande Dépression.

En raison de la domination politique du PCC, la révolution chinoise était un phénomène contradictoire qui est mal compris. Suivant la ligne dictée par Staline qui a entraîné la défaite des mouvements révolutionnaires d’après-guerre en Europe notamment, Mao et le PCC ont maintenu l’alliance opportuniste avec le KMT, forgée en 1937 contre l’invasion japonaise de la Chine, et ont tenté de former un gouvernement de coalition. Ce n’est que lorsque Chiang Kai-shek et le KMT ont lancé une action militaire contre le PCC que Mao a finalement appelé à son renversement en octobre 1947 et à la construction d’une «Chine nouvelle».

Le rapide effondrement du KMT au cours des deux années suivantes témoignait de sa corruption interne et de la faillite du capitalisme chinois, ce qui a suscité une opposition généralisée, notamment une vague de grèves dans la classe ouvrière. Le PCC, cependant, ne s’est pas adressé à la classe ouvrière et a insisté pour qu’elle attende passivement l’entrée des armées paysannes de Mao dans les villes. Suivant la théorie menchévique et stalinienne des deux étapes, la perspective de Mao d’une «Nouvelle Chine» était celle d’une république bourgeoise. Dans cette république, le PCC maintiendrait les relations de propriété capitaliste et les alliances avec les restes de la classe capitaliste chinoise, qui pour la plupart avaient fui avec le KMT à Taiwan.

Le programme de Mao a conduit à la déformation de la révolution. Le maintien des relations de propriété capitaliste impliquait la suppression bureaucratique des revendications et des luttes des travailleurs. L’appareil d’État stalinien qui a émergé de la direction des armées paysannes, et s’est appuyé sur elles, était profondément hostile à la classe ouvrière. Les travailleurs étaient recrutés par le PCC non pas pour donner à la classe ouvrière une voix politique, mais pour renforcer son contrôle sur la classe ouvrière.

Mao avait prétendu que l’étape «démocratique» de la révolution durerait de nombreuses années. Cependant, en moins d’un an, le PCC a dû faire face à la menace d’une attaque militaire de l’impérialisme américain, qui a déclenché la guerre de Corée en 1950. Alors que la guerre se poursuivait et que la Chine fut obligée d’intervenir, elle a dû faire face à un sabotage interne de la part de couches de la classe capitaliste qui considéraient les armées dirigées par les États-Unis en Corée comme leurs libérateurs potentiels. Face à une éventuelle invasion américaine, le régime maoïste a été contraint de faire rapidement des incursions dans l’entreprise privée et d’instituer une planification économique bureaucratique de style soviétique.

En même temps, craignant un mouvement de la classe ouvrière, le régime maoïste a réprimé les trotskystes chinois. Il a arrêté des centaines de membres, leurs familles et leurs partisans dans des rafles nationales le 22 décembre 1952 et le 8 janvier 1953. Nombre des trotskystes les plus éminents sont restés emprisonnés sans inculpation pendant des décennies.

Dans une résolution de 1955, les trotskystes américains du Parti socialiste des travailleurs (Socialist Workers Party – SWP) [1] caractérisent la Chine comme un État ouvrier déformé. La nationalisation de l’industrie et des banques, ainsi que la planification économique bureaucratique, avait jeté les bases d’un État ouvrier, mais celui-ci se trouvait déformé dès sa naissance par le stalinisme. La Quatrième Internationale a défendu inconditionnellement les relations de propriété nationalisées établies en Chine. En même temps, cependant, elle reconnaissait les origines bureaucratiques déformées du régime maoïste comme sa caractéristique dominante, faisant de son renversement par la révolution politique la seule voie possible pour la construction du socialisme en Chine, en tant que partie intégrante de la lutte pour le socialisme au niveau international.

La révolution chinoise de 1949 est considérée à juste titre par les travailleurs et les jeunes Chinois comme une énorme avancée. Elle a mis fin à la domination et à l’exploitation impérialistes directes et, en réponse aux aspirations sociales du mouvement révolutionnaire des travailleurs et des paysans, le PCC a été contraint d’éliminer une grande partie de ce qui était socialement et culturellement arriéré dans la société chinoise, notamment la polygamie, les fiançailles d’enfants, le bandage des pieds des femmes et le concubinage. L’analphabétisme a été largement aboli et l’espérance de vie a augmenté de manière significative.

Néanmoins, la perspective stalinienne du PCC du «socialisme dans un seul pays» a conduit en très peu de temps à une impasse économique et à l’isolement international de la Chine après la scission sino-soviétique de 1961-1963. Dans le cadre de l’autarcie nationale, la direction maoïste était incapable de trouver une solution aux problèmes de la Chine et de son développement.

Cela a résulté dans une série de querelles internes amères et destructrices entre factions, alors que le PCC se démenait pour trouver une issue à ses dilemmes. Cela a conduit à un désastre après l’autre, lié à la perspective nationaliste du parti et aux tentatives de Mao de surmonter les problèmes du développement de la Chine au moyen de manœuvres subjectives et pragmatiques.

Il s’agit notamment du catastrophique «Grand bond en avant» de Mao, qui a provoqué une famine de masse, et de la grande révolution culturelle prolétarienne qui n’était ni grande, ni prolétarienne, ni révolutionnaire. La tentative de Mao, de mobiliser des étudiants, des éléments du lumpenprolétariat et des paysans dans les Gardes rouges afin de régler ses comptes avec ses rivaux s’est avérée un désastre total et s’est terminée par l’utilisation de l’armée afin de réprimer les travailleurs en grève.

Le tournant vers la restauration capitaliste dans les années 1970

Les travailleurs chinois doivent faire une distinction nette entre la révolution nécessaire et justifiée de 1949 et le caractère réactionnaire de la Révolution culturelle, dont l’agitation n’a fait que préparer le terrain pour le troisième grand tournant historique: la restauration capitaliste et le démantèlement systématique des acquis de la Révolution chinoise de 1949.

Diverses tendances néo-maoïstes cherchent faussement à dépeindre Mao comme un authentique socialiste et un révolutionnaire marxiste, dont les idées ont été trahies par d’autres, en particulier par Deng Xiaoping, qui a introduit les premières réformes promarché en 1978.

Le président Richard Nixon est assis entre le premier ministre chinois Chou En-Lai et Chiang Ching, l'épouse du président Mao Tse-tung, lors d'un spectacle culturel dans le Grand Hall du peuple à Pékin, le 22 février 1972, en guise d'intermède dans les discussions entre les dirigeants des deux pays. (Photo AP)

En réalité, c’est Mao lui-même qui a ouvert la voie à la restauration capitaliste. Face à des problèmes économiques et sociaux croissants et à la menace d’une guerre avec l’Union soviétique, Pékin a forgé une alliance antisoviétique avec l’impérialisme américain qui a jeté les bases de l’intégration de la Chine dans le capitalisme mondial. Le rapprochement de Mao avec le président américain Richard Nixon en 1972 était la condition préalable essentielle à l’investissement étranger et à l’augmentation du commerce avec l’Occident. En politique étrangère, le régime maoïste s’est aligné sur certaines des dictatures les plus réactionnaires dirigées par les États-Unis, notamment celles du général Augusto Pinochet au Chili et du Shah en Iran.

Sans les relations avec les États-Unis, qui lui donnaient accès aux capitaux et aux marchés étrangers, Deng n’aurait pas pu lancer son vaste programme de «réforme et d’ouverture» en 1978. Ce programme comprenait des zones économiques spéciales pour les investisseurs étrangers, des entreprises privées au lieu de communes dans les campagnes et le remplacement de la planification économique par le marché. Cela a entraîné une vaste expansion de l’entreprise privée, en particulier dans les campagnes, une augmentation rapide des inégalités sociales, le pillage et la corruption parmi les bureaucrates du parti, une augmentation du chômage et une inflation galopante qui ont conduit à la vague nationale de protestations et de grèves en 1989. La réponse de la bureaucratie était la répression brutale des manifestations par Deng, non seulement sur la place Tiananmen, mais dans toutes les villes de Chine, ce qui a ouvert la porte à un afflux d’investisseurs étrangers, qui ont compris que l’on pouvait se fier au PCC pour contrôler la classe ouvrière.

Manifestation de masse sur la place Tiananmen en mai 1989 (AP Photo - Sadayuki Mikami)

Le rôle réactionnaire du maoïsme trouve son expression la plus nette dans les conséquences horribles, au niveau international, de son idéologie stalinienne du «socialisme dans un seul pays» et du «bloc des quatre classes», qui subordonne la classe ouvrière à la bourgeoisie nationale. En Indonésie, ces politiques ont laissé la classe ouvrière politiquement désarmée face à un coup d’État militaire qui a conduit à l’extermination d’environ un million de travailleurs. Le maoïsme a entraîné des défaites et des trahisons similaires en Asie du Sud, aux Philippines et en Amérique latine.

Xi et les autres dirigeants chinois se vantent des réalisations économiques de ce qu’on appelle de façon absurde le «socialisme aux caractéristiques chinoises».

Le fait qu’ils soient obligés de parler encore de socialisme et même de proclamer que leurs politiques capitalistes sont guidées par le marxisme témoigne de l’identification durable des masses chinoises aux acquis de la révolution de 1949. Le développement économique stupéfiant de la Chine au cours des trois dernières décennies reflète de manière contradictoire l’impact de la révolution chinoise. Il n’aurait pas été possible sans les profondes réformes sociales introduites par cette révolution.

Pour comprendre l’importance de la révolution chinoise, il suffit de se poser la question suivante: pourquoi un tel développement n’a-t-il pas eu lieu en Inde? Le contraste entre les deux pays a trouvé son expression dans la pandémie de COVID-19, qu’on l’a contenue très tôt en Chine, alors qu’elle se propage de manière incontrôlée en Inde, ayant fait plus de 400.000 morts.

L’indéniable développement économique de la Chine a considérablement élargi les rangs de la classe ouvrière, tout en améliorant les conditions sociales de segments importants de la population active.

Malgré ce développement, la Chine fait face aujourd’hui à toutes les contradictions et conséquences du passage au capitalisme qui ne peuvent être résolues dans le cadre du maoïsme ou des politiques actuelles du PCC au pouvoir.

La Chine doit payer un prix terriblement élevé pour son intégration dans l’économie capitaliste mondiale et l’afflux massif de capitaux et de technologies étrangers pour exploiter la main-d’œuvre chinoise bon marché. La croissance économique n’a fait qu’exacerber les contradictions du capitalisme chinois, générant d’immenses tensions sociales et alimentant une profonde crise politique.

Bien que le PIB par habitant de la Chine ait augmenté, il reste largement inférieur à celui de nombreuses autres nations et n’occupe que le 78e rang mondial. Cette année, à l’approche des célébrations du centenaire, Xi s’est vanté que la Chine avait aboli la «pauvreté absolue», mais les statistiques, fondées sur une mesure très austère, sont très contestables et la pauvreté reste répandue. En outre, le fossé entre les riches et les pauvres est plus profond que jamais. La richesse stupéfiante des multimilliardaires chinois continue de croître alors que la pandémie de COVID-19 affecte lourdement la population dans son ensemble.

Des travailleurs protestent à l’usine Coca-Cola de Chengdu en 2016 (Photo: Tianya/ty_一路上有你)

En dernière analyse, les questions historiques qui ont motivé la révolution chinoise — l’indépendance vis-à-vis de l’impérialisme, l’unification nationale et la rupture de l’emprise des capitalistes compradores – ne sont toujours pas résolues.

En effet, elles se posent aujourd’hui sous une forme encore plus aiguë, l’économie capitaliste chinoise étant dépendante d’un marché capitaliste mondial et confrontée à l’encerclement militaire de l’impérialisme, dirigé par les États-Unis. Taiwan, qui se développe comme un État national de plus en plus hostile, est apparu comme le point de mire d’une guerre mondiale potentielle. Toute la perspective avancée par le maoïsme d’un développement national indépendant est complètement épuisée.

En Chine même, le PCC promeut un nationalisme basé sur la majorité Han. Si la propagande réactionnaire de l’impérialisme sur le «génocide» ouïgour mérite le mépris, l’appel du PCC aux sentiments nationalistes ne joue aucun rôle progressiste dans cette vaste société multilingue et multiethnique.

Dans toutes ses contradictions et sa complexité, l’histoire de la Chine a confirmé la thèse de la théorie de la révolution permanente de Trotsky. Selon cette thèse, dans les pays à développement capitaliste tardif, soumis à l’oppression impérialiste, les tâches démocratiques et nationales fondamentales ne peuvent être accomplies qu’au moyen d’une révolution socialiste dirigée par la classe ouvrière et soutenue par la paysannerie, dans le cadre de la lutte pour le socialisme mondial.

Cette voie de la révolution socialiste mondiale est impensable pour le PCC et les couches capitalistes qu’il représente.

Face aux tensions sociales croissantes et aux signes d’opposition de plus en plus nombreux, le PCC n’a d’autre solution que les méthodes répressives du stalinisme: la censure, les arrestations arbitraires et la répression violente des protestations et des grèves. Le PCC lui-même est déchiré par la corruption et les querelles de fractions qui menacent de le faire éclater. Xi est apparu comme une figure bonapartiste, équilibrant les fractions rivales qui comptent sur lui pour maintenir l’unité du parti. La glorification de Xi, qui est régulièrement désigné comme le «centre» et salué comme la deuxième figure en importance après Mao, ne découle pas d’une force politique personnelle, mais reflète plutôt la crise profonde qui secoue le parti.

Tout ceci est aggravé par l’affrontement de plus en plus agressif de l’impérialisme américain avec la Chine au cours de la dernière décennie, lancé par le président Obama et accéléré par Trump et maintenant Biden. Après avoir contribué à alimenter des décennies de croissance économique de la Chine, toutes les factions de la classe dirigeante américaine considèrent désormais la Chine comme la principale menace à l’hégémonie mondiale des États-Unis. Ils se préparent à utiliser toutes les méthodes, y compris la guerre, pour subordonner la Chine au «système international fondé sur des règles»: c’est-à-dire l’ordre établi par Washington après la Seconde Guerre mondiale.

La perspective de «coexistence pacifique» du PCC avec l’impérialisme et d’ascension pacifique de la Chine pour assumer sa place dans l’ordre capitaliste mondial est en lambeaux. Biden, soutenu à la fois par les démocrates et les républicains, rassemble les alliés des États-Unis et verse des centaines de milliards de dollars pour s’armer en vue de la guerre contre la Chine. En même temps, Washington cherche à exploiter les tensions à l’intérieur de la Chine, alimentées par la répression brutale des tendances séparatistes ethniques par le PCC, dans le but d’affaiblir et de fracturer le pays.

Confrontée au danger imminent d’une guerre catastrophique, la direction du PCC conçoit la défense de la Chine en termes militaires et de politique étrangère, renforçant ses forces armées et promouvant son initiative de «la Nouvelle Route de la soie». D’un côté, elle tente d’apaiser l’impérialisme américain et de conclure un nouveau marché. De l’autre, elle cherche à s’engager dans une course aux armements futile et à attiser le nationalisme et le chauvinisme, ce qui ne peut qu’aboutir à un désastre. Ayant renoncé depuis longtemps à l’internationalisme socialiste sur lequel il a été fondé, le PCC est organiquement incapable de faire appel à la classe ouvrière internationale pour construire un mouvement antiguerre unifié basé sur la lutte pour le socialisme.

Aucun des énormes problèmes auxquels l’humanité est confrontée – guerre, désastre écologique, crises sociales ou pandémie du COVID-19 – ne peut être résolu dans le cadre du capitalisme et de sa division dépassée du monde en États-nations concurrents. Le défi auquel font face les travailleurs, les intellectuels et les jeunes en Chine qui cherchent une solution progressiste est de rejeter le nationalisme nauséabond attisé par l’appareil du PCC et de revenir sur la voie de l’internationalisme socialiste qui a constitué la base de la fondation du parti en 1921.

Cela signifie qu’on doit reforger le lien entre la classe ouvrière chinoise et le mouvement trotskyste mondial, incarné par le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI). Nous exhortons les travailleurs et les jeunes à se tourner vers l’étude de l’histoire de la Quatrième Internationale et des leçons politiques de sa lutte de plusieurs décennies pour les principes marxistes en opposition au stalinisme et à ses mensonges et falsifications historiques. Surtout, nous vous appelons à contacter le CIQI et à entamer le processus de création d’une section chinoise pour lutter pour sa perspective révolutionnaire.

Notes:

[1] Le Parti socialiste des travailleurs (Socialist Workers Party – SWP) aux États-Unis a mené la lutte pour former le Comité international de la Quatrième Internationale en 1953 contre une tendance opportuniste dirigée par Michel Pablo et Ernest Mandel qui rejetait la caractérisation du stalinisme par Trotsky comme une tendance contre-révolutionnaire et prétendait que les bureaucraties staliniennes de Moscou et de Pékin pouvaient être poussées à projeter une orientation révolutionnaire. En 1963, le SWP a abandonné la lutte contre l’opportunisme, a rompu avec le CIQI et s’est unifié avec les pablistes sur une base sans principes, sans aucune discussion des désaccords politiques qui avaient émergé en 1953.

(Article paru en anglais le 1er juillet 2021)

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