Le plus haut tribunal sud-africain condamne l’ancien président de l’ANC Jacob Zuma à 15 mois de prison

La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a condamné l’ancien président du Congrès national africain (ANC) Jacob Zuma à 15 mois de prison pour outrage au tribunal. Il a été condamné pour avoir défié son ordre de comparaître lors d’une enquête sur la corruption au cours de sa présidence.

Si Zuma ne se rend pas à la police dans les cinq jours, le ministre de la police doit ordonner son arrestation.

L’emprisonnement imminent de l’ancien président quelque 30 ans après la fin du système d’apartheid détesté et la montée au pouvoir de l’ANC expriment la crise prolongée qui saisit l’ensemble de la bourgeoisie sud-africaine. Cela a lieu alors que la colère du public monte à propos de la gestion par l’ANC de la crise sanitaire et du déploiement des vaccins, de la corruption systémique au sein du parti au pouvoir et de l’aggravation de la crise économique.

Jacob Zuma en 2017 (Photo: Kremlin.ru)

Zuma, 79 ans, a nié tout acte répréhensible. Hormis une brève apparition avant de partir en refusant d’être interrogé, il a non seulement refusé d’assister à l’enquête menée par le juge président adjoint Raymond Zondo examinant les allégations de corruption relatives à son mandat, mais a également refusé de monter une défense. Au lieu de cela, il a écrit une lettre de 21 pages au président juge, accusant le tribunal de partialité et Zondo d’avoir mené une vendetta personnelle contre lui. Cela a incité les avocats de l’enquête à demander une ordonnance de la Cour constitutionnelle pour son emprisonnement.

Dans un discours d’une heure exposant la décision du tribunal, la juge Sisi Khampepe a critiqué Zuma, affirmant que ses attaques contre le tribunal étaient sans précédent et que «jamais auparavant le processus judiciaire n’avait été aussi menacé». Elle a ajouté: «Si sa conduite est accueillie en toute impunité, il causera des dommages importants à l’état de droit perdu.»

C’est Zuma qui avait mis en place l’enquête sur les «allégations de capture, de corruption, de fraude d’État» qui s’est concentrée sur la famille Gupta et ses associés qui ont remporté des contrats gouvernementaux lucratifs et auraient même pu choisir des ministres.

Membre de longue date du Parti communiste sud-africain stalinien (SACP) jusqu’en 1990 et de l’ANC qui dirige l’Afrique du Sud depuis la fin de l’apartheid en 1994, Zuma est embourbé depuis des années dans les scandales et la corruption. Il fut vice-président de l’Afrique du Sud sous le président Thabo Mbeki de 1999 à 2005, lorsqu’il a été limogé après que son conseiller financier a été reconnu coupable de corruption. C’était au milieu d’une lutte acharnée au sein de l’ANC entre les factions autour de Mbeki et Zuma, qui était soutenu par le SACP et la fédération syndicale COSATU.

Élu président de l’ANC au pouvoir en 2007, Zuma devint président de l’Afrique du Sud après avoir remporté les élections de 2009. Son gouvernement était caractérisé par la corruption et le népotisme avec quelque 32 milliards de dollars qui auraient été volés au cours de son mandat. Dans le même temps, Zuma présida à un fort déclin de l’économie du pays, des conditions qui ont rendu les capitalistes internationaux nerveux à l’idée d’investir en Afrique du Sud, alors que les troubles civils augmentaient à cause de la hausse du chômage et de la pauvreté et qu’une vague de grèves se propageait à travers le pays.

Cela découlait inexorablement de l’accord de l’ANC avec l’élite sud-africaine blanche pour préserver le capitalisme tout en autonomisant une riche élite noire, sous le couvert de programmes tels que «Black Economic Empowerment» (Emancipation économique des Noirs), un arrangement politique qui a considérablement profité à la fois à Zuma et à l’actuel président Cyril Ramaphosa et au reste des dirigeants de l’ANC aux dépens de la classe ouvrière. L’Afrique du Sud est devenue l’un des pays les plus socialement polarisés au monde, pire encore que sous l’apartheid.

Cyril Ramaphosa (Photo: Tasnim News Agency)

En décembre 2017, au milieu de scandales de corruption croissants et de luttes intestines acharnées, il perdit la présidence de l’ANC au profit de l’ancien dirigeant syndical et homme d’affaires multimilliardaire Ramaphosa. Deux mois plus tard, l’ANC a contraint Zuma à démissionner de son poste de président de l’État, craignant de perdre la confiance des électeurs lors des élections de 2019. Même si Ramaphosa a fait des déclarations pour la forme sur l’éradication de la corruption, il cible largement ses rivaux politiques.

En novembre dernier, le principal rival de Ramaphosa, le secrétaire général de l’ANC, Ace Magashule, a comparu devant le tribunal pour corruption, blanchiment d’argent et fraude en rapport avec le pillage de fonds publics sous Zuma. Le mois dernier, le ministre de la Santé Zweli Mkhize a été contraint de démissionner alors qu’une enquête débute sur des allégations «d’irrégularité» dans l’attribution des contrats liés au Covid-19.

Zuma est confronté à un autre procès, qui a été reporté à plusieurs reprises, pour 16 chefs d’accusation de fraude, de corruption et de racket liés à un achat de 5 milliards de dollars en 1999 d’avions de chasse, de patrouilleurs et de matériel militaire auprès de cinq sociétés d’armement européennes, négocié lorsqu’il était l’adjoint de Mbeki. Les charges, selon lesquelles il acceptait 34.000 $ par an de la part de la société française d’armement Thales en échange de la protection de la société contre une enquête sur l’accord, ont été rétablies après que l’ANC l’a contraint à démissionner. Le pot-de-vin présumé faisait partie d’une relation de corruption plus large entre Zuma et l’un des membres du consortium qui a remporté un contrat important pour fournir des systèmes de combat pour les nouvelles frégates de la marine.

Ces révélations ne sont que la partie émergée de l’iceberg des opérations corrompues du gouvernement de l’ANC, qui a utilisé des programmes comme Black Economic Empowerment pour transformer les responsables du parti et leurs acolytes d’affaires en multimillionnaires.

Même si le jugement de Zuma devrait renforcer la faction de Ramaphosa, il ne mettra pas fin à la corruption ni n’atténuera la crise au sein de l’ANC dont le soutien populaire s’effrite. La gestion de la pandémie par le gouvernement Ramaphosa n’a fait qu’intensifier les divisions de classe amères, car, comme ses homologues du monde entier, l’ANC a cherché à faire porter à la classe ouvrière le poids entier de la récession mondiale qui a frappé les secteurs minier et manufacturier.

L’économie s’est contractée de 7 pour cent l’année dernière en raison de l’impact de la récession mondiale, de la chute de la demande de minéraux et de matières premières – les principales exportations de l’Afrique du Sud – et des restrictions de confinement. Cela fait suite à une baisse du PIB par habitant pendant des années, la croissance n’ayant pas suivi le rythme de la croissance démographique. Le déficit budgétaire du gouvernement pour 2020-2021 a atteint 11 pour cent du PIB, avec plus d’un cinquième du budget consacré au service de la dette qui a atteint près de 65 pour cent du PIB. Selon les statistiques officielles qui sous-estiment largement la situation réelle, environ un tiers des travailleurs sud-africains sont désormais au chômage, piégeant des millions de personnes dans la pauvreté et contribuant aux niveaux obscènes des inégalités sociales qui persistent près de trois décennies après la fin de l’apartheid en 1994.

Le bilan peu glorieux de l’ANC n’est pas différent de celui des autres mouvements de libération nationale au Moyen-Orient et en Afrique, qui ont tous poursuivi des politiques similaires, faisant la paix avec l’impérialisme et recherchant la richesse et les privilèges pour une couche sociale infime. Il confirme que la bourgeoisie nationale, dépendante de l’impérialisme et craignant la révolution d’en bas, est incapable de résoudre les tâches démocratiques et sociales fondamentales auxquelles sont confrontées les masses. Il n’y a aucune voie pour aller de l’avant pour la classe ouvrière en Afrique du Sud, ou ailleurs, en dehors de la lutte des classes, où la classe ouvrière pourrait prendre le pouvoir et renverser le capitalisme, dans le cadre de la lutte internationale pour mettre fin à l’impérialisme et établir le socialisme mondial.

(Article paru en anglais le 1er juillet 2021)

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