Des manifestations anti-Bolsonaro balaient le Brésil alors que l’opposition élabore 23 chefs d’accusation pour une destitution

On estime que 800.000 Brésiliens étaient de retour dans les rues ce samedi. Pour la troisième fois en cinq semaines, des manifestations ont eu lieu dans plus de 300 villes du pays pour s’opposer à la politique d’immunité collective du président fasciste brésilien Jair Bolsonaro et à l’augmentation de la pauvreté, du chômage et des inégalités sociales qui résultent de la politique menée par la classe dirigeante du pays face à la pandémie de COVID-19.

Le pays a connu jusqu’à présent le deuxième bilan le plus lourd au monde – après les États-Unis – avec 525.000 décès dus au COVID-19. Le nombre de décès quotidiens reste de 2.000. La lenteur de la vaccination, avec seulement 14 pour cent de la population totalement immunisée, la réouverture des écoles et la circulation du variant Delta signifient que le pays est maintenant confronté à une troisième poussée du virus. Les experts prévoient que le nombre de morts pourrait encore doubler avant que la plus grande partie de la population ne soit immunisée.

La large participation aux manifestations a plongé la classe dirigeante brésilienne dans une crise profonde. Les marches de ce samedi ont été devancées par rapport à la date initialement prévue du 24 juillet, les organisateurs, dirigés par le Parti des travailleurs (PT), s’efforçant d’éviter que la récente vague d’opposition ne provoque une recrudescence de la lutte des classes.

Des personnes marchent lors d’une manifestation contre la réponse du gouvernement dans la lutte contre le COVID-19, demandant la destitution du président Jair Bolsonaro, à Rio de Janeiro, au Brésil, le samedi 29 mai 2021. (AP Photo/Bruna Prado)

Le PT, ses syndicats affiliés et ses alliés de la pseudogauche ont tenté de faire des manifestations un moyen de pression sur le président de la Chambre, Arthur Lira, un proche allié de Bolsonaro élu avec le soutien des députés du PT, pour qu’il accepte une nouvelle «super» pétition de destitution présentée mercredi avec le soutien d’anciens partisans d’extrême droite de Bolsonaro.

Cette pétition énumère 23 infractions passibles de destitution commises par Bolsonaro, auparavant incluses séparément dans 120 autres pétitions antérieures ignorées jusqu’à présent par le président de la Chambre. Les organisateurs eux-mêmes admettent que rien de nouveau ne se trouve dans la nouvelle pétition, et que la nouveauté la plus significative est le regroupement d’une alliance entre le PT, les syndicats, la pseudogauche et l’extrême droite.

Parmi les forces réactionnaires que le PT et ses alliés tentent de réhabiliter avec sa pétition de destitution contre Bolsonaro, on trouve des ailes dissidentes du parti qui l’a élu, le Parti social-libéral (PSL), représenté par l’ancienne leader parlementaire du gouvernement Joice Hasselmann et les larbins des frères Koch du Mouvement Brésil Libre (MBL). Ce dernier s’est constitué en fer de lance des manifestations d’ultradroite de 2015 et 2016 contre l’ancienne présidente du PT, Dilma Rousseff.

Le caractère de droite et procapitaliste de la pétition est clair dès le départ. La liste des 23 crimes commence par «la mise en danger de la neutralité du pays», un message destiné aux lobbies géants du commerce extérieur. Ces derniers sont inquiets de l’offensive de Bolsonaro contre la Chine, y compris des tentatives d’interdire à Huawei le marché 5G du pays, évalué à plusieurs milliards de dollars, et sa promotion enthousiaste du mensonge de la «fuite du laboratoire de Wuhan».

Lorsque la pandémie de COVID-19 est évoquée, elle l’est au titre des «crimes contre la sécurité intérieure» du Brésil, un cadre essentiellement de droite qui voit avant tout la mort et la maladie de masse comme une menace pour la stabilité du capitalisme brésilien.

Et de fait, les nouvelles manifestations ont vu apparaître des bannières du PSL et du PSDB, le parti traditionnel de la droite brésilienne, ainsi que des dirigeants du MBL qui encouragent leurs partisans à y participer. À Rio de Janeiro, le chef de la minorité du Congrès de l’État, Marcelo Freixo, portait un t-shirt vert et jaune, proclamant que les manifestants devaient «reprendre les couleurs nationales» aux fascistes. C’était également le mot d’ordre du discours prononcé par Guilherme Boulos, du Parti de Socialisme et de Liberté (PSOL) de la pseudogauche, à São Paulo, où près d’un kilomètre de l’emblématique avenue Paulista se trouvait rempli de manifestants.

Les organisateurs de la «super» pétition de destitution admettent que son impulsion politique est tirée des récentes révélations de corruption dans les négociations pour les vaccins COVID-19, qui ont laissé les anciens loyalistes de Bolsonaro au Congrès dans le désarroi.

Le charlatan Guilherme Boulos est toujours parmi les premiers à articuler un prétexte commode pour une alliance avec l’ultradroite. Ce dernier a affirmé le jour des manifestations que les «affaires de corruption apportent une réelle possibilité de destitution parce qu’elles créent une crise dans la propre base politique de Bolsonaro». De même, le président du Parti des travailleurs, Gleisi Hoffmann, a affirmé que la présence du PSDB dans les manifestations «signifie que le mouvement pour la destitution est en train de se développer».

Le scandale de corruption de plusieurs millions de dollars a fait surface à la fin du mois de juin, alors que la majeure partie de la pétition était déjà rédigée et était en cours de préparation pour une remise solennelle à la Chambre le 24 juillet.

Il a éclaté lorsque le député Luis Miranda, du parti d’ultradroite des Démocrates (DEM), a déclaré à la presse le 23 juin qu’il avait personnellement averti le président des pressions exercées sur son frère, fonctionnaire à la tête du département des importations du ministère de la Santé, pour qu’il ignore un certain nombre d’irrégularités dans un contrat avec les fabricants du vaccin indien Covaxin.

Miranda a déclaré que les faits qu’il connaissait allaient «faire tomber la République». Lui et son frère ont été immédiatement convoqués pour témoigner devant la Commission d’enquête du Sénat (CPI) sur la pandémie, mise en place à la demande de l’opposition. Le jour de son témoignage, Miranda a fait une mise en scène, portant un gilet pare-balles par-dessus sa veste. Il a accusé le chef du gouvernement à la Chambre, Ricardo Barros, de diriger un système de corruption, et un lobbyiste qui lui est lié de lui avoir offert six cents sur chaque dollar de l’accord de 320 millions de dollars pour qu’il se taise. Il a affirmé avoir averti Bolsonaro de la corruption, et que Bolsonaro lui a dit qu’il savait que Barros avait parrainé les plans. D’autres accusations seraient portées selon lesquelles d’autres hommes liés à Barros au sein du ministère auraient exigé un dollar de pots-de-vin pour chaque dose d’AstraZeneca dans le cadre d’un autre marché.

On ne sait toujours pas ce qui a motivé Miranda, un ancien partisan de Bolsonaro, à divulguer des informations qui, selon lui, pourraient «faire tomber la République». Cependant, l’affaire révèle l’ampleur de la crise qui engloutit la classe dirigeante brésilienne.

Miranda rejoint maintenant une foule de figures d’ultradroite opposées à Bolsonaro qui se voient offrir des références «démocratiques» par le PT et la pseudogauche. Parmi eux, on trouve un certain nombre de généraux dissidents. Le plus en vue est l’ancien secrétaire du gouvernement de Bolsonaro, Carlos Alberto dos Santos Cruz. Ce dernier a lancé des avertissements répétés selon lesquels Bolsonaro suivra l’exemple de Donald Trump et provoquera la violence pour tenter de renverser une éventuelle défaite aux élections de 2022.

L’objectif de ce «large front» contre Bolsonaro est de convaincre les travailleurs brésiliens que l’ascension de Bolsonaro et la réapparition au centre de la vie politique des forces armées, qui ont imposé une dictature de deux décennies qui s’est terminée en 1985, est une aberration historique. La vie peut revenir à la normale, affirment-ils, si seulement Bolsonaro est évincé par ses anciens parrains politiques, et que ceux-ci s’allient au PT.

Les accusations de corruption ont servi un objectif politique plus large: celui d’écarter la politique d’«immunité collective» de Bolsonaro, tant dans l’enquête du CPI que dans le débat public plus large. Les demandes des organisateurs de la manifestation, qui réclament des vaccins, des programmes d’aide à la pauvreté et la destitution, acceptent les 2.000 décès quotidiens dus au COVID-19 comme inévitables, puisque les vaccins ne sont pas disponibles. Ils ne proposent également aucune tentative pour enrayer la pandémie. Comme l’ont mis en garde les responsables de l’OMS et les experts internationaux de la santé, et comme l’a démontré l’expérience récente de pays où les taux de vaccination sont beaucoup plus élevés, tels que la Grande-Bretagne, Israël, le Chili et les États-Unis, les vaccinations à elles seules ne peuvent pas stopper la propagation du virus.

Mais une mise en accusation directe de la politique d’immunité collective de Bolsonaro se retournerait contre les organisateurs des manifestations eux-mêmes. Car, tous les gouverneurs socialistes, sociaux-démocrates, communistes et du Parti des travailleurs qu’ils soutiennent, en collaboration avec les syndicats qu’ils contrôlent, ont poussé les enseignants, ainsi que les travailleurs des secteurs de la santé, des transports, du pétrole et des usines, à retourner sur des lieux de travail dangereux, État après État, entreprise après entreprise, peu importe les taux d’infection.

Une foule de scientifiques de premier plan ont témoigné devant l’IPC. Ces témoignages ont détaillé, à l’aide d’un certain nombre de modèles complexes, comment des centaines de milliers de décès auraient pu être évités grâce à des fermetures et à la recherche des contacts. Tout cela est écarté en présentant la principale accusation contre Bolsonaro comme de la corruption.

Non seulement les gouverneurs d’État et les maires se trouvent épargnés, mais aussi les profiteurs de la pandémie, bien plus puissants, qui ont gagné des milliards sur les marchés boursiers grâce aux politiques d’«assouplissement quantitatif» des banques centrales du monde entier, ainsi que les actionnaires milliardaires des sociétés géantes profitant de conditions de travail mortelles. Bolsonaro le corrompu et son chef de file mafieux sont traités comme un «accident de l’histoire», comme le disent de nombreux alliés du PT, du porte-drapeau de la pseudogauche Marcelo Freixo à l’ancien président de la Chambre de droite Rodrigo Maia.

Le rapporteur du CPI, le sénateur Randolfe Rodrigues, a résumé le scandale de la Covaxine en disant qu’il montrait que la gestion de la pandémie par Bolsonaro n’était, en fin de compte, «pas idéologique, mais de la bonne vieille corruption». En d’autres termes, la politique d’immunité collective n’était pas une expression de la crise capitaliste et ne justifie rien de plus qu’un appel à la police. «Ce n’était pas du négationnisme, c’était de la corruption» est devenu l’un des principaux slogans sur les affiches distribuées aux manifestants samedi.

Les travailleurs brésiliens doivent rejeter fermement la tentative de canaliser leurs luttes derrière des factions dissidentes de la classe dirigeante. Bolsonaro répond à la croissance de l’opposition sociale par la préparation d’un coup d’État électoral basé sur de fausses affirmations selon lesquelles le système électoral brésilien est frauduleux. Jeudi, après avoir rencontré le directeur de la CIA, Willian Burns, au palais présidentiel, il a affirmé que des «puissances étrangères» anonymes étaient à l’origine de plans qui visaient à déstabiliser le Brésil, un écho aux prétextes de la guerre froide pour le coup d’État de 1964 soutenu par la CIA.

La seule façon d’avancer dans la lutte contre le meurtre social de la pandémie, l’inégalité sociale et la menace de la dictature est la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière brésilienne, indépendante de toute force liée à l’État capitaliste, y compris le PT, ses alliés de la pseudogauche comme le PSOL, et les syndicats. Cette tâche nécessite la construction d’une nouvelle direction politique, une section brésilienne du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 5 juillet 2021)

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