Égypte: Al-Sissi intensifie la répression alors que grandit l’opposition à la pauvreté et aux inégalités sociales de masse

Le dictateur militaire égyptien Abdel Fattah Al-Sissi utilise les tribunaux, de nouvelles lois et la censure d’Internet et des médias sociaux pour réprimer toute opposition à son régime brutal.

Son objectif central est de défendre le capital égyptien et étranger dans le pays contre une explosion sociale de la classe ouvrière qui fait face à la pauvreté de masse, aux inégalités sociales, à une kleptocratie militaire et à un nombre croissant de morts du COVID-19.

Le président de l’Égypte Abdel Fatah Al-Sissi (en.kremlin.ru)

Al-Sissi, qui a pris le pouvoir lors d’un coup d’État sanglant contre le gouvernement affilié aux Frères musulmans du président Mohammed Morsi en juillet 2013, a réprimé non seulement les Frères musulmans, le plus grand parti politique d’opposition d’Égypte qui a été qualifié d’ organisation terroriste et interdit, mais les opposants de tout horizon politique.

Il dirige l’Égypte par des disparitions forcées, des arrestations de masse, la torture de 60.000 prisonniers politiques, dont beaucoup n’ont jamais été jugés, et des exécutions, dont le nombre enregistré, qui ne serait qu’une liste partielle, est passé de 32 en 2019 à 107 en 2020, selon Amnesty International.

Il a renouvelé l’état d’urgence en Égypte pour la 18e fois depuis avril 2017, interdisant les réunions publiques et les manifestations, sanctionnant la détention de personnes sans procès ou même sans mise en examen et censurant les médias. Des centaines de personnes, dont des politiciens, des avocats, des chercheurs et des journalistes, ont été arrêtées et jugées par la Cour de sûreté de l’État, dont plus récemment Ahmed Samir Santawi, étudiant de troisième cycle à l’Université d’Europe centrale de Vienne, en Autriche. Santawi a été condamné à quatre ans d’emprisonnement pour appartenance à une organisation terroriste et diffusion de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, après que lui et d’autres membres de «l’alliance de l’espoir» aient été arrêtés parce qu’ils tentaient de se présenter aux élections législatives de 2020.

Le 28 juillet, le tribunal pénal de Damanhour a condamné à mort 24 membres des Frères musulmans pour le meurtre de policiers en 2014 et 2015 dans deux affaires distinctes. Huit des 24 accusés ont été jugés par contumace.

Le même jour, la Cour de cassation, la plus haute juridiction égyptienne, a rejeté les appels contre leurs condamnations à perpétuité en 2014 par Mohamed Badie, le chef des Frères musulmans, son adjoint Khairat El- Shater et plusieurs autres. Ils ont été accusés de «collaboration avec le Hamas», le groupe affilié aux Frères musulmans qui a remporté les dernières élections palestiniennes en 2006 et dirige Gaza, pour déstabiliser la sécurité nationale. Cela survient alors même que l’Égypte a fait la paix avec le Qatar, qui a soutenu le Hamas, et a entamé un rapprochement avec la Turquie, qu’elle accuse depuis longtemps d’offrir un refuge aux Frères musulmans.

Le 25 juillet, la Cour de sûreté de l’État a demandé au gouvernement de solliciter l’aide d’Interpol pour arrêter trois ressortissants égyptiens, dont Mohamed Ali, ancien entrepreneur en construction pour Al-Sissi et désormais critique en exil en Espagne, pour incitation de la population contre le gouvernement, une référence aux manifestations de septembre 2020. Les deux autres sont accusés d’avoir rejoint les Frères musulmans interdits.

Il y a deux semaines, les autorités ont arrêté Abdel Nasser Salama, qui fut rédacteur en chef d’Al-Ahram, le principal organe de l’État, dans les années 2012-2014, pour «financement du terrorisme», diffusion de fausses informations sur les médias sociaux et le dénigrement des agences et les institutions de l’État. Cela fait suite à son message sur Facebook appelant Al-Sissi à démissionner pour sa gestion du Grand barrage de la Renaissance en Éthiopie, qui a conduit à une «lourde défaite» pour l’Égypte. L’Éthiopie a commencé à remplir le réservoir derrière l’énorme barrage hydroélectrique sur le Nil Bleu qui fournit environ 80 pour cent des eaux du Nil se déversant au Soudan et en Égypte, faisant craindre que les deux pays ne souffrent de pénuries d’eau pendant les années de sécheresse.

En juin, Yahya Najm, un ancien ambassadeur d’Égypte au Venezuela qui s’est prononcé contre la «mauvaise gestion» par le gouvernement de la crise du barrage a été arrêté et condamné à 15 jours de prison dans l’attente d’une enquête pour «avoir rejoint un groupe terroriste, diffusé de fausses nouvelles et abusé des médias sociaux».

En juin, le plus haut tribunal civil d’Égypte a confirmé la condamnation à mort de 12 membres des Frères musulmans en lien avec les manifestations de masse sur la place Rabaa al-Adawiya en août 2013 contre le coup d’État d’Al-Sissi. Les forces d’Al-Sissi ont perpétré l’un des massacres les plus sanglants de l’histoire récente, tuant au moins 1000 manifestants. Alors qu’aucun membre des forces de sécurité n’a été poursuivi, les 12 membres des Frères musulmans ont été reconnus coupables d’avoir «armé des gangs criminels qui ont attaqué des résidents et résisté aux policiers, ainsi que de possession d’armes à feu [...] munitions et de matériel de fabrication de bombes» et d’avoir «tué des policiers [...] résistant aux autorités [...] et l’occupation et destruction de biens publics».

En avril, au moins neuf personnes ont été exécutées suite aux accusations similaires inventées de toutes pièces concernant le massacre de 2013.

La Commission internationale de juristes a qualifié le système judiciaire égyptien d’«instrument de répression», tandis que les Nations Unies, Human Rights Watch et Amnesty International ont largement condamné le système judiciaire du pays.

La répression sanglante perpétrée par Al-Sissi a lieu alors que la pandémie de COVID-19 dévaste les conditions de vie des travailleurs. L’arrêt soudain du tourisme, qui au début de la crise représentait environ 15 pour cent du PIB, la baisse des envois de fonds au pays des travailleurs du Golfe et des recettes en devises étrangères, le retrait par les investisseurs d’au moins 13 milliards de dollars des marchés de la dette et des actions égyptiens et les confinements partiels ont conduit à ce que seulement 35 pour cent des Égyptiens en âge de travailler aient un emploi, alors que 800.000 diplômés entrent sur le marché du travail chaque année. Le gouvernement, qui avait déjà du mal à se maintenir à flot avant la pandémie après que ses bienfaiteurs du Golfe, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis qui avaient porté Al-Sissi au pouvoir en 2013 aient retiré leur soutien suite à son refus de soutenir leur guerre criminelle au Yémen, fait face à des niveaux d’endettement de près de 95 pour cent du PIB.

En échange de deux prêts du Fonds monétaire international, Al-Sissi a mis en œuvre ses diktats: réduction des subventions sur les produits de base domestiques et agricoles, augmentation des prix du carburant, nouvelles taxes dont une taxe sur la valeur ajoutée, réduction des budgets de la santé et de l’éducation, licenciement des fonctionnaires et flottement de la monnaie. Ces mesures ont fait grimper le coût de la vie, ruinant une grande partie de la classe moyenne égyptienne et entraînant une montée en flèche des taux de pauvreté.

Le régime a refusé de faire quoi que ce soit qui aurait un impact sur les bénéfices des grandes entreprises, fournissant plutôt 6,4 milliards de dollars aux entreprises pour compenser l’impact de la pandémie et annonçant une série de mesures visant à restreindre la liberté des déplacements et l’interaction sociale. Il y a peu de soutien financier gouvernemental pour ceux qui ont perdu leurs moyens de subsistance, précipitant des millions de personnes dans la misère.

Le système de santé délabré de l’Égypte s’est révélé incapable de faire face à la pandémie. Privé de ressources, le personnel soignant a émigré, tandis que les hôpitaux et les cliniques manquent d’équipements de base, notamment des respirateurs, des fournitures d’oxygène et des équipements de protection individuelle pour leur personnel. Quand bien même plus de 500 médecins sont morts de la maladie, des médecins ont été arrêtés et harcelés s’ils dénoncent la crise dans le pays ou remettent en cause les chiffres du gouvernement, alors qu’ils sont tenus pour responsables de la mort des patients. Moins de 2 pour cent des 100 millions d’Égyptiens ont été vaccinés.

La semaine dernière, 2000 travailleurs d’une usine de lames de rasoir de la ville portuaire d’Alexandrie se sont mis en grève pour exiger que leur salaire soit porté au salaire mensuel minimum d’au moins 2400 EGP (150 $), actuellement au niveau du salaire moyen d’environ 2000 EGP (127 $). Ce conflit fait partie d’un nombre croissant de grèves et de manifestations. Selon le Réseau arabe d’information sur les droits de l’homme (ANHRI), il y a eu 80 manifestations syndicales au premier trimestre 2021, dont des suicides, en raison de la détérioration des conditions de vie, et 44 manifestations au deuxième trimestre. L’une des plus grandes manifestations a eu lieu en juin lorsque des centaines de personnes sont descendues dans les rues du quartier ouvrier de Nadi Al-Seed à Alexandrie pour protester contre la démolition prévue de leurs maisons pour faire place à de nouveaux complexes commerciaux et de divertissement où elles ont fait face à des centaines de policiers antiémeutes encadrant les équipes de démolition.

Les deux premières semaines de juillet ont vu cinq manifestations sociales et deux débrayages, dont le plus important a été celui des travailleurs de Nile Linen Group, basée dans la zone économique spéciale d’Alexandrie, contre le refus de l’entreprise de mettre en œuvre son accord d’augmentation du salaire minimum.

La crise du système capitaliste et son échec lamentable à faire face à la catastrophe sociale qui affecte les masses se manifeste à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Ce fut la crainte d’une éruption de tensions économiques et sociales aiguës en Égypte qui a incité le dictateur militaire à soutenir le recours du président tunisien Kais Saeid aux pouvoirs d’urgence, son limogeage du premier ministre Hichem Mechichi, la suspension du parlement, l’imposition d’un couvre-feu et la répression des médias, la perquisition du bureau d’ Al Jazeera et le limogeage du directeur de la télévision nationale. Selon Middle East Eye, des responsables égyptiens de la sécurité étaient présents lorsque le premier ministre tunisien a été battu au palais présidentiel avant d’accepter de démissionner.

La classe ouvrière égyptienne doit se tourner vers ses alliés dans la région, ses frères et sœurs de classe, pour construire une avant-garde révolutionnaire internationale afin de mener la lutte pour l’égalité sociale et les droits démocratiques.

(Article paru en anglais le 5 août 2021)

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