Biden s’adresse au Forum des îles du Pacifique pour contrecarrer la Chine

Les dirigeants du Forum des îles du Pacifique (FIP) ont célébré le 50e anniversaire de l’organisation lors d’un sommet en ligne le 6 août. La réunion du principal organe de direction du Pacifique s’est déroulée dans des conditions de crises mondiales et régionales extraordinaires, notamment l’aggravation du changement climatique, la pandémie de COVID-19 et l’escalade des tensions géostratégiques.

Les dirigeants de 14 nations du Pacifique, dont le premier ministre australien Scott Morrison et la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern, se sont réunis sous la présidence du premier ministre fidjien, Frank Bainimarama. Celui-ci a commencé par déclarer qu’il avait espéré pouvoir accueillir la réunion en personne, «le pire de la pandémie de COVID… étant derrière nous».

Le président américain Joe Biden, le 31 mars 2021 (AP Photo/Evan Vucci)

Les Fidji, cependant, sont en proie à une épidémie meurtrière de COVID-19 avec 24.138 cas actifs, 299 décès et le taux d’infection officiel par habitant le plus élevé au monde. La Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) et l’Australie sont également confrontées à des poussées incontrôlées du variant Delta, qui dévaste de vastes régions du globe.

Joe Biden a prononcé un discours vidéo préenregistré. C’est la première fois qu’un président américain en exercice assiste ou s’adresse au FIP. Il a souligné que les États-Unis étaient une «fière puissance du Pacifique» et a annoncé que Washington ferait don d’un demi-milliard de doses de vaccin COVID-19 à l’installation mondiale COVAX. Il a affirmé que ce geste serait «sans conditions» et qu’il s’agissait de «sauver des vies».

En fait, le gouvernement Biden ne s’intéresse pas à «sauver des vies», comme le montre la propagation incontrôlée de la pandémie aux États-Unis. Washington intensifie ses efforts diplomatiques et économiques, commencés sous le gouvernement Obama et étendus sous Trump, pour isoler et affronter la Chine. La prétendue «diplomatie du vaccin» n’a pas été organisée comme stratégie sanitaire mondiale, mais pour faire avancer les intérêts économiques et stratégiques des élites dirigeantes concurrentes. L’impérialisme américain est prêt à utiliser tous les moyens, y compris la guerre, pour empêcher la Chine de contester son hégémonie.

Un article paru le 7 août sur le site Web de NZ Stuff, intitulé «La nouvelle militarisation du Pacifique», souligne le «nombre croissant de moyens de défense qui opèrent régulièrement dans la région, les partenaires occidentaux s’opposant à la puissance croissante de la Chine dans cette région». Les garde-côtes américains avaient récemment «mis en service trois cotres d’intervention rapide de 47 mètres à Guam.» Pendant ce temps, «le président français Emmanuel Macron a annoncé que la France allait lancer un réseau de garde-côtes dans le Pacifique Sud.»

L’article mentionne également «des informations que le Régiment australien des services aériens spéciaux pourrait être réorienté vers des opérations dans le Pacifique» et que l’Australie modernise une base navale sur l’île de Manus, en PNG.

L’ensemble de la région indo-pacifique est de plus en plus embouteillée par les navires de guerre, les alliés des États-Unis se joignant à des exercices militaires provocateurs visant la Chine. Le mois dernier, un groupe d’attaque de porte-avions de l’OTAN dirigé par le Royaume-Uni s’est rendu en mer de Chine méridionale dans le cadre d’une mission de 28 semaines comprenant des exercices conjoints avec les États-Unis, l’Australie, la France, le Japon et la Nouvelle-Zélande. L’Allemagne envoie également une frégate en mer de Chine méridionale.

Washington est sans aucun doute préoccupé par la fracture du FIP, mise en évidence par l’absence de quatre dirigeants du sous-groupe micronésien en raison du refus de l’organisation d’attribuer le poste de secrétaire général à leur candidat préféré. Les Palaos, les Îles Marshall, les États fédérés de Micronésie (EFM), Kiribati et Nauru ont tous entamé un retrait du FIP d’ici février 2022.

Les rivalités géostratégiques alimentées par les préparatifs de guerre avec la Chine menés par les États-Unis sont à l’origine de cette impasse diplomatique. Trois des États ayant fait défection – les Palaos, les FSM et les îles Marshall – sont étroitement liés à Washington par des accords de «libre association». Le président des Palaos, Surangel Whipps Jr, s’est vanté de s’opposer à l’«intimidation» chinoise dans le Pacifique Nord et se tourne vers l’armée américaine pour obtenir de nouveaux ports, pistes d’atterrissage et bases sur des îles stratégiquement positionnées dans la mer des Philippines.

La nomination de l’ancien premier ministre des Îles Cook, Henry Puna, connu pour son amitié avec Pékin, au poste de direction du FIP, constitue une rebuffade aux plans visant à rapprocher l’organisation de Washington. Les États insulaires appauvris du Pacifique ont été contraints à un délicat exercice d’équilibre, réduisant leur dépendance à l’égard des puissances impérialistes locales Australie et Nouvelle-Zélande tout en renforçant les relations économiques et d’aide avec Pékin.

De nombreux pays se sont tournés vers des agences de financement dirigées par la Chine pour soutenir leurs budgets après avoir épuisé les options de financement traditionnelles. Lors d’une conférence des dirigeants du Pacifique réunie à Hawaï en juin, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré avec colère que la Chine enfreignait les «normes internationales» et utilisait la «coercition économique».

Le mois dernier, la nouvelle premier ministre de Samoa a signalé un réalignement vers Washington en abandonnant un projet de développement portuaire soutenu par la Chine. Fiame Naomi Mata'afa a déclaré que le projet de 100 millions de dollars US aurait considérablement augmenté l’exposition du pays à la Chine, qui représente 40 pour cent de la dette extérieure. Le projet a joué un rôle dans les élections d’avril qui ont mis fin au mandat de 23 ans de Tuilaepa Sailele Malielegaoi en tant que premier ministre.

La crise climatique reste la question la plus litigieuse entre les nations insulaires du Pacifique et l’Australie. Prenant une posture sur la menace existentielle que représente le changement climatique pour les nations du Pacifique, Biden a déclaré que les États-Unis s’engageaient à réduire les émissions d’ici à 2030 et à «renforcer la résilience des communautés vulnérables dans le monde entier».

Rien dans son discours creux n’engageait Washington à quoi que ce soit. Néanmoins, sur Twitter, Bainimarama a félicité Biden «pour avoir ramené avec force l’Amérique du bon côté de l’histoire du climat». Visant de façon à peine déguisé l’Australie qui a résisté aux appels à s’engager pour des émissions nettes nulles d’ici à 2050, Bainimarama a ajouté: «Les engagements de zéro net d’ici à 2050 des Fidji et des États-Unis doit devenir le zéro excuse du monde entier. Le Pacifique et la planète en dépendent».

La dernière réunion en personne du FIP – à Tuvalu en 2019 – avait failli éclater en récriminations amères lorsque l’Australie a refusé de céder sur les «lignes rouges» concernant la défense de son industrie charbonnière. Bainimarama avait alors fustigé Morrison pour s’être «aliéné» les dirigeants du Pacifique et avait prévenu que cela les pousserait à se rapprocher de la Chine, ajoutant «les Chinois ne nous insultent pas.»

La semaine dernière, la secrétaire générale sortante du FIP, Meg Taylor, de Papouasie-Nouvelle-Guinée, a déclaré lors d’une conférence de presse que la position du gouvernement australien sur le changement climatique et son soutien aux combustibles fossiles «affectent la position de ce pays dans la région».

Kausea Natano, premier ministre de Tuvalu et président sortant, a également critiqué le projet du Japon de déverser dans l’océan Pacifique plus d’un million de tonnes d’eau contaminée provenant de la centrale nucléaire de Fukushima, ce qui, selon lui, «expose notre région à un risque de dommages nucléaires potentiels».

La déclaration des dirigeants dit que les pays membres doivent conserver leurs territoires maritimes existants alors que la hausse du niveau des mers noie leurs îles. Ardern a déclaré que le groupe porterait cette déclaration devant les Nations unies, car «notre interprétation» des lois existantes qui régissent les mers est «une première» en termes de protection des territoires face à la montée inévitable du niveau des mers.

Mais aucune demande concrète n’a été adressée à l’Australie ou à d’autres grandes puissances pour qu’elles agissent de toute urgence. On n’a pas réitéré les appels lancés par le FIP au sommet écologique de Paris en 2015 pour réduire les émissions et maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 degré.

On n’a pas fait non plus référence aux crises économique et politique qui s’aggravent rapidement, exacerbées par la pandémie de COVID-19. Le régime de Bainimarama aux îles Fidji préside à une catastrophe sociale, causée par son refus de contrôler la pandémie. Le mécontentement populaire croissant face aux mesures d’austérité et d’autoritarisme a également provoqué des troubles politiques en Papouasie-Nouvelle-Guinée, à Samoa et à Vanuatu l’année dernière.

(Article paru d’abord en anglais le 11 août 2021)

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