Trudeau déclenche des élections au Canada en pleine quatrième vague de pandémie

Le gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau a déclenché des élections fédérales qui se tiendront le lundi 20 septembre, alors que le Canada est en pleine quatrième vague de pandémie de COVID-19 due au variant Delta.

Le déclenchement des élections par le gouvernement libéral est un pari basé sur trois calculs politiques cyniques: premièrement, que les libéraux, qui ont dirigé le gouvernement canadien depuis les six dernières années, sont en hausse dans les sondages et semblent donc bien placés pour regagner la majorité parlementaire qu’ils ont perdue lors des élections d’octobre 2019; deuxièmement, que les perspectives électorales des libéraux pourraient facilement se détériorer dans les mois à venir, que ce soit en raison de vents contraires économiques, de chocs géopolitiques mondiaux, de demandes publiques de comptes sur la réponse désastreuse du Canada à la pandémie de COVID-19, ou de la colère populaire face au gouffre social toujours plus grand qui sépare les riches et les super-riches d’un côté, et les travailleurs de l’autre au Canada; et troisièmement, que la quatrième vague de la pandémie ne submergera pas le système de santé et ne causera pas des milliers de décès supplémentaires... du moins avant le jour du scrutin.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau (AP Photo/Evan Vucci)

Justin Trudeau et ses conseillers ont soigneusement préparé pendant de nombreuses semaines l’appel aux élections de dimanche dernier. Ils n’ont quand même pas pu empêcher un air de crise d’envahir leur lancement des élections. Depuis le début du mois d’août, les cas de COVID-19 connaissent en effet un pic, résultat inévitable de l’abandon par tous les niveaux de gouvernements de partout au pays de pratiquement toutes les mesures de lutte contre la COVID-19. Au cours des deux dernières semaines, en date du samedi 14 août, le nombre moyen de nouvelles infections quotidiennes a plus que doublé, passant de 776 à 1608, ce qui a amené les experts de la santé, y compris la propre médecin-chef du gouvernement, Theresa Tam, à avertir que la quatrième vague est maintenant à nos portes.

Lors de son lancement électoral, Trudeau a été assailli de questions par les journalistes lui demandant pourquoi le gouvernement déclenchait des élections maintenant. N’aurait-il pas été plus prudent d’obtenir d’abord l’adoption du projet de loi C-19, un projet de loi gouvernemental visant à faciliter le vote par correspondance et à étendre le vote en personne sur plusieurs jours?

Mais avant de pouvoir faire référence aux élections imminentes, Trudeau a été contraint d’aborder les événements en Afghanistan, où, dans les heures précédentes, les talibans ont fait une entrée triomphale à Kaboul. L’effondrement ignominieux du gouvernement fantoche mis en place par les États-Unis en Afghanistan, après deux décennies au cours desquelles Washington a gaspillé 2000 milliards de dollars, causé la mort de milliers de soldats de l’OTAN et d’innombrables Afghans, tout en essayant de soumettre ce pays d’Asie centrale, est une débâcle historique pour l’impérialisme américain.

Toutefois, c’est aussi une débâcle pour l’élite dirigeante capitaliste canadienne qui, depuis trois quarts de siècle, dépend de son étroit partenariat militaro-sécuritaire avec Washington pour faire valoir ses propres intérêts impérialistes sur la scène mondiale. Dans le but de renforcer cette alliance réactionnaire, l’impérialisme canadien a fait sienne la guerre néocoloniale en Afghanistan, y déployant 40.000 soldats entre 2001 et 2014 et prodiguant des milliards de dollars d’aide au régime de Kaboul.

Alors que les Forces armées canadiennes se vantaient autrefois de l’influence que leurs conseillers intégrés exerçaient sur le gouvernement afghan, Trudeau en a été réduit dimanche à annoncer que l’ambassade du Canada à Kaboul a été fermée et que tout le personnel diplomatique canadien était en voie d’être évacué du pays.

Néanmoins, le premier ministre n’a pas ménagé ses efforts pour réaffirmer le soutien de son gouvernement au rôle joué par le Canada dans la guerre en Afghanistan. Il a déclaré que le Canada restait «dédié en Afghanistan» et qu’il s’était engagé à travailler avec ses alliés de l’OTAN pour s’assurer que le «sacrifice» de plus de 150 soldats canadiens qui sont morts pour soutenir le gouvernement Karzai/Ghani n’était pas en «vain». Surtout, il a cherché à recycler les mensonges profondément discrédités selon lesquels le Canada et ses militaires font la promotion de valeurs «humanitaires» et «démocratiques» et qui servent de couverture politique à l’agression impérialiste canadienne dans le monde.

Dans son discours préparé pour le lancement des élections, Trudeau a reconnu la menace d’un effondrement économique et a invoqué la crise du changement climatique, qui touche des millions de Canadiens cet été sous la forme d’une sécheresse, d’un dôme de chaleur sans précédent et d’incendies de forêt massifs dans une grande partie de l’Ouest canadien. En plus de la pandémie, il a cherché à établir un lien avec son principal argument de vente électoral: l’affirmation selon laquelle le gouvernement libéral «assure les arrières des Canadiens».

En réalité, le gouvernement libéral de Trudeau a impitoyablement appliqué le programme de la classe dirigeante, en ignorant et minimisant la menace de la pandémie pendant les deux premiers mois et demi de 2020 afin de ne pas empiéter sur les intérêts de profit. Ce n’est que le 10 mars 2020 qu’il a écrit aux provinces pour leur demander si elles éprouvaient des pénuries potentielles d’équipements de protection individuelle, de respirateurs et d’autres fournitures essentielles. Par la suite, il a injecté quelque 650 milliards de dollars dans les marchés financiers et les coffres des grandes entreprises pour protéger les investisseurs, puis il a fait pression pour la «réouverture» de l’économie, c’est-à-dire qu’il a forcé les travailleurs à reprendre le travail dans des entreprises non essentielles pendant la pandémie.

Pareillement, derrière une rhétorique faussement progressiste, le gouvernement Trudeau a intégré davantage le Canada dans les offensives militaro-stratégiques de Washington contre la Russie et la Chine et dépensé des dizaines de milliards de dollars pour acquérir de nouvelles flottes d’avions et de navires de guerre.

Si Trudeau tient à s’assurer une majorité parlementaire, c’est pour mieux isoler son gouvernement de toute pression populaire, afin de pouvoir poursuivre la mise en œuvre du programme réactionnaire de la classe dirigeante, de la déréglementation aux privatisations, en passant par les mesures d’austérité pour faire payer les travailleurs pour le sauvetage des sociétés.

La veille du déclenchement des élections, le ministre de la Défense Harjit Sajjan et le secrétaire américain à la défense Lloyd James Austin III ont publié une déclaration commune sur la «modernisation» du NORAD, le commandement de la défense aérospatiale nord-américaine. Cette déclaration vise à ouvrir la voie à une militarisation accrue de l’Arctique, au nom de la «concurrence stratégique» des grandes puissances avec la Russie et la Chine, et à la participation du Canada au bouclier antimissile balistique américain, dont l’objectif fondamental est de permettre aux États-Unis de mener une guerre nucléaire «gagnable».

Les partis d’opposition ont tous déploré la décision «risquée» de Trudeau de déclencher des élections alors que la quatrième vague de la pandémie commence à se manifester. Le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, a dit espérer que «cela ne coûtera pas cher aux Canadiens».

Il faut avoir du culot! Tous les partis de l’opposition fédérale ont été eux-mêmes complices de la priorité accordée par l’élite dirigeante canadienne aux profits des sociétés au détriment des vies humaines tout au long de la pandémie. Cela a entraîné plus de 26.700 décès officiellement enregistrés lors de la pandémie, mais probablement plus près de 40.000, selon une récente étude de la Société royale du Canada. Les alliés provinciaux des partis d’opposition, du gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique dirigé par John Horgan aux gouvernements conservateurs de droite radicale de l’Ontario et de l’Alberta, ont tous poursuivi la politique de retour au travail et à l’école qui a mené aux deuxième et troisième vagues pandémiques dévastatrices au Canada.

De plus, alors que dix millions de Canadiens, y compris tous les enfants de moins de 11 ans, n’ont toujours pas encore reçu un seul vaccin, ils se précipitent tous pour rouvrir complètement les écoles pour l’enseignement en classe d’ici début septembre.

Cherchant à exploiter l’inquiétude populaire justifiée selon laquelle la campagne électorale sera une série de super-événements propagateurs de COVID-19, O’Toole a bien fait attention de n’apparaître que lors d’activités virtuelles le premier jour de la campagne. Mais cela ne l’a pas empêché également de faire un appel marqué aux forces d’extrême droite, anti-vaccins et anti-masques tant au sein de son parti conservateur que gravitant autour. Il a en effet déclaré qu’il n’exigerait pas que les candidats conservateurs soient vaccinés et il a fait connaître son opposition à la récente annonce du gouvernement selon laquelle il rendra obligatoire à l’automne la vaccination de tous les travailleurs fédéraux.

Dans un appel clair au soutien des grandes entreprises, O’Toole a attaqué le gouvernement Trudeau pour n’avoir aucun plan pour éliminer le déficit et promouvoir la croissance économique. Il a également dénoncé Trudeau pour avoir été «mis hors-jeu sur la question de la Chine au cours des six dernières années», promettant qu’un gouvernement conservateur bannirait immédiatement Huawei du réseau 5G du Canada et alignerait Ottawa encore plus complètement derrière l’agression économique et militaire de Washington contre la Chine.

À la demande expresse de ses syndicats affiliés, le NPD, prétendument «de gauche», joue le rôle principal dans le soutien du gouvernement libéral minoritaire depuis les 22 derniers mois. En effet, le NPD souhaite tellement que cette collaboration se poursuive que le chef du parti, Jagmeet Singh, a écrit à la gouverneure générale non élue à la fin du mois de juillet pour lui demander d’utiliser ses pouvoirs arbitraires pour refuser la demande d’élection imminente de Trudeau. Cela n’a pas empêché Singh de décrier, lors du lancement de la campagne de son parti, la façon dont les «ultra-riches» bénéficient des politiques et des programmes libéraux pour lesquels le NPD vote constamment.

Avec ses promesses d’impôt sur la fortune et d’assurance-médicaments, le NPD fait un appel mesuré à la colère sociale croissante dans le but d’obtenir plus de sièges et d’influence. Mais sa fonction première est de piéger l’opposition sociale dans les limites de la politique parlementaire de l’establishment.

Comme tous les autres chefs de parti, Singh déplore l’effondrement du régime afghan parrainé par les États-Unis. Dans un long énoncé sur la politique de son parti publié à la fin de la semaine dernière, le NPD réitère son soutien à l’armement des Forces armées canadiennes avec l’acquisition de nouveaux avions de chasse et de navires de guerre de haute technologie. «Après des décennies de compressions et de mauvaise gestion de la part des gouvernements libéraux et des conservateurs, nos militaires se sont malheureusement retrouvés avec du matériel désuet, un soutien inadéquat et un mandat stratégique mal défini», déplore le NPD.

Le Bloc Québécois (BQ), qui est actuellement le troisième parti en importance au Parlement, a lancé sa campagne dimanche sur une note chauvine stridente. Le chef du parti, Yves-François Blanchet, s’est vanté que le BQ est le seul parti exclusivement consacré aux «intérêts économiques du Québec», c’est-à-dire au soutien de l’élite capitaliste québécoise et des sociétés basées au Québec. Le BQ se présente comme un parti «progressiste», mais il est pourtant un proche allié du gouvernement provincial de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Ce dernier a adopté une législation chauvine ciblant les immigrants et les minorités religieuses. Il menace régulièrement de criminaliser l’action syndicale et dénonce les «hauts salaires» des travailleurs du secteur manufacturier.

Annamie Paul, dont le leadership du Parti vert est remis en question depuis qu’un des trois députés du parti a fait défection aux libéraux au début du mois de juin, a souligné lors du lancement de sa campagne que l’«économie verte» est l’endroit où «l’argent intelligent» va, et une «occasion unique» pour le capitalisme canadien de devenir un «leader mondial».

Une faction de la bureaucratie syndicale, menée par Unifor, le plus grand syndicat industriel du pays, et de nombreux syndicats d’enseignants, monte une fois de plus une campagne «N’importe qui sauf les conservateurs», appelant ainsi dans les faits à voter pour les libéraux dans la plupart des circonscriptions. Une autre faction, comprenant les dirigeants du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et le Syndicat des Métallos (USW), est un peu plus prudente dans son soutien au gouvernement Trudeau. Mais les deux factions inciteront quand même le NPD à soutenir un gouvernement libéral Trudeau s’engageant à renforcer la position stratégique et «compétitive» du capitalisme canadien dans le monde si jamais aucun parti ne remportait de majorité le 20 septembre.

Comme le lancement des élections de dimanche l’a souligné, l’impérialisme canadien est en crise. La plus grande menace qui plane sur lui est le mouvement d’opposition croissant au sein de la classe ouvrière qui a déjà donné lieu à une vague de grèves contre les suppressions d’emplois et la détérioration des conditions de travail, ainsi qu’à des protestations contre la gestion désastreuse de la pandémie. Le Parti de l’égalité socialiste (Canada) profitera de la période de la campagne électorale pour intensifier ses efforts afin de donner à cette opposition une articulation politique consciente. Ces efforts comprennent la lutte pour mobiliser la classe ouvrière afin que les travailleurs imposent leur propre politique fondée sur la science pour maîtriser la pandémie en donnant la priorité à la vie plutôt qu’aux profits; l’opposition à l’alliance anti-ouvrière entre les syndicats, le NPD et les libéraux; et l’unification des luttes des travailleurs de partout au Canada avec celles de leurs frères et sœurs de classe des États-Unis et d’ailleurs dans le monde.

(Article paru en anglais le 17 août 2021)

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