Le gouvernement néo-zélandais abandonne sa politique d'élimination de la COVID-19

Depuis que la Nouvelle-Zélande est entrée pour la première fois dans un confinement national en mars 2020, elle faisait partie d'un très petit groupe de pays ayant pour politique déclarée d'éliminer le COVID-19 de la communauté.

Lundi, la première ministre travailliste Jacinda Ardern a annoncé que cette stratégie était désormais abandonnée, au milieu d'une flambée épidémique dans la plus grande ville du pays, Auckland. Elle a déclaré lors d'une conférence de presse que le variant Delta hautement infectieux « changeait la donne » et que le gouvernement « passerait de sa stratégie actuelle à une nouvelle façon de faire les choses ».

La première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern s'adresse à une conférence de presse suite à une réunion du cabinet, au Parlement de Wellington, Nouvelle-Zélande, le 4 octobre 2021. (Mark Mitchell/Pool Photo via AP)

Ardern a justifié cette volte-face en disant que « de longues périodes de fortes restrictions ne nous ont pas permis d'atteindre zéro cas […] L'élimination était importante parce que nous n'avions pas de vaccins; maintenant ce n‘est plus le cas, alors nous pouvons commencer à changer notre façon de faire les choses ». La Nouvelle-Zélande passerait à l'utilisation de « mesures sanitaires publiques courantes » tout en s’appuyant sur la vaccination.

Les médias internationaux ont rapporté l’annonce en se frottant les mains. Ceux-ci insistent pour dire qu'il n'y a pas d'autre solution que de laisser le virus se propager et infecter la population, tuant un grand nombre de personnes. Les élites dirigeantes de tous les pays considèrent les confinements et fermetures d'écoles comme une ponction intolérable sur les profits. Leur point de vue a été résumé par la tristement célèbre déclaration du premier ministre britannique Boris Johnson: « Plus de putains confinements, laissez les corps s'entasser par milliers ! »

La Nouvelle-Zélande et la Chine, et dans une certaine mesure l'Australie, ont montré qu'il était possible d'éradiquer le virus et de protéger les vies en utilisant des mesures de confinement strictes et d'autres mesures sanitaires. Depuis le début de la pandémie, seulement 28 personnes sont décédées du COVID-19 en Nouvelle-Zélande. Le bilan de ce pays a été cité par des travailleurs à l'international, dont des enseignants et des parents cherchant à lutter contre une réouverture meurtrière des écoles et des lieux de travail qui a entraîné d'innombrables décès évitables.

Contrairement aux affirmations d'Ardern, même le variant Delta peut être éliminé. La Nouvelle-Zélande était sur la bonne voie pour éliminer son épidémie actuelle avec un confinement national strict de «niveau 4» imposé le 18 août. Le nombre total de cas actifs dans la communauté a culminé à 725 le 2 septembre, puis est tombé à un point bas de seulement 202 le 28 septembre, car la plupart des gens s'étaient remis de l'infection.

En réponse à la pression des grandes entreprises cependant, le gouvernement a levé (article en anglais) le confinement en dehors d'Auckland le 8 septembre et, le 22 septembre, a abaissé les restrictions dans la ville au «niveau 3». Contre l'avis des experts en santé publique, il a permis à plus de 200 000 personnes de retourner sur leur lieu de travail. Les écoles et les centres de la petite enfance d'Auckland ont rouvert pour de petits groupes. À la suite de ces changements, l'épidémie s'est à nouveau étendue pour atteindre un total de 350 cas actifs aujourd'hui.

Le gouvernement réagit, non pas en réimposant des restrictions, mais en assouplissant davantage le confinement. Ardern a annoncé qu'à partir de cette semaine, les habitants d'Auckland peuvent reprendre leurs activités de plein air, les amis peuvent se rencontrer à l'extérieur en petits groupes et davantage d'enfants peuvent retourner dans les garderies. Dans les semaines à venir, d'autres magasins de détail ouvriront et le 18 octobre, les écoles de la ville devraient rouvrir.

Faisant écho aux politiciens des États-Unis et d'autres pays, Ardern a déclaré que la «feuille de route» de réouverture était sûre car davantage de personnes étaient désormais vaccinées. Elle a déclaré aux médias mardi : « le vaccin est un ticket pour la liberté, c'est l'outil le plus efficace dont nous disposons pour réduire les restrictions ».

En fait, la vaccination à elle seule ne peut empêcher que la COVID-19 cause un grand nombre de décès. Même les pays où plus de 80 pour cent de la population est vaccinée, comme Singapour et Israël, connaissent une augmentation des cas comme des décès.

En Nouvelle-Zélande, le risque est beaucoup plus grand car seulement 39 pour cent de la population totale a été complètement vaccinée (48 pour cent de la population éligible âgée de plus de 12 ans). C'est moins qu'au Royaume-Uni, où jusqu'à 1 000 décès dus au COVID-19 sont signalés chaque semaine et où les hôpitaux sont en état de crise.

La modélisation du professeur Shaun Hendy, l'un des principaux conseillers du gouvernement Ardern, montre que même avec 80 pour cent des personnes entièrement vaccinées, la Nouvelle-Zélande pourrait connaître 7 000 décès dus au virus et plus de 58 000 hospitalisations au cours d'une année.

Le système hospitalier manque cruellement de personnel et de fonds, et sera rapidement submergé par une épidémie importante. Tania Mitchell, présidente du College of Critical Care Nurses (Association des infirmières de soins intensifs), a déclaré lundi à Newshub: « J'ai peur pour le public. J'ai peur pour les hôpitaux, le service de santé. J'ai peur pour mes collègues, notre équipe […] que cela soit dévastateur pour nous. La Nouvelle-Zélande compte 4,6 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants, soit moins que le Royaume-Uni (6,4) et l'Australie (8,9).

La microbiologiste Siouxsie Wiles, a souligné qu’une épidémie frapperait le plus durement les pauvres et la classe ouvrière, déclarant à TVNZ: « Ce qui est si navrant dans l'approche que nous adoptons, c'est que le poids ne sera pas ressenti de manière équitable. » Elle a souligné que ceux qui appelaient à la levée des restrictions étaient « les riches et les privilégiés, et c'est parce qu'ils ont accès à des soins de santé privés et qu'ils ne seront pas touchés autant ». Wiles était particulièrement préoccupée par la réouverture des écoles, qui ont été une source majeure d'infections et de décès à l'échelle internationale.

Ces commentaires sont particulièrement importants car Wiles avait auparavant largement soutenu la politique du gouvernement en matière de pandémie. En mars, elle a été nommée Néo-Zélandaise de l'année par Ardern.

La décision du gouvernement a sans aucun doute été un choc pour de nombreux travailleurs, qui soutiennent massivement les confinements. Un sondage du New Zealand Herald auprès de 1 000 personnes en août a révélé que seulement 13 pour cent pensaient que le pays devrait « apprendre à vivre » avec le coronavirus, tandis que 85 pour cent soutenaient une politique d'élimination.

Une manifestation (article en anglais) anti-confinement le week-end dernier, appelée par la Destiny Church [mouvement intégriste protestant] d'extrême droite, qui a bénéficié d’une énorme couverture dans les médias après que la police l’eut autorisée, a provoqué une importante colère populaire. Une pétition en ligne pour que le chef de l'église Brian Tamaki soit poursuivi en justice a rapidement recueilli près de 150 000 signatures. Mardi, la police a porté des accusations contre Tamaki pour avoir enfreint le confinement.

L'establishment politique est clairement inquiet quant à une résurgence de l'opposition dans la classe ouvrière. Une déclaration du Parti vert, qui fait partie du gouvernement de coalition dirigé par les travaillistes, s'est opposé à l'annonce d'Ardern, déclarant: « L'élimination a protégé des milliers de vies à Aotearoa [NZ]. Nous devons maintenir le cap pour assurer la sécurité de tout le monde. »

Les Verts et le Parti maori ont souligné la vulnérabilité des peuples maoris et des îles du Pacifique, qui ont des taux de vaccination plus faibles et plus de problèmes de santé qui augmentent le risque de maladie grave s'ils contractent le COVID-19. En encourageant l'illusion que les travaillistes peuvent être poussés à changer de cap, ces partis essaient de s'assurer que l'opposition ne dégénère pas.

Pendant ce temps, le rédacteur en chef du Daily Blog de« gauche » Martyn Bradbury, bien qu'il ait dénoncé le Parti national d'opposition comme des « capitalistes du culte de la mort » pour avoir cherché à mettre rapidement fin aux restrictions, s'est porté à la défense de la politique de réouverture d'Ardern. Au fond, il accepte désormais qu’il est impossible d'éliminer le virus, déclarant faussement que: « Le delta deviendra endémique et il faudra rien moins qu'un confinement perpétuel pour y mettre fin. Vous ne pouvez pas dire aux personnes doublement vaccinées qu'elles doivent limiter leur liberté pour toujours. »

Les travailleurs doivent rejeter l'abandon de la stratégie d'élimination, qui menace de provoquer un nombre de morts massif et des maladies graves. Cela nécessite une rupture politique consciente d’avec les travaillistes et d’avec les syndicats et leurs apologistes.

Comme en a averti le WSWS, le Parti travailliste, un parti capitaliste, n’a jamais été sérieusement déterminé à éliminer le virus et a cherché à maintes reprises à satisfaire les réclamations de la grande entreprise. En mars 2020, le gouvernement travailliste et la bureaucratie syndicale s’étaient initialement opposés (article en anglais) à la fermeture des entreprises et des écoles. Ardern n'a été contrainte de changer de cap et d'imposer l'un des confinements les plus stricts au monde qu'après l'émergence d'une opposition de masse, indépendante des syndicats, parmi les travailleurs de la santé, les enseignants et d’autres.

Les travailleurs, les enseignants et les parents en Nouvelle-Zélande et dans le monde devraient constituer des comités de sécurité de la base et préparer des grèves et d'autres actions contre la réouverture des écoles et des lieux de travail pendant que la COVID-19 se propage toujours à Auckland.

Nous encourageons vivement les lecteurs à assister au prochain webinaire, organisé par le World Socialist Web Site et l'Alliance ouvrière internationale des comités de base, « Comment mettre fin à la pandémie: les arguments en faveur de l'éradication », où scientifiques, socialistes et travailleurs discuteront des mesures nécessaires pour éradiquer le virus à l'échelle mondiale.

(Article paru en anglais le 6 octobre 2021)

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