En insultant l’Algérie, Macron provoque une crise diplomatique avec Alger

En durcissant les conditions d’octroi de visas et en insultant la lutte anticoloniale du peuple algérien, le gouvernement Macron légitime le colonialisme et incite des haines néofascistes. Il a provoqué une crise diplomatique majeure avec l’Algérie et le rappel par Alger de l’ambassadeur algérien en France.

Un communiqué de la présidence algérienne indique: « À la suite des propos non démentis que plusieurs sources françaises ont attribué nommément au Président de la République française, l’Algérie exprime son rejet catégorique de l’ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures que constituent lesdits propos ». C’est la deuxième fois qu’Alger rappelle son ambassadeur à Paris depuis mai 2020 après la diffusion sur France-5 d’un documentaire sur le Hirak, le mouvement de contestation de masse du régime militaire algérien qui a commencé en février 2019.

Cette crise diplomatique a débuté le 29 septembre. Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a annoncé sur les ondes d’Europe1 que l’octroi de visas par la France serait « durci d’ici quelques semaines pour les ressortissants du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, qui ‘refusent’ de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France ». Cette restriction des visas, qui bloque la circulation des personnes voulant se rendre en France pour voir leurs familles, touche des millions de personnes d’origine maghrébine en France.

En 2018, l'Insee indique qu'il y avait en France 1,9 millions immigrés du Maghreb ainsi que 2,4 millions de descendants directs nés en France d'au moins un parent maghrébin, soit 4,3 millions, auxquels s'ajoutent les petits-enfants d'immigrés maghrébins estimés à 821.000 en 2011 par Michèle Tribalat. Cela fait au total 5,1 millions de personnes d'origine maghrébine en France.

L’ambassadeur de France en Algérie, François Gouyette, convoqué au ministère algérien des Affaires étrangères, s’est vu notifier « une protestation formelle du gouvernement algérien suite à une décision unilatérale du gouvernement français affectant la qualité et la fluidité de la circulation des ressortissants algériens à destination de la France », selon un communiqué de ce ministère.

Le 30 septembre, recevant une délégation de 18 jeunes Français d’origine maghrébine, binationaux et pour certains Algériens, le président français, Emmanuel Macron a lancé: « La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle », en référence à lutte héroïque et sanglante du peuple algérien contre le régime colonial français lors de la guerre d’Algérie (1954-1962).

Traitant l’Algérie de « système politico-militaire qui s’est construit sur cette rente mémorielle », Macron a attaqué « une histoire officielle … totalement réécrite » et qui selon lui «ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur «un discours qui repose sur une haine de la France». Macron a ensuite mis en cause la légitimité de l’Algérie: «Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? C’est ça la question (…) Moi, je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée ».

Quatre jours plus tard, Alger a rappelé son ambassadeur en France pour « consultation » et a fermé son espace aérien aux avions militaires français. En 2013 ceux-ci ont reçu l’autorisation de survoler le territoire algérien pour mener la guerre dans le Sahel lancée avec l’intervention française au Mali, avec lequel l’Algérie partage une frontière désertique de 1.300 kilomètres.

Cyniquement Macron a réagi à cette crise franco-algérienne en prétendant qu’il souhaitait « qu’il y ait un apaisement».

Mais il a ensuite maintenu ses propos, en affirmant: «J’ai le plus grand respect pour le peuple algérien, et j’entretiens des relations vraiment cordiales avec le président Tebboune. Mais nous avons enclenché un travail, avec le rapport que nous avons demandé à Benjamin Stora (...) avec la jeunesse française et franco-algérienne, et je continuerai ce travail. Il y aura immanquablement d’autres tensions. Ce ne sont que des histoires de blessures. Le problème c’est que beaucoup sont inconciliables les unes avec les autres. Or on est tous ensemble dans le même pays, et donc on doit avoir un projet national qui nous embarque ».

Les provocations de Macron et de son gouvernement contre l’Algérie sont des avertissements pour les travailleurs en France comme sur la rive sud de la Méditerranée. En fait c’est Macron qui « réécrit totalement l’histoire » à travers ses déclarations, cherchant à couvrir les crimes commis par l’impérialisme français aux 19e et 20e siècles, tout comme les crimes commis ou en préparation dans les guerres néocoloniales de la France au 21e siècle.

Contrairement aux affirmations arrogantes de Macron sur la société algérienne avant la colonisation française et avant même le régime ottoman, il a existé diverses formes « d’État sur ce territoire du Maghreb central » selon l’historien Gilles Manceron, qui ajoute: « Le fait que le sentiment national algérien ne se soit généralisé qu’au moment de la guerre est une réalité. Mais comme le sentiment d’appartenance à la nation française qui ne s’est vraiment installé qu’après la Révolution ».

La domination française de l’Algérie était réactionnaire et criminelle. La France a colonisé l’Algérie et tout le Maghreb faisant de ses habitants des citoyens de seconde classe, réprimés selon les provisions discriminatoires du Code de l’indigénat. Durant la guerre pour l’indépendance, l’impérialisme français a torturé et tué en masse, des crimes qui rappelaient ceux commis en France occupée une décennie auparavant par le régime collaborationniste de Vichy.

Sur 10 millions d’Algériens, la France en a détenu 3 millions dans des camps d’internement et a fait un demi million de morts en Algérie. 25.000 soldats français sont morts pendant la guerre et plus de 60.000 ont été blessés. A cela s’ajoutent les assassinats en métropole par le SAC et la police contre les dirigeants où les manifestants pro-indépendance. Paris a néanmoins subi une défaite humiliante dans la guerre, face au courage des travailleurs et des opprimés algériens.

Ces déclarations soulignent la nature des forces politiques que nourrit Macron alors qu’il mène une politique de propagation du coronavirus, de guerre néocoloniale au Sahel, et de violente répression des grèves à l’intérieur de la France.

Elles soulignent son alignement avec les milieux d’extrême droite nostalgique de l’Algérie française qui ont joué un rôle central dans le putsch de 1958 permettant à De Gaulle de prendre le pouvoir et la création de la Ve République. Ces forces pro-Algérie française ont ensuite par des attentats et une tentative de coup d’état voulu changer la politique française après que De Gaulle ait décidé de négocier l’indépendance de l’Algérie avec le FLN.

A présent, sur fond de colère ouvrière contre la gestion criminelle par les hauts responsables de la pandémie du coronavirus, les descendants politiques de ce milieu agitent la menace de coup d’état dans une lettre écrite par des généraux à la retraite proche de la famille de Villiers. Le calcul par Macron de l’effet électoral sur ces milieux d’extrême-droite aux présidentielles de 2022 n’est sans doute pas étranger à sa décision de provoquer une crise avec Alger.

Cette crise souligne que la lutte contre la mise en place d’un régime policier en France opprimant les travailleurs en France comme en Afrique passe par l’unification internationale des luttes ouvrières des deux rives de la Méditerranée dans une lutte pour le socialisme.

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