Le Mali accuse Paris d’armer les terroristes en sous-main pour attiser la guerre

Dans une déclaration vendredi au service de presse russe RIA Novosti, le premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga a accusé le gouvernement français d’armer des terroristes islamistes en sous-main pour entretenir le conflit dans son pays et justifier l’occupation militaire française.

Cette déclaration, sur laquelle la presse française fait encore un silence assourdissant, met en accusation le régime français et ses alliés de l’OTAN. Deux présidents français, le social-démocrate François Hollande et l’actuel Emmanuel Macron, ainsi que leurs alliés, mènent la guerre au Mali depuis 2013. Or, Maïga, installé au pouvoir par l’armée malienne qui jouit du soutien de Paris, les accuse d’avoir recours à des méthodes criminelles pour justifier une guerre sanglante dans son pays.

De plus, ces mêmes réseaux islamistes ont commis des attentats à Paris et à travers l’Europe, dont Hollande et Macron se sont servis pour imposer un état d’urgence et mener une violente répression des grèves et des « gilets jaunes » en France. L’accusation portée par Maïga met en cause toutes les justifications officielles de cette offensive réactionnaire contre les travailleurs.

Maïga a accusé les forces françaises arrivées au début de la guerre à Kidal, dans le nord du pays, où étaient actives plusieurs milices hostiles envers le pouvoir central malien à Bamako. « La France a créé une enclave au Mali, elle a formé et entraîné une organisation terroriste à Kidal », a-t-il dit, en ajoutant: « Arrivée à Kidal en 2013 lors de l'offensive contre les groupes armés qui ont envahi les régions du nord, la France a interdit à l'armée malienne de rentrer à Kidal ».

Il a poursuivi: « Ansar Dine, une organisation terroriste internationale, une branche d'Al-Qaïda au Mali, son chef, les Français ont pris ses deux adjoints pour former une autre organisation … Le gouvernement malien jusqu’à présent n’a pas son autorité sur la région de Kidal. Or, c’est la France qui a créé cette enclave, une zone de groupes armés qui sont entraînés par les officiers français. Nous en avons les preuves ».

Pour étayer ses accusations contre Paris, Maïga a rappelé que la guerre au Mali est partie de conflits entre des milices qui avaient fui la Libye après la guerre menée contre ce pays par Paris, Londres et Washington en 2011 en alliance avec Al Qaeda. Il a dit: « Vous savez, les terroristes d’abord sont venus de Libye. Qui a détruit l’État libyen ? C’est le gouvernement français avec ses alliés ».

Maïga a également répondu aux menaces de Macron, qui tente de ralentir le retrait des troupes françaises et l’arrivée de forces russes voulues par le régime malien. Macron avait dit souhaiter que la France « retire (ses) bases militaires le plus vite possible », mais a ensuite prétendu que ce retrait nécessiterait une transformation totale de la politique de l’État malien: « ça suppose un retour d'un État fort et des projets d'investissement, pour que les jeunes ne se tournent pas, dès que les groupes terroristes reviennent, vers le pire ».

Traitant ce commentaire de « chantage », Maïga a dit: « Ce chantage ne peut affaiblir notre détermination à protéger notre territoire, notre pays. Ce chantage ne sera pas une raison pour mettre fin à la coopération avec des partenaires fiables comme la Russie … Si on conclut un accord avec la Russie, la pratique montre qu'il s'agit d'un partenaire fiable. Nous sommes un État souverain et cela nous donne le droit de coopérer avec n'importe quel État dans l'intérêt de notre peuple. C'est notre seul objectif !»

Les accusations de Maïga contre Paris ne reposent pas simplement sur les informations de l’État malien, mais également sur les dires de hauts responsables français. En effet, l’ancien ambassadeur français au Mali et au Sénégal, Nicolas Normand, avait déjà critiqué la guerre au Mali – Opération Serval puis Opération Barkhane – en 2019, dans des termes qui étayent sur plusieurs points les accusations formulées par Maïga.

Normand a souligné le pouvoir accordé par Paris à des milices et surtout au Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), lié à divers réseaux d’Al Qaeda dont Ansar Dine. Interviewé par Radio France Internationale, Normand avait dit que l’Opération Serval visait à

« empêcher les différents groupes jihadistes réunis de déferler vers le Sud … vers Bamako. Le problème, c’est que la France a cru ensuite distinguer des bons et des mauvais groupes armés. Certains étaient perçus comme politiques et d’autres étaient perçus comme terroristes. Et l’armée française est allée rechercher ce groupe – c’était le MNLA à l’époque –, ces séparatistes touaregs, d’une tribu particulière qui était minoritaire au sein même des Touaregs, les Ifoghas. … on lui a donné la ville de Kidal. Et ensuite, ultérieurement, il y a eu les accords d’Alger, qui mettent sur une sorte de piédestal ces séparatistes, à égalité en quelque sorte avec l’État ».

Normand a froidement décrit la stratégie de classe de l’impérialisme français pour se fidéliser les couches sociales les plus privilégiées dans le nord du Mali.

Traitant la rébellion nationaliste touarègue dans l’Azawad de « défense de privilèges féodaux d’une minorité de Touaregs, dans la région de Kidal », il a souligné les « rivalités inter-touarègues … entre les Ifoghas nobles et le tiers-état touareg qu’on appelle les Imghad Les Imghad étaient pro-Bamako, pour résister au pouvoir féodal de la noblesse Ifoghas, qui elle, était séparatiste en bonne partie pour pouvoir résister elle-même à la démocratisation, au pouvoir du nombre et au pouvoir de l’égalité de statut entre les nobles et le tiers-état».

Cette stratégie, si elle a pu s’avérer payante pendant un temps pour tisser des liens entre Paris et des élites touarègues, est devenue un obstacle aux tentatives de Paris de dicter une fin au conflit. Face à la montée de l’opposition de la population malienne à la guerre française, selon Normand, elle a laissé Paris allié à une petite élite privilégiée qui trouvait elle aussi son intérêt à maintenir le conflit. Évoquant les accords d’Alger signés en 2015 avec le soutien de Paris, Normand a dit :

« Le problème de l’accord d’Alger, c’est que l’on a donné un statut fort avantageux et toutes sortes d’avantages matériels aux signataires. … En plus, l’aboutissement de l’accord, c’est le désarmement et ce sont des élections. Et cette noblesse Ifoghas minoritaire n’a pas intérêt à des élections. Parce qu’à ce moment-là, elle serait sans doute balayée par la majorité non Ifoghas. … A Kidal, les Ifoghas sont minoritaires et ils ont tout le pouvoir actuellement ».

De là, Normand a proposé à Paris d’affermir son contrôle sur le nord du Mali en parrainant des négociations entre Touaregs. Il a cité le Ghana, « un exemple de réussite, où les chefs traditionnels ont gardé certains pouvoirs locaux, fonciers, juridiques … Alors, on peut s’inspirer de cela ».

En fait, les guerres en Libye et au Mali ont été de sales guerres, menée dans le dos des Français par une aristocratie financière et patronale visant à asservir les Africains en divisant pour mieux régner. Elles sont allées de pair avec la construction d’un État policier qui casse méthodiquement les acquis sociaux – statuts, retraites, assurance-chômage – afin d’asservir les travailleurs en France, et réagit à l’opposition des jeunes et des travailleurs en tentant d’écraser les manifestations.

Les troupes françaises doivent quitter le Mali et l’Afrique, et les accusations formulées par Maïga faire l’objet d’investigations qui établiront la responsabilité de Paris dans les actions terroristes. La précondition essentielle pour cela est la construction d’un mouvement politique international dans la classe ouvrière, unissant les travailleurs d’Afrique et d’Europe en une lutte contre l’impérialisme et la guerre, et pour le socialisme.

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