Il faut s’opposer à l’attaque racialiste de droite à l’encontre du compositeur Bright Sheng à l’université du Michigan

Les Étudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale(EJIES) de l’Université du Michigan dénoncent la campagne de dénigrement racialiste menée contre le compositeur, chef d’orchestre et pianiste de renom Bright Sheng. L’affirmation d’un groupe d’étudiants et de professeurs selon laquelle il aurait commis un «acte raciste» en projetant une version cinématographique d’Othello avec Laurence Olivier est aussi mal informée que fausse. Tous les étudiants sérieux et animés d’un esprit démocratique devraient refuser de se laisser intimider et prendre la défense de Sheng.

Bright Sheng. (Photo: brightsheng.com)

Vendredi, David Gier, le doyen de l’école de musique, de théâtre et de danse (SMTD) de l’université du Michigan, a annoncé que Sheng cesserait d’enseigner son cours de composition musicale de premier cycle ce semestre, mais qu’il resterait membre du corps enseignant. Cette décision a été prise un mois après que Sheng a projeté pour la classe l’adaptation cinématographique de 1965 d’Othello de William Shakespeare, réalisée par Stuart Burge, personnalité de longue date du théâtre et de la télévision, et dans laquelle le grand acteur shakespearien Laurence Olivier joue Othello avec un maquillage noir.

Sheng, né en Chine et titulaire de la chaire universitaire distinguée Leonard Bernstein de composition, est un compositeur de renommée mondiale qui enseigne à l’université du Michigan depuis 1995. Il a été finaliste du prix Pulitzer et a reçu une bourse MacArthur «genius» en 2001. La Fondation l’a décrit comme «un compositeur innovant dont les orchestrations habiles font le lien entre l’Orient et l’Occident, les styles lyriques et dissonants, et les thèmes historiques et contemporains pour créer des compositions qui trouvent un écho auprès des publics du monde entier».

Le «crime» pour lequel Sheng a été contraint d’abandonner son cours n’a été rendu possible que par la frénésie racialiste qui s’est emparée des campus universitaires et des médias. Aucune personne honnête ou impartiale ne peut trouver quoi que ce soit d’offensant dans la performance d’Olivier ou dans le film dans son ensemble.

Sheng a été «dénoncé», selon le Michigan Daily, par l’une de ses étudiantes de première année, Olivia Cook, qui a remarqué qu’Olivier jouait Othello avec du maquillage noir. «J’étais stupéfaite», a déclaré Olivia Cook. «Dans une école qui prêche la diversité et s’assure qu’ils comprennent l’histoire des personnes de couleur en Amérique, j’ai été choquée que (Sheng) montre quelque chose comme ça dans un endroit qui est censé être un espace sûr.»

Cook, qui de toute évidence ne connaît rien de la pièce, de son histoire ou de la carrière et des intentions d’Olivier dans son interprétation de 1965, a jusqu’à présent été entièrement soutenu par l’université dans l’affirmation sans fondement que la projection du film par Sheng et le film lui-même étaient «racistes.»

Après le cours du 10 septembre et le tollé manipulé qui s’en est suivi, Sheng a présenté ses excuses aux étudiants et a annulé un projet Othello prévu pour le cours. Selon le reportage, le doyen du SMTD, Gier, et plusieurs membres du corps enseignant se sont empressés d’accepter l’affirmation selon laquelle la projection du film par Sheng était un «acte raciste».

Dans une déclaration au Michigan Daily, le professeur de composition Evan Chambers – qui remplace Sheng dans le cours – a écrit: «Montrer le film maintenant, surtout sans véritable mise en contexte, sans conseil sur le contenu et sans mettre l’accent sur son racisme inhérent est en soi un acte raciste, quelles que soient les intentions du professeur.» Chambers ne présente absolument aucune preuve à l’appui d’une affirmation aussi scandaleuse. Il semble que le public doive simplement le croire sur parole. Gier a signalé l’«incident» au bureau de l’équité, des droits civils et du titre IX de l’université.

Sheng a ensuite présenté des excuses officielles à l’échelle du département le 16 septembre. La lettre exprimait son opposition au racisme et soulignait ses nombreuses collaborations avec des artistes de races, de sexes et d’ethnies différents pour démontrer qu’il «ne s’est jamais considéré comme discriminatoire de quelque manière que ce soit».

Les excuses officielles ont ensuite été saisies par un groupe d’étudiants de premier et de deuxième cycle de la SMTD et par plusieurs membres du corps enseignant, qui les ont jugées «incendiaires» parce qu’elles «laissaient entendre» que Sheng était «responsable» du «succès» des artistes mentionnés dans sa lettre. Le collectif a publié cette dénonciation dans une lettre adressée au doyen, demandant que Sheng soit démis de ses fonctions pour le reste du semestre, car il avait créé un «environnement nuisible».

Cependant, après la publication de la lettre ouverte la semaine dernière, Sheng s’est retiré de l’enseignement du cours à l’instigation de Gier.

Tout cet incident est immonde et honteux. Malgré toutes les critiques sur le fait que les étudiants ont besoin d’un contexte et d’avertissements sur la pièce, il n’y a pratiquement aucune discussion sur l’œuvre elle-même ou son adaptation cinématographique.

Othello, dont la première représentation remonte probablement à 1603, est l’un des chefs-d’œuvre du canon théâtral de langue anglaise. Le personnage principal est un général maure de l’armée vénitienne qui a secrètement épousé Desdémone, la fille d’un sénateur de premier plan, Brabantio. Ce dernier accuse d’abord Othello d’utiliser la magie et la sorcellerie pour enlever sa fille, jusqu’à ce que Desdémone apparaisse et révèle son grand amour pour son nouvel époux. Iago, un enseigne de la même armée, déteste Othello et complote avec succès pour le rendre jaloux de sa promise. Le général stoïque de la première moitié de la pièce succombe progressivement aux manœuvres d’Iago dans la seconde moitié, et la tragédie culmine avec le meurtre de Desdémone par Othello dans un accès de rage aveugle et jalouse. Othello est un personnage profondément sympathique et tragique, défait par le machiavélique Iago.

La pièce a été jouée un nombre incalculable de fois en quatre siècles aux quatre coins du monde et adaptée sous de nombreuses formes, y compris à l’opéra, notamment par le compositeur italien Giuseppe Verdi en 1887.

Il existe plusieurs versions cinématographiques, dont une version légendaire de 1951 réalisée par Orson Welles (avec l’acteur irlandais Micheál MacLiammóir dans le rôle de Iago), une version de 1981 avec Anthony Hopkins (Othello) et Bob Hoskins (Iago) – réalisée par Jonathan Miller – et une adaptation de 1995 (Oliver Parker), avec Laurence Fishburne dans le rôle d’Othello et Kenneth Branagh dans celui d’Iago.

La version Burge-Olivier de 1965 est une interprétation fidèle et importante. Bien que le Michigan Daily ait déclaré que le film était «controversé à l’époque», il a en fait été fortement apprécié dans de nombreux milieux. Tous les acteurs principaux du film ont été nominés aux Academy Awards, notamment Frank Finlay (Iago), Maggie Smith (Desdémone), Joyce Redman (Emilia) et Olivier.

Othello, «le Maure de Venise», est généralement considéré comme étant d’origine nord-africaine, de la région de l’actuel Maroc. Il était très rare que des Maures figurent dans les pièces de théâtre de l’époque (Shakespeare a inclus le vilain Aaron le Maure dans son Titus Andronicus), et de nombreux critiques affirment que Shakespeare a consciemment introduit la race comme l’une des sources de tension dans la pièce, surtout entre le père de Desdémone et Othello, ainsi que comme l’une des motivations d’Iago.

Le critique soviétique Aleksandr Smirnov a fait valoir que Shakespeare démontre son humanisme dans Othello, écrivant que «Desdémone aime Othello malgré sa race et sa couleur. Dans leur passion tragique, le problème racial en tant que tel n’existe pas, et il n’influence pas l’attitude du Doge [le dirigeant vénitien] envers Othello. Shakespeare résout le problème racial d’une manière plus radicale que dans Le Marchand de Venise. Dans ce dernier, un seul monologue, qui ne fait même pas partie intégrante de la pièce, traite du problème alors que dans Othello, le thème est traité dans son intégralité. Othello est un représentant complet de la nouvelle ère».

La dénonciation de l’interprétation d’Olivier, qu’il avait déjà donnée sur la scène britannique, est particulièrement réactionnaire dans la mesure où l’acteur tentait de reprendre à son compte les approches timides et semi-racistes du personnage d’Othello qui avaient prévalu pendant un siècle et demi.

En représentant Othello en tant que noir, en tant qu’Africain, Olivier a repoussé divers commentateurs choqués à l’idée que la jeune fille blanche Desdémone puisse tomber éperdument amoureuse d’un homme noir. Comme le commente Elise Marks dans un essai publié en 2001, «Olivier est l’un des premiers acteurs à la peau claire à jouer Othello maquillé en noir depuis 1814. ... Dans son autobiographie, Olivier se vante que son Othello noir était plus authentique, plus audacieux, plus énergique que les Othello «pâles» – il aurait presque pu dire «dilués» – de ses prédécesseurs immédiats. En effet, Olivier explique ensuite dans ce mémoire que le «compromis couleur café» dominant est né «du sentiment que le Maure ne pouvait être considéré comme un Maure vraiment noble s’il était trop noir et contrastait trop avec les nobles blancs: un cas choquant de pur snobisme».

Laurence Olivier dans Othello (1965)

Laura Reitz-Wilson, dans «Race and Othello on Film», souligne que «l’Othello de 1965 est plus révolutionnaire que les deux [versions] précédentes, en mettant la question de la race au premier plan. Laurence Olivier joue un Othello très noir. La plupart des termes raciaux de la pièce sont repris. Même les petites références, celles d’Emilia et de Desdémone, ne sont pas coupées. Les références d’Othello à sa race sont également conservées et sont interprétées, par Olivier, comme Shakespeare l’entendait.»

Toute suggestion selon laquelle il y aurait un soupçon de racisme dans la performance d’Olivier est grotesque. L’acteur s’efforce de conférer à son personnage la plus grande dignité et humanité possible. Le Michigan Daily écrit que dans une lettre envoyée au Daily, Sheng explique «que l’intention initiale était de montrer comment le compositeur d’opéra Giuseppe Verdi avait adapté la pièce de Shakespeare en opéra. La distribution croisée étant fréquente à l’opéra, il ne pensait pas que l’interprétation de Laurence Olivier était “destinée à être la même que les spectacles de ménestrels qui dégradaient les Afro-Américains”.»

En outre, que ce soit pleinement intentionnel ou non, Olivier rend également hommage aux performances du grand acteur et chanteur afro-américain et partisan du parti communiste Paul Robeson, qui a joué Othello à de nombreuses reprises. Dans une interview de 1956, Robeson décrit Othello comme «un homme noir dans une société blanche», ce qui explique en partie les réactions désespérées du personnage face au complot d’Iago, qui exploite son isolement et sa vulnérabilité.

Dans son interview, Robeson se réfère de manière approbatrice aux écrits du critique britannique A.C. Bradley, qui soutient fermement que Shakespeare «a imaginé Othello comme un homme noir» et s’en prend à «l’horreur de la plupart des critiques américains... à l’idée d’un Othello noir».

L’EJIES condamnent sans équivoque la campagne contre Sheng, qui n’a absolument rien à voir avec une politique de gauche ou progressiste. Les étudiants qui se plaignent des «espaces sécurisés» et de l’«environnement nuisible» créés par la représentation d’Othello devraient être un peu plus adultes et apprendre quelque chose. C’est ce qu’une formation universitaire est censée faire.

Les Étudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité socialeappellent tous les étudiants et professeurs préoccupés à s’élever contre cette situation. La campagne d’intimidation contre toute critique du cadre délétère de la politique racialiste et identitaire doit être rejetée et combattue.

(Article paru en anglais le 11 octobre 2021)

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