Perspectives

États-Unis : «Amazon ne nous laisse pas partir»: la dernière tornade catastrophique démasque l’indifférence de l’élite dirigeante pour la vie

«Amazon ne nous laisse pas partir» — était le dernier message envoyé par Larry Virden à celle qui fut sa compagne pendant 13 ans, Cherie Jones ; avant que lui et cinq de ses collègues ne soient tués vendredi soir lorsqu’une tornade a détruit le centre de traitement des commandes d’Amazon à Edwardsville, dans l’Illinois.

La vague de tornades qui a ravagé le centre des États-Unis dans la nuit de vendredi à samedi, laissant derrière elle une traînée de mort et de destruction allant de l’Arkansas au Kentucky, a démasqué la réalité des conditions de travail d’ateliers clandestins au cœur de l’Amérique et l’indifférence totale de l’élite dirigeante pour la vie des travailleurs.

La tornade de décembre la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis a tué au moins quatre-vingt huit personnes, dont des enfants ; de nombreuses personnes sont toujours portées disparues. On s’attend à ce que le bilan dépasse les 100 morts, alors que les secouristes passent au crible les centaines de kilomètres de décombres et que les blessés graves succombent à leurs blessures. Les maisons ont été soufflées comme si elles n’étaient que des fétus de paille, les familles s’abritant désespérément dans leurs salles de bain, et les usines se sont effondrées, leurs ouvriers encore à l’intérieur.

À gauche: Jeff Bezos, PDG d’Amazon, arrive au gala Baby2Baby au Pacific Design Center, le samedi 13 novembre 2021, à West Hollywood, en Californie. (Photo de Jordan Strauss/Invision/AP); à droite: Le centre d’approvisionnement d’Amazon frappé par une tornade, vu le samedi 11 décembre 2021, à Edwardsville, dans l’Illinois (AP Photo/Jeff Roberson).

Dans des scènes rappelant le désastre de l’incendie de la Triangle Shirtwaist Factory il y a plus d’un siècle — où 146 travailleurs de l’industrie du vêtement ont trouvé la mort à New York parce que les portes de sortie étaient verrouillées — les travailleurs disent qu’ils étaient piégés dans leurs usines par la direction, alors que les tempêtes s’abattaient sur eux.

Les directeurs du centre d’approvisionnement Amazon d’Edwardsville, dans l’Illinois, et ceux de l’usine de bougies «Mayfield Consumer Products» à Mayfield, dans le Kentucky, ont ignoré des avis de tempête donnés des heures auparavant, afin de pouvoir continuer à produire à plein régime à deux semaines de Noël. La production ne pouvait être interrompue même pour une seule équipe afin de garantir la sécurité de tous, sous peine de réduire les bénéfices du patronat.

Les travailleurs de l’usine de Mayfield rapportent que la direction avait menacé de licencier quiconque quittait l’usine pour se mettre à l’abri après qu’on ait émis de multiples alertes à la tornade pour la région. «Même avec un temps pareil, vous allez quand même me licencier?» Evan Johnson, un ouvrier de 20 ans, a demandé à un manager. La réponse: «Oui.» Selon Johnson, on a fait l’appel en présentiel pour voir si quelqu’un était parti.

Le conducteur de chariot élévateur Mark Saxton, 37 ans, a confirmé à NBC News que les travailleurs n’ont pas eu la possibilité de rentrer chez eux mais ont été renvoyés sur la chaîne directement après la première alerte à la tornade. «C’est ça le problème. Nous aurions dû pouvoir partir», a expliqué Saxton. «La première alerte est arrivée, et ils nous ont juste fait aller dans le couloir. Après l’alerte, ils nous ont fait retourner au travail. Ils ne nous ont jamais proposé de rentrer chez nous».

Lorsque la tornade a frappé, elle a rasé l’usine de bougies du Kentucky, piégeant des dizaines d’ouvriers sous les décombres et faisant huit morts. Ces travailleurs trimaient pour à peine 8 dollars de l’heure, dans des équipes de 10 à 12 heures, avec des heures supplémentaires obligatoires. Des détenus en liberté provisoire travaillaient également dans l’usine sous la surveillance d’un adjoint, qui a été tué quand l’usine s’est effondrée.

De son côté, Amazon a refusé d’annuler l’équipe d’Edwardsville. Alors que la menace se faisait de plus en plus pressante, la direction a essayé de pousser les travailleurs à se réfugier à l’intérieur du bâtiment. Mais, celui-ci était trop fragile pour résister à la tempête et s’est effondré autour d’eux, tuant six personnes.

Lorsque la nouvelle de la destruction de l’entrepôt d’Amazon est tombée, des travailleurs de tout le pays ont été sur un tableau d’affichage interne de l’entreprise pour exprimer leurs inquiétudes quant au manque de mesures de sécurité.

«Je suis ici depuis six ans et demi et je n’ai jamais participé une seule fois à un exercice de sécurité contre les tornades pendant mon quart de travail, ni n’ai pas pris part à un exercice de sécurité contre les incendies depuis environ deux ans», a écrit un employé, selon The Intercept. «Toute cette situation m’a fait penser que notre site doit vraiment réviser ses exercices de sécurité, car on ne sait jamais quand une catastrophe et une tragédie peuvent frapper», a-t-il conclu.

Amazon s’est engagé à verser 1 million de dollars à l’effort de secours à Edwardsville, l’équivalent ce que le fondateur et président exécutif Jeff Bezos ajoute à sa valeur nette toutes les 7 minutes. Pendant que ses employés étaient tués par une tornade, Bezos profitait du week-end pour organiser une fête somptueuse et envoyer sa fusée Blue Origin dans l’espace. Bezos aurait dépensé 5,5 milliards de dollars pour son entreprise spatiale.

Les tornades ne sont pas un phénomène rare ou imprévisible dans le centre et le sud des États-Unis. Les météorologues peuvent prédire leur formation et leur trajectoire avec grande précision. En fait, la première alerte à la tornade avait été lancée par le Service météorologique national tôt jeudi matin et les stations d’information locales de Saint-Louis (Missouri) et Paducah, (Kentucky) avaient signalé la possibilité de tempêtes dès mercredi.

Les dégâts que ces tempêtes causent régulièrement peuvent être évités, car avec les matériaux et les techniques appropriées, il est possible de construire des maisons et usines capables de soutenir les vents violents et les débris. On peut construire des abris d’urgence pour protéger quiconque se trouve sur la trajectoire de ces tempêtes. Mais, dû à la recherche du profit, ces options plus coûteuses sont souvent ignorées et on permet la construction de logements bon marché, tout comme les caravanes, dans les zones exposées aux tornades.

Ce que cette dernière catastrophe — et l’impact mortel répété des tornades — démasque, c’est l’indifférence totale de la classe dirigeante américaine pour la vie des travailleurs. L’attitude homicide prise est qu’ils sont remplaçables. S’ils meurent, tant pis; un autre travailleur peut prendre leur place et l’assurance couvrira le reste.

On a fait étalage de cette indifférence meurtrière à l’égard de la vie avec la politique menée tout au long de la pandémie de COVID-19 et qui entraîné la mort de plus de 800.000 Américains. Les employeurs de tout le pays ont cherché à dissimuler les épidémies et à supprimer les informations sur les travailleurs tués. Plus de 3.600 travailleurs de la santé ont été tués par le virus rien que dans la première année de la pandémie. Des centaines d’enseignants et de personnels scolaires ont été victimes du virus, les écoles ayant servi de super-propagateurs dans tout le pays. Amazon a admis en octobre 2020 que 20.000 de ses employés avaient testé positifs à la COVID-19. Le nombre de ceux qui sont décédés reste inconnu, car l’entreprise continue de dissimuler les chiffres.

L’opposition aux confinements du président Trump s’est poursuivie sous la présidence de Biden et sa stratégie du «vaccin seulement» face à des variants plus infectieux ; cela a causé plus de morts dans la deuxième année de la pandémie que dans la première. En moyenne, ce sont près de 1.300 Américains qui continuent de mourir chaque jour de la COVID-19.

Tout comme les victimes du coronavirus, les personnes tuées dans les tempêtes du week-end sont victimes d’un meurtre social. Si les conséquences de l’incendie de la Triangle Shirtwaist en 1911 ont déclenché un mouvement en faveur de réglementations pour améliorer la sécurité des lieux de travail, il n’y aura rien cette fois-ci. Amazon peut s’attendre à une simple amende des autorités de réglementation de la Santé et de la Sécurité, ce que les dirigeants de cette entreprise mondiale valant des milliers de milliards de dollars considèrent déjà comme de simples frais généraux.

Les travailleurs d'Amazon et de tous les lieux de travail du pays doivent former des comités de sécurité de la base pour exiger que les directions d’entreprises rendent compte de leurs crimes et que soient garanties des conditions de travail sûres, que le danger vienne du temps ou de la COVID-19. La richesse des milliardaires comme Bezos doit être expropriée et les grandes entreprises comme Amazon placées sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière. Si la vie des travailleurs doit primer sur le profit, ils doivent eux-mêmes prendre en charge la société et diriger l'économie en fonction des besoins humains.

(Article paru d’abord en anglais le 15 décembre 2021)

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