L’augmentation des prix des denrées alimentaires et d’autres produits de première nécessité vient peser encore plus sur les revenus des travailleurs canadiens, déjà très sollicités

Les travailleurs canadiens sont confrontés à la menace d’une forte hausse des prix de l’épicerie et d’autres produits de première nécessité au cours de l’année à venir, dans un contexte où l’inflation atteint déjà des niveaux inégalés depuis trois décennies.

Selon le plus récent rapport sur l’indice des prix à la consommation (IPC), publié par Statistique Canada mercredi dernier, l’inflation atteint 4,72 %, ce qui est le niveau le plus élevé depuis la récession du début des années 1990, période du plus grand marasme économique du Canada – jusqu’alors – depuis la Grande Dépression. L’inflation a largement dépassé la fourchette cible de 1 à 3 % de la Banque du Canada pendant la majeure partie de 2021.

La légende dit qu’une famille de 4 va payer 1000$ de plus en 2022 sur sa facture d’épicerie. Le prix de la viande devrait augmenter de 0 à 2%; les fruits, de 3 à 5%; les produits laitiers, de 6 à 8%; le pain, de 5 à 7%; les légumes, de 5 à 7%; et les repas au restaurant, de 6 à 8%. (Source: Rapport canadien sur les prix alimentaires à la consommation, 12eédition, 2022)

Dans l’ensemble, les prix des aliments ont augmenté de 4,4 % cette année, mais les augmentations ont été beaucoup plus élevées pour de nombreux types de viande et de légumes.

Les provinces maritimes ont connu une inflation plus forte que les autres régions du pays. L’Île-du-Prince-Édouard connaît actuellement le taux d’inflation le plus élevé du pays, soit 7 %. Un reportage de la CBC, le réseau anglais de Radio-Canada, indique que les soupes populaires de l’île ont connu une augmentation de la demande. Au Nouveau-Brunswick, l’inflation est de 5,7 %. Le Québec et l’Ontario, les deux provinces les plus peuplées du pays, ont connu des hausses de prix de 5,2 % et 5,0 % respectivement.

L’augmentation du coût des denrées alimentaires est particulièrement dévastatrice pour les travailleurs et leurs familles, dont beaucoup ont du mal à mettre de la nourriture sur la table, sans parler des aliments nécessaires à une alimentation saine et équilibrée. La demande auprès des banques alimentaires a augmenté de 20 % depuis 2019, selon un récent rapport de Banques alimentaires Canada, une hausse qui n’avait pas été observée depuis les pires moments de la récession de 2008.

Le Rapport canadien sur les prix alimentaires à la consommation, un rapport annuel publié par l’Université Dalhousie et l’Université de Guelph, prévoit que les prix des aliments augmenteront à un rythme inégalé au cours de l’année à venir depuis la création du rapport en 2010. L’inflation des prix des aliments devrait se situer entre 5 et 7 %. La famille moyenne de quatre personnes devrait dépenser 14.767 $ en nourriture en 2022, soit une augmentation de 966 $ par rapport à la dépense moyenne de 13.801 $ de cette année.

Cette augmentation aura un effet désastreux sur les personnes à revenu fixe et les travailleurs de l’économie des petits boulots ou à la tâche. On estime que 2 millions de personnes âgées vivent avec un revenu de 17.000 dollars par an ou moins. Selon les données de Statistique Canada, les travailleurs de l’économie des petits boulots ou à la tâche, c’est-à-dire ceux qui sont embauchés comme «entrepreneurs indépendants» pour des entreprises comme Uber, la livraison de colis et d’autres services, représentent au moins un travailleur sur dix, soit 1,7 million de personnes, dans la population active nationale. De nombreux travailleurs indépendants cherchent à joindre les deux bouts en jonglant avec plusieurs emplois indépendants à la fois, tous mal rémunérés.

Parmi les autres biens qui alimentent l’inflation, citons l’essence, qui a connu une hausse étonnante de 43,6 % par rapport à 2020. Les coûts du logement et des transports sont également en forte hausse. Le premier a augmenté de 4,8 % en un an, tandis que le second a augmenté de 10 %. Le marché immobilier en pleine effervescence, en particulier dans les grandes villes comme Toronto et Vancouver, a fait l’objet d’une attention particulière dans les médias bourgeois au cours de l’année écoulée. Mais la hausse substantielle des loyers dans les grands centres urbains est beaucoup plus importante pour un grand nombre de travailleurs à revenu faible ou moyen. Le loyer moyen pour l’ensemble des propriétés au Canada était de 1817 $ par mois en novembre 2021, soit une augmentation de 3,6 % par rapport à l’année précédente, et de 1 % par rapport à octobre.

Les loyers des appartements locatifs, qui constituent le type de logement le plus «abordable» pour une grande partie de la population, ont augmenté de plus de 250 $ entre novembre 2018 et novembre 2021 passant de 1403 $ à 1662 $ – soit une augmentation de près de 18 %. Cette moyenne masque le coût considérablement plus élevé des loyers dans les grands centres de population comme Toronto ou Vancouver, où le loyer moyen approche les 3000 dollars.

Les augmentations de loyer les plus extrêmes ont eu lieu dans la région du Grand Toronto, où les loyers ont augmenté de plus de 11 % par rapport à l’année précédente. Certaines villes situées à proximité du centre-ville de Toronto ont vu les prix des loyers grimper jusqu’à 14,95 % au cours de l’année dernière.

Les principales raisons de ces pressions inflationnistes croissantes sont le vaste enrichissement de l’oligarchie financière orchestré par l’État pendant la pandémie et la réponse meurtrière de l’élite dirigeante à la COVID-19.

À la suite des plans de sauvetage mis en œuvre par le Canada et tous les autres grands États capitalistes en mars-avril 2020, des billions de dollars ont été injectés dans les marchés financiers, gonflant massivement la valeur des actions et les bilans des banques et de l’élite financière. La campagne de réouverture de l’économie et des écoles en pleine pandémie a contribué à augmenter les profits des sociétés, tout en mettant en danger la vie des travailleurs.

Dans ces conditions, l’inflation ronge le pouvoir d’achat de la classe ouvrière. Les données de l’Enquête sur la population active (EPA) de novembre montrent que les salaires moyens n’ont augmenté que de 2,8 % sur un an. Comparé à l’inflation moyenne de 4,7 %, cela se traduit dans les faits par une baisse de salaire bien palpable de 2 %. L’impact sur de nombreux travailleurs à bas salaire, qui gagnaient déjà des salaires de misère avant la pandémie, n’est que faiblement reflété dans cette statistique générale.

Les milliardaires canadiens, par contre, sont plus prospères que jamais. Dans un rapport publié le 9 décembre, le Bureau du directeur parlementaire du budget (DPB) a publié des chiffres montrant que le 1 % des familles canadiennes les plus riches possède maintenant près de 25 % de toute la richesse au pays. Les 20 % les plus riches possèdent autant que les 80 % les plus pauvres de la population. Les 48 milliardaires du Canada ont ajouté 78 milliards de dollars à leurs fortunes déjà obscènes au cours de la première année d’une pandémie qui a déjà tué plus de 30.000 Canadiens.

Dans ce contexte, l’inflation s’avère être un catalyseur majeur de la lutte des classes au Canada et à l’échelle internationale, après des décennies pendant lesquelles la résistance des travailleurs a été artificiellement réprimée par les syndicats propatronaux. D’importantes luttes sont menées partout au Canada, notamment parmi les mineurs, les travailleurs de l’industrie alimentaire et du secteur public.

À la fin octobre et en novembre, plus de 20.000 travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick ont mené une grèvede deux semaines contre le gouvernement conservateur de Blaine Higgs afin de faire valoir leur revendication pour l’obtention d’une augmentation salariale de «rattrapage» de 20 % répartie sur quatre ans, après une décennie et demie de réductions de leurs salaires réels. Même cette modeste revendication, que le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a trahie sans vergogne en sabotant la grève, aurait signifié que les salaires des travailleurs n’auraient toujours pas suivi le rythme de l’inflation. Au bout du compte, le SCFP a fait passer de force un accord quinquennal prévoyant des augmentations salariales globales de seulement 2 % par an, avec une prime supplémentaire de 25 cents de l’heure et par année, ce qui fait à peine passer l’«augmentation» annuelle à 3 %.

La classe dirigeante canadienne est douloureusement consciente que les pressions inflationnistes, combinées à l’impact catastrophique sur la classe ouvrière de sa politique pandémique de faire passer «les profits avant la vie» pourraient faire éclater le baril de poudre social sur lequel elle est assise.

Résumant les craintes de l’oligarchie financière dans un discours prononcé le 9 décembre, le sous-gouverneur de la Banque du Canada, Toni Gravelle, a déclaré: «Si les perturbations de l’approvisionnement et les pressions sur les coûts qui en découlent s’avèrent durables et si la demande de biens reste forte, cela augmenterait la probabilité que l’inflation reste au-dessus de notre plage de contrôle... Même si nous anticipons une baisse de l’inflation au second semestre de 2022, nous surveillons de près les attentes d’inflation et les coûts de main-d’œuvre pour voir à ce que les forces qui font grimper les prix n’aient pas, en fin de compte, une influence durable sur l’inflation».

Lorsque Gravelle parle de «pressions sur les coûts» et des «forces qui font grimper les prix», ce qu’il veut dire, c’est la nécessité d’étouffer la montée de la lutte des classes. Gravelle et l’élite patronale dans son ensemble savent très bien que l’augmentation insoutenable des prix poussera la classe ouvrière à des luttes de masse qui remettent implicitement en cause la domination capitaliste. Le fait que les syndicats propatronaux font appliquer impitoyablement des contrats remplis de concessions qui ne suivent même pas le rythme de l’inflation et qu’ils imposent la politique meurtrière de réouverture de l’économie et des écoles face à l’opposition acharnée des travailleurs depuis le début de la pandémie, pousse les travailleurs à contester toujours plus ouvertement leur autorité.

Gravelle et ses semblables s’inquiètent, à juste titre, du fait que l’année à venir verra de plus en plus de nouvelles formes d’organisation et de lutte apparaître des rangs de la classe ouvrière – des comités formés par les travailleurs les plus militants – qui se débarrasseront de l’emprise mortelle des appareils syndicaux pro-capitalistes exercée sur eux et qui lutteront pour des emplois décents et sûrs pour tous et pour la mise en œuvre d’une politique scientifique plaçant la vie avant les profits, afin d’éliminer la COVID-19 et de mettre fin à la pandémie mortelle.

(Article paru en anglais le 21 décembre 2021)

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