«Le syndicat nous trahit depuis 20 ans»

La collaboration entre la direction et les syndicats met fin à la grève sauvage de Çimsataş en Turquie

La grève sauvage des métallurgistes de l’usine Çimsataş de Mersin a pris fin grâce à la collaboration entre la direction et les syndicats. Les travailleurs devraient reprendre le travail aujourd’hui 17 janvier.

Des centaines de travailleurs ont arrêté la production et occupé l’usine mercredi, rejetant une convention collective de capitulation entre l’Association des employeurs turcs des industries métallurgiques (MESS) et trois syndicats représentant environ 150 000 travailleurs.

Travailleurs de Çimsataş en grève [Crédit : @GazeteDavul sur Twitter].

Le syndicat Birleşik Metal-İş, affilié à la confédération DİSK, le syndicat Türk Metal affilié à Türk-İş et le syndicat Özçelik-İş affilié à la confédération Hak-İş, ont accepté un taux d’augmentation de 27 pour cent, ce qui est même inférieur à leurs propres projets de convention collective. Les métallurgistes de Çimsataş et les travailleurs d’autres usines ont demandé une augmentation plus importante au cours des négociations.

Cependant, les syndicats ont refusé, même si l’inflation annuelle réelle a dépassé 80 pour cent selon l’organisme de recherche indépendant ENAG.

Les travailleurs, qui ont commencé l’arrêt du travail mercredi, ont affronté non seulement la direction de l’entreprise, mais aussi la police et le syndicat Birleşik Metal-İş. Les travailleurs ont continué à protester devant l’usine après que la police les ait poussés hors de leur lieu de travail jeudi.

Alors que le coût de la vie monte en flèche et que le gouvernement du président Recep Tayyip Erdoğan intensifie ses politiques de pandémie mortelles, la défiance des travailleurs de Çimsataş à l’égard de la collaboration entreprise-syndicat et de la pression de l’État constitue un exemple qui pourrait mobiliser les travailleurs d’autres usines. Le gouvernement, le MESS et les syndicats se sont donc mobilisés pour réprimer ce danger.

L’entreprise aurait envoyé un SMS à 12 travailleurs pour leur annoncer qu’ils étaient licenciés sans indemnités. Cette démarche a été suivie d’autres efforts de la direction pour diviser les travailleurs et mettre fin à la lutte.

Un directeur d’usine a envoyé un message vidéo aux travailleurs, déclarant : » Commençons les négociations avec un comité que nous établirons parmi les travailleurs. Reprenez le travail lundi. » Il a également demandé aux travailleurs de postuler pour rejoindre ce prétendu » comité ».

Ensuite, la direction a envoyé un autre SMS aux travailleurs, affirmant : « Merci beaucoup pour vos demandes intenses de participation au comité d’amélioration que nous allons mettre en place. Les premières demandes soumises sont listées comme suit: 1) Réparation du toit, 2) Amélioration des conditions physiques de notre mosquée, et 3) Une révision de la zone de distribution de nourriture de notre cafétéria. » Ainsi, la direction a une fois de plus rejeté toutes les demandes des travailleurs, y compris une augmentation supplémentaire de 35 pour cent et la réintégration des travailleurs licenciés.

Pendant ce temps, le syndicat Birleşik Metal-İş a publié une déclaration attaquant les grévistes et leurs partisans. Il a dénoncé des personnes non identifiées » étrangères aux métallurgistes, ignorant la lutte syndicale », qui, selon lui, discutent avec les grévistes et les influencent.

La déclaration de Birleşik Metal-İş a également rejeté les demandes des travailleurs de Çimsataş comme étant inacceptables, déclarant : « À Mersin ÇİMSATAŞ, on ne peut pas mettre un nouveau contrat à l’ordre du jour en refusant l’accord de contrat de groupe signé sur la base de certaines demandes spécifiques au lieu de travail. Cela viole l’ordre actuel du contrat de groupe et le fonctionnement du syndicat. »

Le syndicat a également visé le World Socialist Web Site (WSWS), il a affirmé : « Le fait que certains cercles créent des attentes et des perceptions différentes sur nos membres est une tentative de monter nos membres contre le syndicat. » En réalité, contrairement aux organisations qui prétendaient soutenir la grève mais proposaient une politique pour les syndicats, le WSWS a démasqué le rôle pro-capitaliste de la bureaucratie dès le début de la grève, appelant les travailleurs à étendre la grève et à former un comité de la base indépendant.

La collusion entre la direction et le syndicat contre la grève était évidente lorsque la direction de Çimsataş a envoyé cette déclaration syndicale aux grévistes et les a menacés.

Cette collaboration s’est poursuivie le samedi matin. Mehmet Kurt, le délégué syndical en chef des syndicats sur le lieu de travail, s’est adressé aux travailleurs rassemblés devant l’usine, déclarant : « J’ai fait ce que vous avez dit jusqu’à présent. Mais à partir de maintenant, vous allez agir comme je le dis. Maintenant, je vais déterminer le cours des événements. Cette négociation sera menée par l’intermédiaire de quatre représentants [syndicaux de l’usine]. »

Ensuite, ces représentants syndicaux ont renvoyé les travailleurs en grève chez eux et ont rencontré la direction.

Par la suite, les délégués syndicaux ont écrit aux travailleurs sur WhatsApp, en disant : « Nous avons eu une réunion avec l’employeur et avons convenu que les conditions matérielles [à l’usine] s’amélioreraient. Il a également été convenu que les collègues licenciés recevraient également une compensation, à condition que la paix sociale soit assurée. La situation de ceux qui ont été licenciés pourra être réévaluée à l’avenir, s’ils font preuve de bonne volonté. Vous retournerez au travail. Dans le prochain processus, les premiers interlocuteurs seront les représentants syndicaux. Tenez compte de leurs informations. »

Cet accord n’était pas différent de la convention collective de vendus signée sans le consentement des travailleurs, par le Birleşik Metal-İş et d’autres syndicats la semaine dernière. Pire encore, les travailleurs licenciés n’ont pas été réintégrés. Mais les tentatives des travailleurs qui n’acceptaient pas cet accord pour mobiliser d’autres travailleurs ont échouées.

L’initiative est passée des travailleurs au syndicat et à l’entreprise, après que les délégués syndicaux qui demandaient la fin de la manifestation de masse devant l’usine samedi ont été invités à rencontrer la direction. En l’absence d’un comité  de la base indépendant chargé d’unir et de mobiliser les grévistes pour qu’ils se battent pour leurs revendications, la collaboration entre la direction et le syndicat a mis fin à la grève.

Un travailleur de Çimsataş a déclaré au WSWS : « Nous avons dit que nous devions former un comité, mais cela a échoué. Normalement, le travail devait commencer le dimanche à minuit, mais la direction l’a porté à 8 heures du matin le lundi. Très probablement, ils nous laisseront entrer et faire un discours sous la supervision des forces de sécurité et de la direction. » Ce travailleur a déclaré que l’unité des travailleurs en faveur de la grève a été brisée après le message en question du représentant principal du syndicat.

Il a noté que cette grève a montré aux travailleurs que Birleşik Metal-İş, qui est soutenu avec enthousiasme par les forces de la pseudogauche, n’est pas différent du syndicat Türk Metal, dont la direction est ouvertement de droite. Il a déclaré : « Des dizaines de travailleurs disent : “si nous reprenons le travail, nous réglerons d’abord nos comptes avec le syndicat avant l’employeur.” Birleşik Metal-İş n’est pas différent de Türk Metal. »

Il poursuit : « Les travailleurs disent : “Ces types [les responsables syndicaux] nous trahissent sans arrêt depuis 20 ans. Ils se font de l’argent sur le dos des travailleurs. Ils reçoivent de nous 160 à 170 lires de cotisations par mois. Les travailleurs regardent le syndicat d’un œil vengeur en ce moment. »

Le travailleur a acquiescé lorsqu'un journaliste du WSWSa déclaré qu'il n'y avait aucune différence entre les responsables syndicaux, si ce n'est leurs liens avec différents partis du monde politique officiel, la fonction des syndicats étant de servir les entreprises et l'État, de réprimer les luttes de classe et d'assurer la poursuite de l'exploitation capitaliste.

« Nous nous battons non seulement pour les salaires, mais aussi contre les pressions morales de la direction », a déclaré le travailleur. « Les travailleurs se gèlent à l’intérieur de l’usine en cet hiver froid », a-t-il ajouté, soulignant les conditions de travail épouvantables.

Les reporters du WSWS ont noté que cette grève s’inscrit dans un mouvement international croissant de grèves et de protestations contre les inégalités sociales, l’augmentation du coût de la vie et la pandémie de COVID-19. Interrogé sur la réaction homicide de la classe dirigeante à la pandémie, qui a entraîné des millions de morts dans le monde entier pour ne pas interrompre les productions qui auraient pu l’être, il a dénoncé le gouvernement turc : « Ils ont abaissé la période d’isolement [de 10] à cinq jours. L’entreprise dit de venir travailler après cinq jours. »

Lorsque plus de 100 cas sont apparus à l’usine de Çimsataş en septembre 2020, en revanche, tous les travailleurs avaient été mis en quarantaine chez eux et l’usine était fermée pendant deux semaines.

Affirmant être d’accord avec la perspective du WSWS pour que les métallurgistes prennent les choses en main en formant un comité  de la base indépendant, le travailleur a déclaré que le fait que cette grève ne se soit pas étendue à d’autres usines, comme lors des grèves de 2015, a pesé sur les grévistes. » Il n’y a pas eu de propagation à d’autres usines, ce qui a été déterminant pour le retrait des travailleurs », a-t-il déclaré.

Le World Socialist Web Site prévient que les travailleurs de Çimsataş doivent se préparer à de nouvelles mesures de rétorsion de la part de l’entreprise, comme de nouveaux licenciements. Les travailleurs doivent former un comité  de la base indépendant pour repousser ces attaques, défendre leurs revendications, obtenir le retour de leurs collègues licenciés et appeler les autres métallurgistes à suivre la même voie.

(Article paru d’abord en anglais le 17 janvier 2022)

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