Perspectives

À la veille de l’attaque du 6 janvier, les avocats de Trump ont rédigé un décret exigeant que l’armée saisisse les bulletins de vote

Vendredi, Politico a publié le texte intégral d’un projet de décret rédigé par les avocats de Donald Trump qui aurait déployé l’armée et la Garde nationale dans tout le pays pour saisir des millions de bulletins de vote déposés par les électeurs lors des élections générales de 2020.

Il est évident, en analysant le projet de décret, qu’il s’agissait d’une charte de dictature présidentielle. Le décret aurait déclaré l’état d’urgence, suspendu les droits démocratiques, privé l’électorat de ses droits et placé le pays sous un régime militaire.

Le président Donald Trump prend la parole lors d’un rassemblement de campagne à l’aéroport Cecil à Jacksonville, le jeudi 24 septembre 2020, en Floride (AP Photo/Evan Vucci)

Le projet de décret, intitulé «Constatations présidentielles pour préserver la collecte et l’analyse des informations de sécurité nationale concernant l’élection générale de 2020», est basé sur le gros mensonge selon lequel l’élection de 2020 a été volée par Joe Biden et des «adversaires étrangers», et que des millions de bulletins de vote ont été frauduleusement déposés pour Biden avec l’aide de fabricants de dispositifs de vote comme Dominion Voting Systems.

Citant «des preuves d’ingérence internationale et étrangère dans l’élection du 3 novembre 2020», le décret aurait ordonné le déploiement de l’armée dans tout le pays pour «saisir, collecter, conserver et analyser immédiatement… toutes les machines, tous les équipements, toutes les informations stockées électroniquement et tous les enregistrements matériels» liés à l’élection. Cela aurait nécessité la suspension du «posse comitatus», le principe démocratique selon lequel l’armée ne peut pas faire respecter la loi au niveau national. L’armée aurait alors été utilisée pour écraser les protestations sociales et arrêter les opposants.

Anticipant une réaction des gouverneurs démocrates qui auraient pu ordonner à la Garde nationale des États de protéger les bulletins de vote, le décret aurait donné au secrétaire à la Défense par intérim Christopher Miller le pouvoir de fédéraliser la Garde nationale «par nom ou par unité», indiquant que Trump prévoyait de prendre le contrôle de la garde dans les États dont les gouverneurs étaient démocrates, ou de fédéraliser les unités qui lui étaient fidèles dans ces États.

Le projet de décret aurait ensuite mandaté le fidèle directeur du renseignement national de Trump, John Ratcliff, un homme d’extrême droite, pour évaluer si l’élection avait été volée, dans les sept jours suivant la publication du décret, une évaluation décidée d’avance pour arriver à la conclusion souhaitée par Trump.

Cette conclusion aurait ensuite été présentée comme celle de «la communauté du renseignement», et l’ordre aurait alors établi un avocat spécial chargé de «superviser cette opération et d’engager toutes les procédures pénales et civiles appropriées sur la base des preuves recueillies et de fournir toutes les ressources nécessaires» pour sévir contre les opposants de Trump. Il s’agirait du mécanisme extrajudiciaire que Trump aurait utilisé pour poursuivre, emprisonner ou exécuter des législateurs et des opposants politiques démocrates sous l’accusation de sédition et de trahison. Étant donné que le plan s’articulait autour d’une allégation d’ingérence électorale étrangère, la répression de l’opposition nationale aurait probablement été combinée à des aventures militaires à l’étranger.

Pour justifier juridiquement ces mesures extraordinaires, l’ordre cite des décrets et des lois accordant au président et aux agences de renseignement un pouvoir dictatorial en cas d’état d’urgence.

Le décret 12333 est cité, un décret de l’ère Reagan accordant à l’exécutif un pouvoir quasi illimité d’espionnage de la population. L’ordre exécutif 12333 a servi de base à la surveillance massive de la NSA révélée par Edward Snowden. L’ordre de Trump cite également le National Security Presidential Memo 13, un mémo classifié (dont le contenu exact n’est pas connu) donnant à l’armée le pouvoir d’entreprendre des opérations de cyberguerre sans approbation préalable. Il a cité aussi le National Security Presidential Memo 21, qui est si secret qu’on n’a pas «divulgué publiquement son existence», écrit Politico. Ces mémos indiquent que Trump envisageait d’ordonner au Pentagone de fermer ou de censurer l’internet ou les chaînes de télévision.

Pour l’autorité statutaire, le projet de décret cite la loi sur les urgences nationales (NEA) et la loi sur les pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale (IEEPA). La NEA permet au président de déclarer un état d’urgence national et d’exercer un pouvoir exécutif incontrôlé. Cette loi a servi d’autorité pseudo légale pour les plans du gouvernement Reagan qui visaient à mettre en œuvre Rex84, qui aurait suspendu la Constitution et permis la détention indéfinie d’«éléments subversifs». L’IEEPA accorde au président le pouvoir de déclarer des urgences nationales en réponse à une «menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale» et de saisir les actifs et confisquer les biens des personnes et des organisations dont le président déclare qu’elles participent à cette menace.

La publication de ce projet de décret rend plus claire la stratégie de Trump du 3 novembre 2020 au 6 janvier 2021. Le projet de décret est daté du 16 décembre. Deux jours plus tôt, le 14 décembre, les grands électeurs se sont réunis dans les capitales des États et ont officialisé les listes qui allaient être envoyées à Washington D.C. pour le dépouillement officiel du collège électoral le 6 janvier.

CNN a rapporté la semaine dernière que Rudy Giuliani dirigeait les efforts déployés dans sept États contestés pour mobiliser les législatures des États républicains afin qu’elles approuvent les listes de grands électeurs de Trump à envoyer à Washington le 6 janvier. «Giuliani et ses alliés ont coordonné les rouages du processus au niveau de chaque État», a rapporté CNN, citant une source qui a déclaré: «Il y a eu de multiples appels de planification entre les responsables de la campagne Trump et les agents du GOP dans les États». Trump «a aligné des partisans pour occuper des places d’électeurs, a réservé des salles de réunion dans les maisons d’État pour que les faux électeurs se réunissent le 14 décembre 2020, et a fait circuler des projets de faux certificats qui ont finalement été envoyés aux Archives nationales».

Lorsque les législatures des États en question n’ont pas réussi à élire des listes alternatives le 14 décembre, la campagne Trump a eu recours à ses prochaines options. Le projet de décret sur les saisies de bulletins de vote était la version la plus extrême. Si les putschistes ne l’ont pas ordonné à l’époque, c’est parce qu’ils n’étaient pas certains que l’armée l’aurait appuyé.

Avec le décret sur la saisie des bulletins de vote en poche, Trump et ses conseillers ont planifié de perturber la certification du collège électoral à Washington le 6 janvier. Leur plan prévoyait trois voies possibles pour réussir.

Premièrement, le vice-président Mike Pence pourrait décider de rejeter les listes légitimes dans les États remportés par Biden. Deuxièmement, la Cour suprême pourrait intervenir pour retarder la certification. À cette fin, le 5 janvier, Sidney Powell, l’avocate de Trump, a déposé une requête auprès du juge Samuel Alito, lui demandant d’émettre une injonction qui arrêtait la procédure le 6 janvier sur un point de détail juridique. Troisièmement, une combinaison de législateurs républicains et de manifestants pourrait retarder la certification du collège électoral au-delà du 6 janvier. Dans les trois scénarios, un retard serait créé, renvoyant l’élection à la Chambre des représentants, avec une voix par délégation d’État et les républicains ayant la majorité.

Le 6 janvier, les trois scénarios étaient en jeu. Le premier scénario a échoué lorsque Pence a refusé de soutenir le complot de Trump et a annoncé qu’il certifierait les listes légales. Le deuxième scénario était loin d’être inconcevable et n’aurait nécessité que le soutien d’un seul juge, le réactionnaire Alito, nommé par Bush.

Au cours du 5 et 6 janvier, Alito a refusé de répondre à la demande de Powell de retarder la certification. Powell elle-même a reconnu plus tard que le retard d’Alito a forcé la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, une démocrate, à convoquer à nouveau la session conjointe dans la nuit du 6 janvier. Il ne s’agissait pas d’un simple geste symbolique, comme l’ont rapporté les médias. «On l’a avertie lorsque nous avons déposé notre demande», a déclaré Powell. «Elle a dû accélérer la convocation du Congrès pour que le vote ait lieu avant que le juge Alito n’ait pu émettre une injonction». Ce n’est que le matin du 7 janvier, après que le coup d’État ait clairement échoué, qu’Alito a formellement rejeté la demande de Powell.

Le troisième scénario, fondé sur un retard législatif et une manifestation violente, s’est déroulé au vu et au su de tout le monde et a été à deux doigts de réussir. La foule, dirigée par des équipes d’assaut armées de fascistes Oath Keepers, était prête à kidnapper des démocrates et à reporter la certification par la force. Ce plan a échoué uniquement en raison de lacunes opérationnelles, Pence et les démocrates du Congrès y échappant par à quelques secondes ou minutes près. Le Parti démocrate n’a pris aucune mesure pour s’opposer à une tentative de dictature de peur qu’alerter la population sur le danger de la dictature ne déclenche un bouleversement social très important dans tout le pays.

Le 6 janvier a mis à nu la pourriture au cœur du système politique américain. La démocratie ne peut survivre dans une société aussi déchirée par les inégalités, où les ressources du pays sont accaparées par une minuscule aristocratie financière qui contrôle le système politique et les deux partis de droite. Trente années de guerre permanente ont empoisonné le climat politique à tel point que la racaille fasciste comme Trump et ses conseillers pourraient occuper les sommets du pouvoir d’État. Bien que leur complot ait échoué le 6 janvier, les principaux conspirateurs sont libres de préparer leurs prochains coups. La défense urgente de la démocratie contre la menace de la dictature exige la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière internationale contre la source du fascisme: le système capitaliste.

(Article paru en anglais le 24 janvier 2022)

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