Bellicisme contre la Russie au nom d’Auschwitz

Des troupes de la Bundeswehr allemande

Plus les États-Unis et l’OTAN intensifient leur campagne de guerre contre la Russie, plus la classe dirigeante allemande se montre agressive. Les médias sont pris d’une véritable frénésie guerrière et exigent que le gouvernement allemand fournisse enfin des armes au régime anti-russe d’extrême droite de Kiev.

Aucun mensonge ou déformation n’est trop gros pour eux et aucune propagande n’est trop sale. De nombreux journaux ont profité de l’anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz, le 31 janvier 1945, pour utiliser les crimes historiques du régime nazi afin de justifier de nouveaux crimes impérialistes et une politique de guerre allemande plus agressive.

«En cas d’invasion russe, l’OTAN doit également soutenir l’Ukraine avec du matériel militaire», exige l’ancien rédacteur en chef du Süddeutsche Zeitung,Kurt Kister, dans un article. En même temps, «l’agresseur doit subir de graves désavantages politiques et économiques – même si cela devait entraîner des goulets d’étranglement dans l’approvisionnement, des hausses de prix ou une récession en Occident». Cela aussi était «l’une des leçons du passé».

Berthold Köhler, rédacteur en chef du journal conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung(FAZ), soutient la même thèse. Dans un commentaire intitulé «Les leçons du passé de l’Allemagne», il fait référence au gouvernement fédéral du Parti social-démocrate et du Parti vert qui, en 1999, a justifié la première mission de guerre de l’Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale contre la Yougoslavie par l’argument cynique selon lequel l’Allemagne était obligée, à cause d’Auschwitz, «d’utiliser la force militaire si nécessaire pour s’opposer au “nettoyage ethnique” dans les Balkans». Maintenant, au motif que les Ukrainiens ont «le plus souffert de la guerre d’extermination d’Hitler», il exige des livraisons d’armes allemandes à Kiev.

Cet argument perfide est répété sans cesse par les médias dans leurs appels à armer le gouvernement ukrainien pour la guerre contre la Russie. Dans une chronique invitée obséquieuse dans le FAZ, l’ex-maoïste et anticommuniste, Bernd Koenen, déclare que les Allemands «ont effectivement une dette historique à rembourser, mais certainement pas en premier lieu à la “Russie”, mais d’abord aux Juifs et aux Polonais, aux Biélorusses et aux Ukrainiens, et finalement aussi aux Russes».

Le coordinateur de la politique étrangère de Die Zeit, Jörg Lau, reproche à la ministre verte des Affaires étrangères Annalena Baerbock de «rejeter les souhaits ukrainiens en matière d’armes défensives en se référant à l’“histoire allemande”. En effet, de l’histoire des dizaines de milliers de villages ukrainiens dévastés par la Wehrmacht [l’armée d’Hitler], on pourrait également déduire le contraire». Lau rappelle au ministre vert de l’Économie, Robert Habeck, sa déclaration de campagne électorale selon laquelle il serait «difficile de refuser à l’Ukraine des armes pour sa défense».

Les menteurs professionnels des rédactions bourgeoises falsifient plusieurs choses à la fois. Premièrement, les crimes allemands en Ukraine – y compris le massacre de Babi Yar, qui a coûté la vie à plus de 33.000 hommes, femmes et enfants juifs – faisaient partie intégrante de la guerre d’extermination contre l’Union soviétique, qui a coûté la vie à 27 millions de personnes. Au moment où l’Allemagne nazie a envahi l’Ukraine et établi un régime d’occupation meurtrier, ce pays faisait partie de l’Union soviétique.

C’est le comble de la criminalité que d’opposer les crimes allemands contre les Juifs et les travailleurs ukrainiens aux crimes contre les citoyens soviétiques russes afin de susciter une fois de plus un soutien en faveur d’un renforcement agressif de l’impérialisme allemand en Europe orientale et d’une guerre contre la Russie.

En fait, la nouvelle politique de guerre allemande, pour laquelle Kohler, Kister et Cie écument, s’inscrit dans la tradition nazie. Aujourd’hui encore, ce n’est pas la Russie qui est l’agresseur, comme la propagande officielle voudrait nous le faire croire, mais les puissances impérialistes. Depuis la dissolution de l’Union soviétique il y a 30 ans, l’OTAN encercle systématiquement la Russie. Début 2014, Washington et Berlin ont orchestré un coup d’État de droite en Ukraine pour porter au pouvoir un régime anti-russe à Kiev.

Pour ce faire, ils se sont appuyés sur des forces fascistes telles que le parti Svoboda et le Secteur droit. Toutes les références aux crimes de la Wehrmacht en Ukraine ne peuvent cacher le fait que les puissances de l’OTAN à Kiev soutiennent et arment un gouvernement qui vénère des collaborateurs nazis comme Stepan Bandera et Roman Shukhevych et mobilise des unités de l’armée et des milices qui expriment ouvertement leurs sentiments fascistes et antisémites.

Cette offensive réactionnaire contre la Russie, qui invoque le danger d’une troisième guerre mondiale, est également soutenue par l’actuel gouvernement allemand.

Dans son discours au Bundestag (parlement fédéral) jeudi dernier, Baerbock a clairement indiqué que l’Allemagne rejetait catégoriquement les demandes russes de garanties de sécurité, affirmant que celles-ci n’étaient «pas compatibles avec l’ordre de sécurité européen». Elle a ensuite menacé Moscou, déclarant qu’il était «parfaitement clair qu’une nouvelle action militaire contre l’Ukraine aurait des conséquences très importantes pour la Russie».

Les représentants gouvernementaux des démocrates libéraux (FDP) et des sociaux-démocrates (SPD) se sont exprimés en des termes tout aussi guerriers. L’Allemagne doit «ne laisser aucun doute sur le fait que nous défendons le droit international», a déclaré le ministre fédéral des Finances, Christian Lindner (FDP), sur la chaîne de télévision Welt. «Si le Kremlin viole les frontières – et j’entends par là les frontières territoriales, mais aussi juridiques et politiques –, Moscou doit savoir que nous sommes prêts à tout».

Lundi soir, la direction du SPD a rejoint le chœur de la propagande. Disant qu’il parlait au nom de «l’ensemble du SPD», le chef du parti, Lars Klingbeil, a déclaré, à l’issue d’une réunion de la direction du parti, que «l’escalade que nous connaissons actuellement à la frontière russo-ukrainienne vient de la Russie». Dès que la Russie attaquera «l’intégrité territoriale de l’Ukraine» et «franchira la frontière politiquement et géographiquement», il y aura «une réaction claire, dure et cohérente de l’Allemagne, de l’Europe, des partenaires transatlantiques.» Toutes les options étaient «sur la table».

Si le gouvernement allemand a jusqu’à présent hésité à livrer des armes offensives à Kiev, cela n’a rien à voir avec le pacifisme. D’une part, il craint de devoir supporter le principal fardeau économique du conflit avec la Russie, avec laquelle l’Allemagne entretient d’étroites relations économiques et énergétiques. Sur les 90 milliards de mètres cubes de gaz que les usines et les ménages allemands consomment chaque année, près de 60 milliards proviennent actuellement de Russie. C’est pourquoi les représentants de l’industrie énergétique, menés par l’ancien chancelier Gerhard Schröder (SPD), mettent en garde contre une escalade du conflit.

D’autre part, certains représentants de la classe dirigeante plaident pour un certain équilibre avec la Russie afin de ne pas devenir encore plus dépendants des États-Unis, le membre de l’OTAN dominant sur le plan militaire. Un conflit armé au sujet de l’Ukraine renforcerait encore le rôle des États-Unis et contrecarrerait les plans de l’Allemagne et de la France en faveur d’une armée et d’une politique étrangère européenne indépendantes.

Le week-end dernier, le chef de la marine allemande, le vice-amiral Kay-Achim Schönbach, a dû démissionner après avoir plaidé pour une alliance avec la Russie contre la Chine lors d’un débat en Inde. Schönbach a apparemment exprimé ce que pensent de nombreux chefs militaires allemands. Il a expliqué que cela serait également dans l’intérêt des États-Unis, mais que ce pays préparait manifestement une guerre contre la Russie.

Malgré les désaccords avec les États-Unis et leurs alliés les plus proches en Grande-Bretagne et en Europe de l’Est, la majorité de la classe dirigeante en Allemagne est également engagée dans une confrontation. Elle ne veut pas rester à l’écart lorsqu’il s’agit d’écraser et de soumettre la Russie. Ce faisant, elle poursuit ses propres intérêts économiques et géostratégiques.

«En ce moment, nous laissons aux Américains le soin de fixer le prix de la guerre en Europe. Je trouve cela honteux», se plaint l’ancien ministre social-démocrate des Affaires étrangères Sigmar Gabriel dans une interview accordée à Bild am Sonntag. «Nous ne sommes pas d’accord sur l’évaluation de la situation en Ukraine, nous craignons pour nos intérêts économiques et nous sommes heureux que d’autres retirent les patates chaudes du feu pour nous. Nous, Européens, devons apprendre à prendre nos intérêts en main.» L’Europe doit enfin devenir «souveraine» et un «acteur dans la géopolitique», a-t-il déclaré.

Une confrontation militaire avec les puissances nucléaires que sont la Russie et la Chine signifierait une troisième guerre mondiale et la destruction de la planète entière. Pourtant, c’est exactement ce vers quoi se dirigent les puissances impérialistes. La cause est non seulement des objectifs géopolitiques mégalomanes, mais aussi la profonde crise interne de la société capitaliste.

«L’énorme perturbation de la vie sociale causée par la pandémie mondiale a fondamentalement déstabilisé tous les régimes bourgeois», peut-on lire dans la déclaration «Êtes-vous prêts pour la troisième guerre mondiale du comité éditorial du WSWS. «C’est la crise sociale explosive de la pandémie et l’émergence d’une lutte des classes ouverte qui pousse la classe dirigeante à la guerre».

Les médias allemands sont d’autant plus enragés que, malgré un bellicisme permanent, ils ne parviennent pas à obtenir un soutien pour une guerre contre la Russie. Fin janvier, un sondage réalisé par le Politbaromètre de la radio ZDF a montré que 73 pour cent des personnes interrogées s’opposaient aux livraisons d’armes à l’Ukraine, contre seulement 20 pour cent qui y étaient favorables. Avec les inquiétudes liées à la menace de guerre, l’opposition au gouvernement s’accroît également. Selon un sondage Forsa du 1er février, 86 pour cent des personnes interrogées sont inquiètes de l’évolution actuelle de la situation, et 63 pour cent sont mécontentes des politiques du gouvernement.

Cette opposition a besoin d’une perspective et d’une orientation politiques claires. Il n’y a qu’un seul moyen d’arrêter le dangereux développement de la guerre: la construction d’un mouvement international antiguerre basé sur la classe ouvrière qui lutte pour le renversement du capitalisme sur la base d’une perspective socialiste.

(Article paru en anglais le 3 février 2022)

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