Perspectives

Intensification de la crise du capitalisme américain alors que la dette nationale atteint 30.000 milliards de dollars

L’annonce par le Trésor américain que la dette publique nationale a dépassé les 30.000 milliards de dollars est une étape importante dans la crise historique du capitalisme américain qui s’aggrave.

Au cours des dernières décennies, et particulièrement depuis l’effondrement financier de 2008, la classe dirigeante et les institutions de son État ont tenté de dissimuler cette crise en inondant le système financier d’argent créé en appuyant sur un bouton d’ordinateur. Mais elle continue de se manifester, prenant des formes toujours plus malignes.

Le bâtiment du Capitole des États-Unis sur la colline du Capitole à Washington, le 2 novembre 2020 (AP Photo/Patrick Semansky)

Dans son reportage sur le niveau de la dette, le New York Times l’a décrit comme un «jalon budgétaire inquiétant qui souligne la nature fragile de la santé économique à long terme du pays, aux prises avec la flambée des prix et la perspective de taux d’intérêt plus élevés».

L’ampleur de la dette est presque impossible à concevoir. Mais pour la mettre en perspective, avec 30.000 milliards de dollars, elle est désormais supérieure de 7000 milliards de dollars à l’ensemble du produit intérieur brut des États-Unis – la valeur totale des biens et services produits en un an – qui s’élève à environ 23.000 milliards de dollars.

Et le rythme de l’augmentation de la dette s’accélère. Début 2020, il était prévu qu’elle atteigne 30.000 milliards de dollars vers la fin de 2025. Cette accélération est attribuée à l’augmentation des dépenses due à la pandémie. Mais une telle analyse ignore deux faits essentiels.

Tout d’abord, le choc subi par l’économie américaine du fait du coronavirus s’est trouvé multiplié par le refus criminel du gouvernement – sous Trump comme sous Biden – de prendre des mesures de sécurité significatives en matière de santé publique, surtout au début, qui auraient pu contenir l’épidémie dès le début, motivé par la crainte d’un impact négatif sur les marchés boursiers. En outre, une grande partie des dépenses liées à la pandémie se sont consacrées à des milliards de dollars de cadeaux aux grandes entreprises, tout en leur accordant de nouveaux allégements fiscaux.

Deuxièmement, l’augmentation de la dette, qui remonte à plusieurs décennies, n’est pas le résultat d’une augmentation des dépenses en matière de services et d’équipements sociaux. Celles-ci ont été continuellement réduites. Elle est plutôt le produit de l’augmentation des dépenses militaires – le budget militaire actuel a atteint un nouveau record de 770 milliards de dollars – ainsi que des réductions d’impôts constantes pour les personnes ultra-riches et les grandes entreprises, avec pour résultat, comme l’ont montré de nombreuses études, qu’elles paient peu ou pas d’impôt.

Ces politiques sont restées constantes tout au long des gouvernements de Bush, Obama, Trump et Biden.

En outre, l’augmentation de la dette nationale est le résultat de processus plus profonds ancrés dans une transformation du mode d’accumulation des profits dans l’économie américaine.

Les quatre dernières décennies et plus ont vu la montée de la financiarisation: le processus par lequel les profits sont de plus en plus accumulés par des opérations financières via le marché boursier. Ce phénomène s’est accéléré au cours des deux dernières années, Wall Street atteignant de nouveaux records, entraînant le transfert de milliers de milliards de dollars dans les coffres des milliardaires de la pandémie. Les mêmes processus sont à l’œuvre dans toutes les économies capitalistes du monde, et prennent leur forme la plus extrême aux États-Unis.

Les questions immédiates qui se posent sont les suivantes: comment cette dette sera-t-elle payée et quelles sont ses implications pour la classe ouvrière?

S’adressant à la réunion virtuelle du Forum économique mondial le mois dernier, la secrétaire au Trésor américain Janet Yellen a déclaré qu’il était «important d’évaluer la viabilité de la dette dans le contexte de l’environnement des taux d’intérêt» et que le fardeau de la dette américaine était «très gérable» en raison des faibles taux d’intérêt.

La prétendue «gestion» de la dette nationale se fait par le biais du marché des obligations du Trésor américain émises par le gouvernement américain qui sont achetées par les investisseurs financiers. Cependant, en mars 2020, alors que Wall Street plongeait, ce processus s’est complètement effondré lorsqu’il a eu une ruée pour fuir la dette publique. Au plus fort de la crise, aucun acheteur n’a pu être trouvé pour les obligations du Trésor, censées être l’actif financier le plus sûr et le plus stable au monde.

La crise, qui menaçait de faire s’effondrer les marchés financiers américains et mondiaux, n’a été évitée que grâce à une intervention massive de la banque centrale de la Réserve fédérale, qui a soutenu tous les secteurs du système financier, dépensant à un moment donné 1 million de dollars par seconde. Résultat: alors qu’en 2008 la Réserve fédérale détenait  800 milliards de dollars d’actifs dans ses livres, elle en possède aujourd’hui un peu moins de 9000 milliards de dollars.

Au cours de la dernière décennie, la dette nationale a été de plus en plus financée par une opération à la ronde dans laquelle une division de l’État, le gouvernement, émet de la dette sous la forme de bons du Trésor, tandis qu’une autre division, la banque centrale, la rachète.

On a calculé que depuis que la Réserve fédérale a lancé son deuxième programme d’assouplissement quantitatif en 2010, ses achats de titres du Trésor ont financé entre 60 et 80 pour cent de l’ensemble des besoins d’emprunt de l’État.

Le résultat a été le maintien des taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas, ce qui a alimenté la hausse des prix des actions qui ont atteint des sommets.

Mais un vieux dicton économique existe: si un processus est intrinsèquement insoutenable, alors il doit s’arrêter. Comment alors mettre fin à cette orgie financière?

La réponse se trouve dans la nature même du capital financier. Il est essentiellement prédateur par nature. Tous les actifs financiers en soi ne représentent pas une valeur; ils sont une revendication de la valeur, en particulier, la plus-value extraite de la classe ouvrière dans le processus de production.

L’essence du capital financier, comme l’a noté Karl Max, est sa volonté de «s’enrichir non pas par la production mais en empochant la richesse disponible des autres».

Cette volonté, désormais profondément ancrée dans toutes les structures du capitalisme américain, prend deux formes: la guerre à l’étranger et la contre-révolution sociale contre la classe ouvrière au pays.

L’escalade des provocations du gouvernement Biden contre la Russie au sujet de l’Ukraine est en grande partie motivée par la tentative de projeter à l’extérieur les tensions sociales et politiques croissantes aux États-Unis. En outre, des facteurs économiques à plus long terme sont à l’œuvre.

Depuis la liquidation de l’Union soviétique par la bureaucratie stalinienne en 1991, des sections clés de la classe dirigeante américaine et de ses représentants – dont le défunt conseiller démocrate à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski – ont vu dans le pillage des vastes ressources de la Russie un moyen de surmonter le déclin économique du capitalisme américain.

La crise du système financier, illustrée par l’escalade de la dette nationale à des dimensions inimaginables, est par essence une crise de la valeur. Et la seule source de valeur dans l’économie capitaliste est la classe ouvrière. La valeur ne peut être remise dans la montagne de capital fictif, dont la dette nationale est une composante, qu’en intensifiant l’exploitation de la classe ouvrière à de nouveaux sommets.

De petits incidents donnent parfois un aperçu de développements plus larges. C’est la signification d’un récent article du Wall Street Journal qui a choisi de mettre en avant le commentaire d’un directeur général d’entreprise, contraint de faire passer le salaire d’entrée des travailleurs de 15 dollars de l’heure à 16 ou 18 dollars, qui s’est inquiété du fait que «nous ne savons pas quand cette hyperinflation des coûts de la main-d’œuvre prendra fin».

Pendant ce temps, selon un reportage de Bloomberg, les milliardaires de la pandémie, comme le chef d’Amazon Jeff Bezos, cherchent à se surpasser dans leurs achats de superyachts de plusieurs millions de dollars, dont les commandes ont augmenté de 77 pour cent par rapport à l’année précédente.

Les lignes de bataille de la lutte des classes se dessinent. La classe dirigeante a un programme clair: des guerres pour le pillage et une attaque massive des salaires et des conditions sociales de la population afin de s’enrichir encore davantage.

La classe ouvrière doit répondre par son propre programme indépendant, élaboré jusqu’au bout: la lutte pour le socialisme, la fin du système de profit capitaliste et la construction d’un parti révolutionnaire pour assurer la direction de cette lutte à la vie à la mort.

(Article paru en anglais le 3 février 2022)

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