Le sommet Chine-Russie forge une quasi-alliance contre Washington

Face au danger aigu d’une guerre des États-Unis contre la Russie au sujet de l’Ukraine, le président russe Vladimir Poutine a rencontré le président chinois Xi Jinping vendredi dernier. Cela a coïncidé avec l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver à Pékin. Bien que la Russie et la Chine ne soient pas des alliés militaires officiels, le sommet a permis d’affirmer ce qui est en substance une quasi-alliance face à l’escalade des menaces de Washington contre les deux pays.

Le président chinois Xi Jinping, à droite, et le président russe Vladimir Poutine se parlent lors de leur rencontre à Pékin, en Chine, le vendredi 4 février 2022. (Alexei Druzhinin, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP) [AP Photo/Alexei Druzhinin, Sputnik, Kremlin (Pool Photo)]

Le gouvernement Biden a augmenté de façon spectaculaire le risque de conflit avec la Russie par une campagne extraordinaire de mensonges et de désinformation, invoquant l’invasion imminente de l’Ukraine par la Russie. Biden a catégoriquement rejeté la demande de la Russie d'une garantie que l’Ukraine ne deviendrait pas membre de l’OTAN. Une telle intégration mettrait des forces de l’OTAN à la frontière russe. Au lieu de cela, il a fourni du matériel de guerre à l’Ukraine et envoyé des troupes américaines en Europe de l’Est.

En même temps, Biden, à la suite de Trump, a intensifié la confrontation agressive des États-Unis avec la Chine, qui remonte au «pivot vers l’Asie» initié par le gouvernement Obama, dont Biden était le vice-président. En effet, la propagande américaine selon laquelle la Russie est sur le point d’envahir l’Ukraine est mise en parallèle avec la fiction selon laquelle la Chine pourrait profiter du conflit en Europe pour envahir Taïwan.

L’objectif transparent de l’impérialisme américain est de subordonner et de fracturer la Chine et la Russie dans le but de maintenir sa domination mondiale. Dans sa poursuite imprudente de cet objectif, alimenté par des crises sociales, économiques et politiques croissantes au pays, le gouvernement Biden a effectivement rapproché ce qu’il considère comme ses deux principaux rivaux, s’assurant ainsi que toute guerre qui éclatera deviendra rapidement mondiale.

Dans leur longue déclaration commune, Xi et Poutine ont condamné à plusieurs reprises les États-Unis et leurs alliés, sans toujours les nommer. Certains acteurs, ont-ils déclaré, «préconisent des approches unilatérales pour traiter les questions internationales et recourent à la force. Ils s’immiscent dans les affaires intérieures d’autres États, portant atteinte à leurs droits et intérêts légitimes, et incitent aux clivages, aux divergences et à la confrontation».

Dans une déclaration de soutien mutuel inhabituellement directe, la Russie et la Chine s’engagent à «s’opposer aux tentatives des forces extérieures de porter atteinte à la sécurité et à la stabilité dans leurs régions adjacentes communes»; à «contrer l’ingérence des forces extérieures dans les affaires intérieures des pays souverains sous quelque prétexte que ce soit»; à «s’opposer aux révolutions de couleur» et à «accroître la coopération dans les domaines susmentionnés».

La déclaration, malgré son langage diplomatique, représente un défi clair aux États-Unis et est axée sur les préoccupations sécuritaires. Xi et Poutine se sont passés de vagues appels à la collaboration internationale; à la paix mondiale et à la nécessité d’un monde multipolaire par opposition à un monde unipolaire, c’est-à-dire dominé par les États-Unis. Ils ont fait part de leurs graves préoccupations «concernant de sérieux problèmes de sécurité internationale».

  • La Russie a réaffirmé «son soutien au principe d’une seule Chine, confirme que Taïwan est une partie inaliénable de la Chine et s’oppose à toute forme d’indépendance de Taïwan.» Au cours de l’année écoulée, Biden, à la suite de Trump, a délibérément sapé la politique d’une seule Chine. Cette dernière reconnaît Pékin comme le gouvernement légitime de toute la Chine, y compris Taïwan. Les États-Unis ont renforcé leurs liens avec Taipei et ont placé des troupes américaines sur l’île. La politique d’une seule Chine était la base des relations diplomatiques entre les États-Unis et la Chine établies en 1979.
  • Dans une répudiation des actions américaines concernant l’Ukraine, la Chine a soutenu la Russie en s’opposant à «la poursuite de l’élargissement de l’OTAN» et «appelle l’Alliance de l’Atlantique Nord à abandonner ses approches idéologisées de la guerre froide, [et] à respecter la souveraineté, la sécurité et les intérêts des autres pays.» Lors de la crise de 2014 qui a suivi le coup d’État de droite soutenu par les États-Unis en Ukraine, la Chine a maintenu une position beaucoup plus équivoque et n’a pas soutenu fermement la Russie.
  • Les deux pays ont pris position contre «la formation de structures de blocs fermés et de camps opposés dans la région Asie-Pacifique. Ils restent très vigilants quant à l’impact négatif de la stratégie indopacifique des États-Unis sur la paix et la stabilité dans la région». La déclaration cite explicitement l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis en exprimant leur «grave préoccupation» concernant la formation de leur partenariat de sécurité AUKUS en septembre. «En particulier leur décision d’entreprendre une coopération dans le domaine des sous-marins à propulsion nucléaire». Elle a mis en garde contre «le danger d’une course aux armements dans la région» et «les risques sérieux de prolifération nucléaire».
  • La Chine et la Russie ont exprimé leurs craintes face au danger croissant de guerre nucléaire, appelant au retrait des armes nucléaires déployées à l’étranger et à l’élimination des systèmes mondiaux de missiles antibalistiques. Seuls les États-Unis disposent de tels déploiements. La déclaration s’oppose au retrait des États-Unis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. La déclaration appelle Washington «à abandonner ses plans de déploiement de missiles terrestres à portée intermédiaire et à plus courte portée dans la région Asie-Pacifique et en Europe».

La déclaration condamne la manière dont les États-Unis exploitent hypocritement les «droits de l’homme» pour servir leurs objectifs stratégiques. Cela comprend la fomentation de tendances séparatistes en Russie et en Chine dans le but de fragmenter les deux pays. Poutine et Xi ont mis l’accent sur une collaboration économique plus étroite, avec notamment la signature d’un nouvel accord énergétique et l’augmentation du commerce bilatéral annuel à 250 milliards de dollars.

Le sommet a clairement fait frémir les institutions militaires et politiques des États-Unis et celles de leurs alliés. L’une des préoccupations immédiates de Washington est la possibilité pour la Chine de saper les efforts américains qui visent à imposer une nouvelle série de mesures économiques punitives à la Russie en cas de conflit. La veille du sommet Xi-Poutine, le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a déclaré que les États-Unis et leurs alliés «disposent d’un éventail d’outils» pouvant être utilisés contre «les entreprises étrangères, y compris celles de Chine» qui tentent d’échapper aux sanctions américaines.

Les craintes, cependant, sont plus profondes. Une préoccupation centrale de la politique américaine a été d’empêcher la domination de la masse continentale stratégique de l’Eurasie par des puissances hostiles. Le président Nixon et son conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, ont élaboré un rapprochement avec la Chine qui a culminé avec la visite de Nixon à Pékin en 1972. Cela a permis d’établir une alliance avec l’impérialisme américain pour miner l’Union soviétique. Dans cette alliance le régime de Mao Zedong s’est rangé du côté des régimes réactionnaires proaméricains, tels que celui du Shah d’Iran et du général Pinochet au Chili.

Au cours de la dernière décennie, cependant, les gouvernements américains qui se sont succédés ont mis en pièces l’accord avec la Chine. Les menaces, les provocations, l'augmentation des capacités militaires et le renforcement des alliances des États-Unis sont allés croissants, tant en Europe qu’en Asie-Pacifique. Le débat qui avait lieu dans les cercles stratégiques américains sur la question de savoir si l’on devait viser la Russie ou la Chine en premier lieu, et sur la manière de manipuler les différends entre les deux puissances s'est en fait résolu par le rapprochement des deux cibles.

L’imprudence de la politique étrangère de Washington est à la mesure de la profondeur de la crise économique et sociale aux États-Unis, qui a été considérablement aggravée par les mesures criminelles qui laissent la pandémie suivre son cours. Loin d’amener l’impérialisme américain à faire une pause dans sa préparation à la guerre, Washington ne fera que redoubler ses efforts, poussé par la crainte que, dans son déclin historique, le temps lui soit compté.

(Article paru d’abord en anglais le 7 février 2022)

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