L'Union européenne refuse la renonciation au brevet sur les vaccins mais accepte l’arrangement de transfert de technologie d'ARNm en guise de concession à l'Afrique.

L'Union européenne (UE) a donné son approbation au programme de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour permettre à six pays africains, l'Égypte, le Kenya, le Nigéria, le Sénégal, l'Afrique du Sud et la Tunisie, d'accéder à la technologie nécessaire à la production de vaccins à ARNm. Jusqu'à présent, l'Afrique dépendait presque entièrement des vaccins Covid-19 importés.

La décision intervient après que Pfizer/BioNTech et Moderna, dont les vaccins à ARNm Covid ont été financés par les gouvernements allemand et américain, ont rejeté une demande de l'OMS de partager leur technologie et leur expertise. Hormis Astra-Zeneca, les grandes sociétés pharmaceutiques ont refusé de laisser d'autres pays produire leurs vaccins, signant à la place quelques accords pour leur permettre de mettre en flacon et d'emballer des doses, invoquant des problèmes de qualité et le temps nécessaire pour que de nouvelles entreprises acquièrent les compétences nécessaires.

L'UE, la Suisse et le Royaume-Uni ont refusé d'accepter la proposition de l'Inde et de l'Afrique du Sud, soutenue par plus de 100 nations, chercheurs, groupes de campagne, entreprises et médias, pour que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) lève les droits de propriété intellectuelle pour les vaccins et les traitements du Covid-19 pendant la pandémie. Alors que l'administration américaine de Biden s'est déclarée en faveur d'une telle dérogation, ceci ne visait qu'à des fins de relations publiques, car rien n’a été fait pour contraindre les entreprises américaines à l’accepter.

Rejetant une réponse mondiale coordonnée à la pandémie, les gouvernements capitalistes du monde entier ont fait passer les profits avant les vies pour soutenir les intérêts de leurs propres grandes entreprises et banques, condamnant les pays les plus pauvres du monde à la pauvreté et des difficultés toujours plus grandes.

Plus d'un an après la mise à disposition des vaccins, seulement 12 pour cent de la population africaine, 168 millions sur une population de 1,3 milliard, ont été entièrement vaccinés, 80 pour cent de la population n'ayant pas encore reçu une seule injection. Environ six millions de personnes sont vaccinées chaque semaine en Afrique. Ce chiffre doit être multiplié par six pour atteindre environ 36 millions si le continent veut atteindre l'objectif de vacciner 70 pour cent de la population de chaque pays d'ici le milieu de 2022. Jusqu'à présent, seuls Maurice et les Seychelles ont atteint l'objectif de 70 pour cent.

Des personnes font la queue pour se faire vacciner contre la COVID-19 à Lawley, au sud de Johannesburg, en Afrique du Sud, le mercredi 1er décembre 2021. (AP Photo/ Shiraaz Mohamed)

La disparité dans l'accès aux vaccins est obscène. Alors que 116 pays dans le monde sont loin d'atteindre leur objectif de 70 pour cent et que COVAX, l'initiative de l'OMS qui fournit la plupart des vaccins aux pays à revenu faible et intermédiaire, est à court d'argent, 75 pour cent de la population de l'UE et des États-Unis ont été vaccinés.

Lors de la réunion mouvementée de la semaine dernière entre l'Union africaine et l'UE à Bruxelles, les dirigeants africains et les responsables de la santé publique ont accusé les pays riches de monopoliser la grande majorité de l'approvisionnement mondial en vaccins en payant bien plus que ce que les pays les plus pauvres ne pourraient jamais se permettre, en accumulant des doses et en faisant dons de vaccins proches de leur date de péremption, faisant «une parodie de l'équité en matière de vaccins». Bien que plusieurs pays africains disposent du savoir-faire et des installations nécessaires pour fabriquer des vaccins, le nationalisme vaccinal et la maximisation des profits ont rendu le continent dépendant à 99 pour cent des importations, dans la limite des doses disponibles à l'achat, et aux dons.

L'objectif du projet de transfert de technologie de l'OMS, lancé en juin dernier au Cap, est de permettre aux pays les plus pauvres d'accéder à la technologie de l'ARNm, qui fonctionne en créant des molécules génétiques contenant le code des éléments clés d'un agent pathogène infectant les cellules humaines, provoquant ainsi une réponse du système immunitaire. Cela est censé leur permettre la production de masse de vaccins à ARNm et mettrait fin à leur dépendance à l'égard des programmes de maximisation des profits de Big Pharma. Plus de 70 pour cent des doses d'ARNm de Moderna et Pfizer/BioNTech ont été attribuées aux pays riches.

Comme l'a déclaré le chef de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors de la cérémonie de lancement organisée par le Conseil européen, la France, l'Afrique du Sud et l'OMS, «Aucun autre événement comme la pandémie de Covid-19 n'a montré que la dépendance à l'égard de quelques entreprises pour fournir de tels biens publics sur plan mondial est rétrograde, et dangereux.»

Bien que le centre de transfert de technologie d'ARNm ait été mis en place pour fabriquer des vaccins Covid-19, il aura le potentiel de produire d'autres vaccins et produits, notamment de l'insuline pour traiter le diabète, des médicaments contre le cancer et, potentiellement, des vaccins contre des maladies telles que le paludisme, la tuberculose et le VIH. Néanmoins, alors que la formation doit commencer le mois prochain, il est peu probable que cela ait un impact majeur avant un certain temps.

L'annonce intervient quelques jours après qu'Afrigen, une société sud-africaine qui fait partie du centre d'ARNm de l'OMS, a révélé qu'elle avait développé, en collaboration avec l'Université du Witwatersrand de Johannesburg, sa propre version d'un vaccin à ARNm basée sur des données accessibles au public pour le vaccin Moderna. Leur succès révèle la fausseté des affirmations intéressées de Pfizer, BioNTech et Moderna selon lesquelles l'Afrique manquait de l'expertise nécessaire pour fabriquer ses vaccins.

Afrigen prévoit d'augmenter la production à l'échelle commerciale et de mettre en place des essais cliniques plus tard cette année. Elle a choisi le vaccin Moderna parce qu'une grande partie de son séquençage est dans le domaine public, le coût de sa recherche et de ses essais cliniques ayant été largement financé par 2,5 milliards de dollars de financement du gouvernement américain, et parce que l'entreprise s'est engagée à ne pas appliquer les brevets pendant la pandémie. Par contre, du fait que la plupart des pays avancés déclarent maintenant la fin de la pandémie, il se peut que cela fasse long feu.

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a appelé le système mondial de distribution de vaccins COVAX et l'alliance des vaccins Gavi à s'engager à acheter des vaccins auprès de centres de fabrication locaux.

Pour ses propres raisons géostratégiques l'UE tient à se montrer comme soutenant le programme de vaccination de l'Afrique à un moment où ses relations avec l'Afrique sont tendues.

La France a annoncé qu'elle retirait ses troupes du Mali face à l'énorme opposition populaire à l'impérialisme français et après que le gouvernement militaire de Bamako ait engagé des mercenaires russes et expulsé l'ambassadeur de France. Les militaires au Mali, au Burkina Faso et en Guinée ont renversé les gouvernements alignés sur la France, alors que les groupes alignés sur l'État islamique et d'autres groupes djihadistes ont gagné du terrain à travers le Sahel et l'Afrique centrale.

En outre, les dirigeants africains considèrent l'agenda vert de l'Europe comme un moyen de bloquer les projets pétroliers et gaziers potentiellement lucratifs censés fournir de l'électricité à 600 millions d'Africains.

La décision de l'UE intervient à un moment de concurrence croissante pour l'influence en Afrique. Le commerce avec la Chine a augmenté au cours des 20 dernières années pour atteindre 176 milliards de dollars en 2020, tandis que le commerce entre l'UE et l'Afrique stagne autour de 225 milliards d'euros.

En novembre dernier, le président chinois Xi Jinping a annoncé lors du sommet du Forum sur la coopération sino-africaine que Pékin s’engagerait à fournir 1 milliard de vaccins supplémentaires en Afrique en 2022, soit plus que l'engagement mondial de partage de vaccins de l'UE. La Chine, a-t-il dit, partagerait également 25 pour cent de son allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international avec l'Afrique après que le président sénégalais Macky Sall en ait fait la demande quelques jours plus tôt. Les dirigeants européens ont appelé en mai dernier à rediriger 100 milliards de dollars en DTS vers l'Afrique, mais n'ont jusqu'à présent pas fourni grand-chose.

L'UE a approuvé le programme du centre de transfert de technologie de l'OMS comme un compromis bon marché lors du sommet UE-UA à Bruxelles, où la Commission européenne, l'Allemagne, la France et la Belgique ont accepté de débourser la modique somme de 40 millions d'euros pour que le centre technologique permette aux pays d’Afrique d’augmenter leur capacité de fabrication et éventuellement de produire des doses d'ARNm à l'échelle commerciale.

L'UE s'est également engagée à continuer à faire don de vaccins à l'Afrique, à pas de tortue. N'ayant jusqu'à présent livré que 148 millions de doses, soit 22 pour cent des doses promises aux pays vulnérables, le bloc a l'intention d'atteindre 450 millions d'ici l'été, toujours moins que les 750 millions promis.

Dans le même temps, BioNTech a annoncé son intention de livrer des installations d'usine construites à partir de conteneurs d'expédition à plusieurs pays africains pour permettre la production du vaccin Pfizer sur le continent. Bien que cela puisse éventuellement faciliter l'obtention du vaccin Pfizer par les pays africains, BioNTech ne partagera pas son savoir-faire technologique. La société a signé un accord de mise en flacon et de conditionnement, les dernières étapes de la production, le médicament lui-même provenant d'Europe via Biovac. Elle a annoncé qu'elle construirait des usines de fabrication au Rwanda et au Sénégal.

De même, Moderna, sous pression pour produire des vaccins dans les pays à faible revenu, a annoncé son intention de dépenser 500 millions de dollars pour construire des usines de vaccins à ARNm en Afrique, mais peu de détails sont disponibles.

Le président français Emmanuel Macron a déclaré que le soutien à la souveraineté sanitaire de l'Afrique était l'un des principaux objectifs du démarrage de la production locale, «pour donner aux régions et aux pays les moyens de se prendre en mains, pendant les crises et en temps de paix».

Quoi qu'il en soit, il n'est pas prévu que cet objectif soit atteint de sitôt, comme l'a admis la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. «Aujourd'hui, de tous les vaccins administrés en Afrique, un pour cent est produit en Afrique et cela pour tous les vaccins. Et à juste titre, l'objectif est d'atteindre en 2040 un niveau de 60 pour cent de vaccins produits en Afrique, qui sont administrés en Afrique [c'est nous qui soulignons]».

(Article paru en anglais le 23 février 2022)

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