La colère monte face au traitement des Africains fuyant la guerre par les forces de sécurité ukrainiennes

Tandis que la presse américaine et européenne présente l’intervention de l’OTAN contre la guerre russe en Ukraine comme une défense de la démocratie, la colère monte dans toute l’Afrique à la suite d’informations selon lesquelles le personnel de sécurité et les gardes-frontières ukrainiens viseraient de manière raciste les Africains qui tentent de fuir le pays. Environ 16.000 étudiants africains étudiaient dans le pays avant l’invasion russe, selon l’ambassadeur d’Ukraine en Afrique du Sud.

Des dizaines de citoyens africains ont été empêchés de quitter l’Ukraine. France24 a interrogé plusieurs étudiants africains à la gare de Lviv dans l’ouest de l’Ukraine qui ont déclaré avoir été refoulés par les gardes-frontières ukrainiens alors qu’ils tentaient de passer en Pologne.

«Ils nous ont arrêtés à la frontière et nous ont dit que les Noirs n’étaient pas autorisés. Mais nous pouvions voir des Blancs passer», a déclaré Moustapha Bagui Sylla, un étudiant guinéen, à France24. Il a dit avoir fui sa résidence universitaire à Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine, lorsque les bombardements ont commencé.

Bagui Sylla a marché pendant des heures dans des températures glaciales en direction du village frontalier polonais de Medyka, où il a reçu l’ordre de faire demi-tour. Il rapporte que les gardes-frontières ukrainiens ont déclaré qu’ils ne faisaient que suivre les instructions de leurs homologues polonais. Les autorités de Varsovie ont toutefois démenti cette affirmation.

Des soldats ukrainiens sur un véhicule militaire blindé dans la banlieue de Kiev, en Ukraine, le samedi 5 mars 2022 (AP Photo/Emilio Morenatti)

Barlaney Mufaro Gurure, une étudiante zimbabwéenne en ingénierie spatiale à l’Université nationale d’aviation d’Ukraine, a fui Kiev après le lancement de l’intervention militaire par la Russie le 24 février. Elle a raconté à Al Jazeera qu’elle avait finalement atteint le début d’une file d’attente de neuf heures au poste-frontière de Krakovets, dans l’ouest de l’Ukraine, après un voyage épuisant de quatre jours.

Lorsque son tour est venu de passer, le garde-frontière l’a bloquée, elle et quatre autres étudiants africains, pendant des heures, donnant la priorité aux Ukrainiens. «Nous nous sommes sentis traités comme des animaux. Lorsque nous avons quitté [Kiev], nous essayions juste de survivre», a-t-elle déclaré à Al Jazeera. «Nous n’avons jamais pensé qu’ils nous auraient traités comme ça… Je pensais que nous étions tous égaux, que nous essayions de rester solidaires», a-t-elle ajouté.

L’ONU estime que 2 millions de personnes ont fui l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe. Les files d’attente le long de la frontière s’étendent sur des dizaines de kilomètres. Des étudiants africains ont déclaré à Al Jazeera qu’ils attendaient depuis des jours de pouvoir traverser la frontière par des températures glaciales, sans nourriture, sans couverture et sans abri.

De plus en plus d’informations indiquent que des nationalistes polonais d’extrême droite attaquent les Africains, les Sud-Asiatiques et les personnes du Moyen-Orient qui ont traversé la frontière ukrainienne pour entrer en Pologne. À Przemyśl, des agresseurs habillés en noir ont traqué des groupes de réfugiés non blancs, principalement des étudiants qui sont arrivés dans une gare en Pologne en provenance d’Ukraine après le début de la guerre. La police a déclaré que trois Indiens avaient été battus par un groupe de cinq hommes, l’un d’eux ayant dû être hospitalisé.

«Vers 19 h, ces hommes ont commencé à crier et à hurler contre des groupes de réfugiés africains et du Moyen-Orient qui se trouvaient à l’extérieur de la gare», rapportent deux journalistes polonais de l’agence de presse OKO. «Ils leur ont crié: “Retournez à la gare! Retournez dans votre pays”.»

Des policiers et des agents antiémeute ont été envoyés après l’arrivée de groupes d’hommes scandant «Przemyśl toujours polonais».

«J’étais avec mes amis, en train d’acheter quelque chose à manger dehors», a déclaré Sara, une étudiante égyptienne de 22 ans en Ukraine. «Ces hommes sont venus et ont commencé à harceler un groupe d’hommes du Nigeria. Ils ne voulaient pas laisser un garçon africain entrer dans un endroit pour manger un peu. Puis ils se sont dirigés vers nous et ont crié: “Retournez dans votre pays”».

La police polonaise a également averti que des groupes d’extrême droite diffusent de fausses informations sur des crimes qui auraient été commis par des citoyens africains et du Moyen-Orient fuyant l’Ukraine. Sur Twitter, la police de Przemyśl a déclaré: «Dans les médias, il y a de fausses informations selon lesquelles des crimes graves ont eu lieu à Przemyśl et à la frontière: cambriolages, agressions et viols. Ce n’est pas vrai. La police n’a pas enregistré une augmentation du nombre de crimes en lien avec la situation à la frontière».

Les responsables ukrainiens et polonais ont démenti les reportages qui font état de discrimination raciale à la frontière. Un porte-parole des gardes-frontières ukrainiens a affirmé que seuls les hommes ukrainiens âgés de 18 à 60 ans sont empêchés de quitter le pays, car ils doivent rejoindre la guerre contre la Russie. Cependant, des images diffusées sur les médias sociaux ont montré des actes de discrimination, d’abus et de violence à l’encontre de citoyens africains et d’autres citoyens étrangers fuyant l’Ukraine à ses postes-frontière.

Dans un contexte de colère croissante en Afrique, les responsables africains ont exprimé leur inquiétude quant au traitement discriminatoire dont font l’objet leurs citoyens. Des vidéos et des tweets sous le hashtag #AfricansinUkraine ont inondé les médias sociaux, suscitant de nombreuses initiatives de financement participatif sur Telegram et Instagram pour aider les étudiants aux frontières.

Lundi dernier, dans un communiqué, l’Union africaine a déclaré: «Les reportages selon lesquels les Africains subissent un traitement dissemblable inacceptable montreraient une situation scandaleusement raciste et en violation du droit international». De même, le gouvernement nigérian a déclaré qu’un groupe de Nigérians s’était vu refuser l’entrée en Pologne. Un porte-parole du ministère sud-africain des Affaires étrangères a déclaré qu’un groupe de ressortissants sud-africains et d’autres Africains avaient été «maltraités» à la frontière polono-ukrainienne.

Les mauvais traitements qui sont infligés à de nombreux Africains par des agents de sécurité et des foules d’extrême droite mettent à nu l’hypocrisie des larmes de crocodile que les médias de l’OTAN versent pour les millions de personnes qui fuient l’Ukraine à la suite de l’invasion réactionnaire du président russe Vladimir Poutine.

Depuis la dissolution stalinienne de l’Union soviétique en 1991, les puissances de l’OTAN ont attaqué l’Irak, l’Afghanistan, la Libye et la Syrie, détruisant les infrastructures et tuant d’innombrables milliers de personnes. Tandis que les gens fuyaient ces pays, entreprenant des voyages risqués par terre et par mer pour trouver refuge en Europe, l’UE adoptait des mesures anti-immigrées de plus en plus draconiennes, refusant d’accorder l’asile à ceux qui parvenaient à arriver en Europe. En conséquence, des dizaines de milliers de migrants et de réfugiés se sont noyés lorsque leurs embarcations ont chaviré en mer Méditerranée ou même dans la Manche.

En réalité, les politiques draconiennes de l’UE contre les migrants et la légitimation de longue date par les puissances de l’OTAN des politiques d’extrême droite à travers l’Europe, et notamment leur soutien au putsch de février 2014 à Kiev qui a porté au pouvoir un gouvernement pro-OTAN en Ukraine, alimentent la haine anti-réfugiés. Les puissances de l’OTAN ne se préoccupent pas du sort des réfugiés, mais exploitent plutôt leur souffrance pour justifier la poursuite du bellicisme contre la Russie.

Au niveau international, l’opposition à l’invasion russe, mais aussi à la campagne de guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie, ne cesse de croître. Dix-sept pays africains, dont l’Afrique du Sud, le Sénégal, l’Ouganda et le Mali, se sont abstenus lors du vote des Nations unies qui visait à condamner l’«agression contre l’Ukraine» de la Russie. Plusieurs d’entre eux ont subi d’énormes pertes lors des invasions lancées par les puissances de l’OTAN dans des pays voisins comme la Libye et le Mali.

La semaine dernière, le gouvernement sénégalais a publié une déclaration dans laquelle il condamne fermement la politique de l’Ukraine en Afrique. Cette déclaration faisait suite aux tentatives de l’ambassade d’Ukraine au Sénégal de recruter des volontaires via Facebook pour rejoindre les milices nationalistes ukrainiennes d’extrême droite qui combattent la Russie. L’ambassade d’Ukraine a affirmé que 36 citoyens sénégalais s’étaient en fait engagés. Cependant, la loi sénégalaise interdit de recruter des mercenaires sur le sol sénégalais.

Le 3 mars, le ministère sénégalais des Affaires étrangères a déclaré avoir convoqué l’ambassadeur d’Ukraine à Dakar après avoir pris connaissance «avec étonnement» du message publié sur Facebook. Le ministère a déclaré qu’il avait «fermement» condamné «cette pratique qui constitue une violation de l’obligation de respecter les lois et règlements de l’État d’accueil». Il a demandé à l’ambassade d’Ukraine de retirer son message sur Facebook.

(Article paru en anglais le 9 mars 2022)

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