Une interview avec Yaneer Bar-Yam

Omicron, BA.2 et les dangers persistants de la pandémie de coronavirus

Deuxième Partie

Le professeur Yaneer Bar-Yam est un scientifique américain né à Boston, dans le Massachusetts, qui a obtenu sa licence et son doctorat en physique au Massachusetts Institute of Technology. Il est le président fondateur du New England Complex Systems Institute. Ses recherches portent sur la formalisation de la science des systèmes complexes et son application aux défis sociaux.

Il est l’un des fondateurs du World Health Network, une coalition mondiale de scientifiques, de chercheurs et de groupes communautaires qui se sont réunis pour protéger les personnes et les sociétés des dommages causés par la pandémie de COVID-19. Nous nous sommes longuement entretenus avec le professeur Bar-Yam en avril 2021, à une époque où le Delta apparaissait comme une menace pour le monde entier. Dans l’interview suivante, nous poursuivons la discussion sur la pandémie et l’impact d’Omicron pendant l’urgence mondiale actuelle. L’entretien a été réalisé le 21 février 2022.

La première partie se trouve ici.

Yaneer Bar-Yam: La principale question à laquelle il reste à répondre, qui est super importante, je pense, est la question structurelle suivante: que pouvons-nous faire à ce sujet?

On nous dit que nous devons vivre avec le virus parce qu’il est «endémique», peu importe ce que cela signifie. C'est un terme qui laisse les gens perplexes. Nous avons été capables d’éliminer des maladies endémiques dans le passé et le fait qu’elles soient endémiques ne signifie pas que nous ne pouvons pas les éliminer aujourd’hui ou demain. Mais cette vérité évidente n’empêche pas ce récit erroné selon lequel le virus est endémique et restera parmi nous. Le récit prétend également qu’il va rester bénin. Mais nous savons que ce n’est pas le cas.

Le Professor Yaneer Bar-Yam.

Donc, ce qui se passe, c'est que nous redéfinissons ce qui est acceptable en fonction de cette perte de valeur de la vie et de la santé.

Benjamin Mateus: Je pense que ces points sont extrêmement importants. Je voulais parler de ce que nous avons vu récemment en Afrique du Sud, au Danemark, en Corée du Sud et à Hong Kong avec le sous-variant BA.2. Dans ces pays, nous constatons des preuves objectives de la gravité de BA.2.

YB: La propagation de BA.2 a commencé en Europe à partir des régions scandinaves. Mais elle se développe au Royaume-Uni, elle se développe dans toute l’Europe, et elle se développe partout aux États-Unis. Les calculs récents suggèrent que le BA.2 pourrait devenir dominant au début du mois prochain [mars 2022]. Et bien sûr, il continue à se répandre dans le monde entier.

[À l’heure actuelle, à Hong Kong, le nombre de décès par habitant dus au virus BA.2 est deux fois plus élevé que les pics observés aux États-Unis l’hiver dernier. On a découvert que près de 85 pour cent des cas de BA.2 séquencés présentaient une nouvelle mutation, L1221T, sur la protéine de pointe. De plus, la population âgée de Hong Kong est également le sous-groupe le moins vacciné].

Le taux de cas pour le BA.2 va augmenter. Mais l’un des problèmes auxquels nous faisons face actuellement est que les gouvernements réduisent les tests. Il s’agit de l’approche «Si je ne le vois pas, ce n’est pas un problème», ce qui signifie que nous allons avoir de nombreux cas non signalés. Aux États-Unis, on a également de plus en plus recours aux tests à domicile, qui ne sont ni suivis ni signalés. Une personne que je connais a récemment essayé de signaler le résultat positif de son test à domicile, mais n’a pas trouvé le moyen de le faire.

Les politiques adoptées en Europe et aux États-Unis sapent réellement la capacité à connaître le nombre de cas. En l’absence d’informations, on dira aux gens que le nombre de cas a diminué et ils se sentiront rassurés. Nous avons utilisé les taux de cas comme principale mesure pour évaluer le risque communautaire. Mais cette mesure est en train de devenir fausse, car une fraction de plus en plus faible des cas qui se produisent est signalée. Il s’agit donc d’un défi important dans la façon dont nous nous engageons dans l’épidémie.

Cela s’explique en grande partie par le fait que les intérêts commerciaux qui ont conduit la réponse gouvernementale à la pandémie tentent d’occulter le danger présent dans la société. Il ne fait aucun doute que les gouvernements pourraient et devraient suivre Omicron et ses sous-variants comme le BA.2, car nous savons qu’ils peuvent être plus graves.

Scientifiquement, l’impératif serait de suivre ce qui se passe. Le fait qu’ils ne le fassent pas met en évidence les efforts déployés, non seulement pour affirmer que la pandémie est terminée dans le sens où ils ne veulent pas y répondre comme à une maladie grave, mais aussi pour prétendre, en l’ignorant directement, qu’elle est normale. Ce n’est pas seulement un vœu pieux. C’est une occultation délibérée de ce qui se passe dans le contexte de cette pandémie.

BM: Avez-vous écouté un récent podcast avec Andy Slavitt, conseiller principal par intérim de Biden pour la réponse au COVID, et Kristian Andersen, virologue de la Scripps Clinic dont les travaux sur les origines du virus SARS-CoV-2 ont été suivis de près par les médias?

YB: Slavitt a estimé qu’en permettant au virus de vivre au sein des communautés, les décès annuels attendus des vagues répétées d’infection seraient de l’ordre de 200.000 à 250.000 au départ.

BM: Savez-vous comment ils ont obtenu cette estimation?

YB: Il s’agit d’une hypothèse [argumentée] selon laquelle la situation ne sera pas aussi mauvaise qu’elle ne l’a été. Mais, elle ne sera pas non plus nettement meilleure parce que la maladie continue de circuler et qu’elle ne procure pas l’immunité que l’on prétend obtenir par l’immunité collective. Même une perspective naïve de ce que l’on pourrait attendre ne serait pas moins que cela.

Mais la vérité est que c’est une base de référence très conservatrice. Compte tenu de ce que nous savons sur le BA.2 pour l’année prochaine, compte tenu de ce que nous savons sur le taux de mutation, compte tenu du fait qu’il n’y a aucune raison dans la compréhension scientifique, malgré les affirmations à ce sujet, pour que les variants deviennent moins sévères… Je veux dire que vous pourriez gagner à la loterie si quelque chose arrive pour changer la nature du virus, mais ce n’est pas la façon dont vous planifiez l’avenir.

Fondamentalement, la réintroduction continue de nouveaux variants dans la société sape l’immunité de la population obtenue grâce aux vaccins et aux infections antérieures. Nous savons que cela s’est produit. Il n’y a aucune raison de croire que cela va s’arrêter. De plus, il y a l’affaiblissement de l’immunité qui, nous le savons, ne prend que quelques mois. Et le déclin de l’immunité qui intervient en quelques mois signifie qu’il y aura des épidémies tous les quelques mois même sans nouveaux variants. Et parce qu’il y a une réinfection, parce qu’il reste des personnes vulnérables, parce que l’immunité contre les maladies graves n’est pas garantie même pour les personnes vaccinées… c’est protecteur, mais dire que c’est protecteur ne veut pas dire que c’est à cent pour cent.

Ils disent que c’est 90 pour cent alors c’est remarquable. Ou maintenant que c’est 80 ou 70 pour cent, c’est toujours bien. Ce qu’ils font, c’est changer le langage. Les vaccins ont grandement contribué à protéger les gens. Mais cela est réinterprété comme si les résultats signifiaient qu’il n’y a aucun danger à être infecté, ce qui n’est tout simplement pas le cas.

Et encore une fois, tout cela, en ce qui concerne les gouvernements, ne dit rien de l’invalidité à long terme et du mal que cela fait aux gens. Ce n’est tout simplement pas pris en compte dans les calculs, car s’ils le faisaient, ils concluraient que les 30 à 50 pour cent de personnes infectées, y compris les cas légers et asymptomatiques, vont faire des COVID long.

Cela ne signifie pas que chaque infection entraînera un cas grave de COVID long. Mais si dix pour cent des personnes infectées présentent un cas grave de COVID long et que quatre pour cent des cas graves et trois pour cent des cas bénins présentent des événements cardiaques majeurs dans l’année qui suit, alors, nous parlons d’une maladie qui va progressivement causer des dommages importants à la population. Si vous ne prenez pas de précautions et que vous vous attendez à ce qu’une partie importante de la population soit infectée tous les quelques mois, cela aura un impact cumulatif sur la société.

En raison des infections antérieures, le risque d’événements cardiaques majeurs lors d’infections ultérieures augmentera en raison de l’impact de l’infection. Et nous n’avons même pas parlé du fait que le système immunitaire est affecté, ce qui le rend encore plus vulnérable.

Premièrement, des problèmes auto-immuns existent. Ensuite, cela vous rend vulnérable à d’autres maladies. L’infection par le COVID est une condition préalable aux dommages causés par d’autres infections ou maladies. Si l’on prend tout cela en compte, même de manière conservatrice, disons que quatre à cinq pour cent des personnes sont infectées deux fois par an, nous parlons de 10 pour cent de la population, soit 30 millions de personnes aux États-Unis. Nous ne parlons donc pas seulement de 250.000 décès.

BM: Vous avez peut-être vu l’article récent du New York Times sur le COVID long. Il a été rédigé de manière à rendre l’article accessible pour que le lecteur comprenne l’impact que le COVID peut avoir sur le corps humain. Mais ce qui m’a vraiment frappé, c’est qu’à la toute fin de l’article, ils ont conclu avec la déclaration suivante, qui souligne la situation difficile de millions de personnes.

Ils ont écrit: «De nombreux hôpitaux proposent maintenant des services post-COVID ou des programmes de récupération, qui réunissent des médecins ayant l’expérience du traitement des patients ayant un COVID long. Étant donné le nombre de patients, certains médecins et programmes ont de longues listes d'attentes pour les rendez-vous. Cela peut être utile de planifier à l’avance et d’essayer plusieurs options».

Votre avis sur la question?

YB: Il n’y a pas assez de capacité de soins dans le système. Aujourd’hui, nous avons un nombre énorme de victimes de COVID longs, mais la plupart des COVID longs du récent pic d’Omicron ne se sont même pas encore manifestés. On commence à peine à les observer. Et les soins nécessaires pour ces millions de personnes, plusieurs millions de personnes, sont bien au-delà des capacités du système de santé.

Et bien sûr, d’autres personnes qui ont des problèmes de santé ne vont pas non plus recevoir de soins dans ces circonstances. Même si, les lits d’hôpitaux ne se trouvent pas occupés avec les cas aigus de COVID. Ces mêmes lits se trouvent occupés par les cas de COVID long, que nous n’appelons plus COVID, parce qu’ils ne s'agit plus de l’infection aiguë comptabilisée par les médecins. Tout cela est une garantie permanente de désastre.

Ce que nous avons fait, c’est que nous sommes passés de la stratégie du vaccin seul, dont nous parlions l’été dernier et qui s’est prolongée à l’automne malgré le Delta, à «les vaccins n’aident pas», de sorte qu’il n’y aura bientôt plus aucune stratégie dans de nombreux pays. Cela aura un impact énorme sur la population vulnérable. On leur a dit qu’ils devaient envisager de s’auto-isoler, ce qui n’a aucun sens car ils vont être infectés par leurs réparateurs et leurs soignants.

Les personnes qui souffrent déjà d'un problème de santé représentent environ 50 pour cent de la société. Plusieurs millions de personnes dans la population souffrent d’hypertension artérielle, de diabète, voire des deux. Voilà ce à quoi ressemble la vulnérabilité face au COVID. Et ces personnes devraient faire quoi, simplement disparaître et nous continuerions à vivre? Ces personnes vulnérables représentent la moitié de la société. Cela n’a vraiment aucun sens.

BM: Sous Biden, nous avons vu plus de décès dus au COVID en utilisant la stratégie du vaccin seul.

YB: Sans aucun doute.

BM: Et vous avez son directeur du CDC, la Dre Rochelle Walensky, qui a essentiellement réduit les directives d’isolement à cinq jours après que le PDG de Delta Airlines l’ait suggéré. Elle a même déclaré que la raison de ce changement était «de maintenir les fonctions critiques de la société ouvertes et opérationnelles». Ensuite, elle dit que si une infirmière ou un médecin avait le nez pris, ils n’avaient même pas besoin de s’isoler. Et les directives sur les masques devraient bientôt changer. En revanche, si un de mes patients atteint d’un cancer et devant être opéré teste positif au COVID, il doit attendre deux semaines avant de pouvoir être opéré.

[L’entretien avec le professeur Bar-Yam a été réalisé le 21 février 2022. Le 25 février 2022, les CDC ont mis en place de nouvelles directives concernant les masques, qui révisent le risque de transmission communautaire du COVID, sans plus tenir compte des niveaux de transmission communautaire. Au lieu de cela, ils évaluent le statut du système de santé et la capacité en lits pour déterminer leur niveau de vigilance. Du jour au lendemain, la carte des États-Unis s’est transformée en un pays à risque faible à modéré. Biden, lors de son discours sur l’état de l’Union, a apporté son soutien total à ces recommandations non scientifiques. Et depuis ces développements, pratiquement toutes les obligations concernant le port des masques scolaires dans le pays ont été ou sont en train d’être levées.].

YB: Parlons de ce point parce que c’est très important.

Tout d’abord, aucune base scientifique n’existe pour justifier le changement de la politique d’isolement du CDC. La seule raison de cette politique est que les infections au COVID ont perturbé le marché du travail. Ils ne trouvent pas assez de personnes pour faire le travail. Mais ce qui se passe, c’est qu’à mesure que les choses s’aggravent avec plus de personnes qui deviennent handicapées, le problème devient une politique autodestructrice.

Soyons clairs sur ce point. Ce qu’elle dit, c’est que la maladie est suffisamment grave pour perturber la société. Il s’agit de la perturbation de l’économie. Donc, pour les personnes qui se soucient de l’activité économique, le fait que les infections perturbent l’économie va finalement avoir un impact significatif sur eux. Mais en attendant, ils ignorent la maladie, ils ignorent le handicap, et ils s’appuient sur le fait que les gens sont censés être assez bien pour faire le travail. Mais ce n’est tout simplement pas une situation viable.

BM: Quand vous avez dit «significatif», pouvez-vous préciser ce que cela signifie et quelles personnes?

YB: En d’autres termes, les entreprises qui veulent gagner de l’argent dans les conditions actuelles de la pandémie et qui essaient de s’orienter vers une économie plus ouverte, le prix qu’elles ont payé depuis le début et qu’elles paieront, c’est que cela leur reviendra en pleine figure. Lorsque les gens sont malades, handicapés et généralement mal en point, ils ne sont pas disposés à prendre ces risques. Si vous deviez finir à l’hôpital, même pour quelques semaines; même si vous ne mourez pas; si vous deviez avoir un cas grave, beaucoup plus grave que la «grippe»; vous n’iriez pas à ce «déjeuner», à moins que ce soit un «déjeuner» important; ou à moins que la presse et la publicité ne vous aient trompé en vous disant que tout va bien. Mais cela ne va pas durer.

La presse commerciale a fait un énorme effort pour normaliser les circonstances. Et ce n’est pas une mince affaire. Le New York Times a constamment publié des articles sur les risques à prendre et leur déclaration sur les risques est vraiment axée sur un événement, ce qui est très trompeur.

Ils écrivent: «Si vous sortez et que vous faites quelque chose, regardez, ce n’est pas si risqué».

Récemment on a même eu un message sur Twitter qui disait qu’un risque de 30 pour cent de se faire infecter n’est pas si risqué. Trente pour cent de risque d’infection, ce n’est pas rien si vous avez un risque de contracter le COVID long et d’avoir une crise cardiaque dans un an. Même si vous pensiez que 30 pour cent c’était faible, ce n’est qu’une fois. Maintenant, si vous le faites deux fois, ou trois fois, et ainsi de suite, vous allez forcément attraper le COVID.

Donc, l’idée n’est pas que vous allez aller au restaurant une fois, et ce n’est qu’un exemple, mais la réalité est que vous allez aller au restaurant encore et encore. Les gens avaient l’habitude d’aller tous les jours au restaurant, peut-être deux fois par jour pour le déjeuner et pour le dîner. Et ils soutenaient l’industrie de la restauration. Mais si vous faites cela, vous allez être infecté à plusieurs reprises, et vous n'allez pas pouvoir continuer. Et si vous dites que vous allez réduire considérablement votre consommation ou que vous prévoyez de ne plus aller au restaurant, l’économie ne va pas bien se porter.

BM: Ce que vous avez mentionné, le risque associé aux sorties, a été fait par le directeur du département de médecine interne de l’Université de Californie à San Francisco, ce que j’ai trouvé tout à fait ridicule. Il essaie d’expliquer comment vous pouvez calculer votre risque de sortir.

YB: Mais personne ne le fait parce que s’ils le faisaient, ils seraient mieux informés. Ils auraient déjà été infectés plusieurs fois.

BM: Des rapports récents ont révélé que le CDC a dissimulé des données importantes, des statistiques importantes, sur la pandémie: les données sur les eaux usées, les nouvelles infections, etc. Pouvez-vous commenter?

YB: Je n’ai pas suivi les nouvelles récentes à ce sujet, mais je sais qu’ils retiennent des informations. Et ce n’est pas tout, ils ont sélectionné les données qu’ils ont publiées. Les CDC a publié un rapport sur la gravité d’Omicron que les CDC n’ont pas analysé correctement, c’était évident. Le biais dans leur analyse était manifeste du fait de l’étude dans laquelle ils comparaient des personnes jeunes et en bonne santé à des personnes plus âgées et en moins bonne santé pour comparer la gravité d’Omicron avec des variants précédents.

Je n’ai pas vu l’article récent, qui est sorti hier, je crois. Je n’ai pas regardé les détails, mais cela ne me surprend pas.

BM: Que pouvons-nous attendre des vaccins pour les enfants? De même, serons-nous dépendants des rappels? Va-t-on voir des rappels spécifiques à Omicron?

YB: Des essais sont en cours sur les vaccins spécifiques à Omicron et ils ne fonctionnent pas bien. Ils n’obtiennent pas une bonne réponse. Peut-être trouveront-ils un moyen d’y remédier. Le problème majeur est que la propagation et la différence génétique entre les sous-variants d’Omicron sont très importants. Nous avons déjà évoqué [voir figure 1] le fait que les différences génétiques entre BA.1 et BA.2 sont très importantes. De ce fait, on ne peut s’attendre à ce qu’un vaccin contre l’un soit immunisant contre l’autre.

Figure 1: BA.1, BA.2 contre variants du SRAS-CoV-2. Source : Professeur Yaneer Bar-Yam.

Mais même si vous regardez au sein de BA.1, la propagation de types génétiques différents est considérable. Et la raison pour laquelle elle est si importante est qu’il y a tellement de virus qui continuent à muter. Vous pouvez faire le calcul simple que le nombre de personnes infectées est lié «linéairement» à la divergence dans l’espace génétique.

Mais c’est pire que cela, car lorsque vous avez plusieurs variants, une hybridation peut se produite entre eux. Nous avons récemment entendu parler de combinaisons Delta et Omicron qu’on appelle Delta-Cron. Mais nous pouvons avoir des combinaisons de BA.1 et BA.2 qui sont suffisamment différentes pour avoir de grandes conséquences en raison des grandes possibilités. Mais l’autre aspect est que la vitesse de cette propagation dans l’espace génétique est un élément clé pour déterminer si un vaccin conçu contre Omicron peut procurer une immunité contre [un autre sous-variant] Omicron.

BM: Des nouvelles des vaccins muqueux ou universels contre le coronavirus?

YB: On en parle depuis un certain temps, mais les choses restent encore en développement. L’armée américaine a travaillé à la création d’un vaccin capable de reconnaître plusieurs protéines de pointe.

Nous avons des personnes qui ont une maladie auto-immune à cause de l’infection par le SRAS-CoV-2. Pourquoi? Parce que le virus possède de nombreuses structures différentes du point de vue de notre système immunitaire qui se bat pour détruire le virus. Certaines de ces structures, les protéines, ressemblent à nos protéines humaines. Lorsque nous avons une infection, et que nos cellules immunitaires reconnaissent cette partie du virus, elles vont aussi [potentiellement] attaquer notre corps.

Lorsque vous faites de plus en plus de rappels alors que vous testez de plus en plus de vaccins, les chances que vous créiez de plus en plus de problèmes auto-immuns augmentent considérablement. Aussi, en se propageant, le virus augmente également le risque de se faire infecter par un virus dont la structure est suffisamment similaire aux protéines de votre corps pour déclencher une maladie auto-immune. Je veux dire, c’est déjà le cas, mais ça peut devenir bien pire.

Et cela augmentera la difficulté d’obtenir des vaccins. Vous devez choisir les parties du virus qui n’ont pas les mêmes signatures que notre corps. Et cela peut demander beaucoup plus de temps et de tests pour les découvrir.

BM: Avant de conclure, pouvez-vous nous parler de l’élimination comme stratégie de lutte contre la pandémie. Est-elle encore viable, alors que beaucoup disent que non?

YB: L’une des choses qui n’est pas reconnue, et qui devrait l’être, est qu’il ne s’agit pas d’une confrontation statique, y compris du point de vue de la société. C’est plus facile aujourd’hui de procéder à l’élimination qu’auparavant. La technologie s’améliore. Notre compréhension s’est développée de manière exponentielle. Nous sommes passés des masques en tissu aux masques de haute qualité. Et des masques de haute qualité ont été mis à disposition, mais encore faut-il que nous les utilisions.

Nous comprenons également la nature aérienne de la transmission des maladies, ce qui signifie que nous pouvons améliorer la ventilation. Mettre des purificateurs HEPA partout dans la société est très peu coûteux par rapport à ce que nous subissons. Et c'est vraiment un moyen extrêmement puissant de combattre le virus qui est dans l’air. Si nous filtrons l’air, si nous nettoyons l’air, alors nous avons beaucoup moins de chances d’être infectés et il y a des purificateurs d’air HEPA beaucoup plus puissants et efficaces qui sont disponibles aujourd’hui.

Mais la troisième chose qui est disponible ce sont les tests. Et jusqu’à présent, les tests, la possibilité de faire des tests réguliers était limitée. Il y avait des problèmes d’approvisionnement avec les tests rapides, et il y avait sûrement des problèmes d’approvisionnement avec les tests PCR qui sont aussi plus chers.

Mais aujourd’hui, nous avons une nouvelle possibilité de test qui s’appelle LAMP ou «Amplification isotherme à médiation par boucle» (Loop-mediated isothermal amplification). On utilise cette méthode avec succès pour la détection des virus respiratoires à ARN, notamment le SRAS-CoV-2. Techniquement, elle est aussi précise que les tests PCR, beaucoup moins chère et beaucoup plus facile à réaliser.

C’est possible de réaliser 10.000 tests par jour avec un équipement de la taille d’une mallette. La plupart de ces équipements sont disponibles même dans les laboratoires des lycées. Ce n’est pas compliqué. Et la formation est très facile. En ce qui concerne la chaîne d’approvisionnement, les matériaux sont facilement disponibles, ce qui signifie que nous pourrions monter en puissance très rapidement et effectuer facilement cent millions de tests de laboratoire par semaine.

L’opportunité qui se présente est de mettre en place ce système au niveau communautaire. En ce moment, il y a des communautés en Floride, à Coral Springs, qui les utilisent. Certains services d’incendie l’utilisent pour des tests quotidiens. Et il y a de nombreuses autres communautés qui l’utilisent au niveau des tests quotidiens. Et si vous faites des tests quotidiens, nous constatons que les cas diminuent.

Nous avons fait le calcul. Et en effet, si vous utilisez le test LAMP pour tous les membres d’une communauté, les cas diminuent rapidement, même pour Omicron. Nous pourrions parvenir à l’élimination en utilisant les tests comme principal outil. Nous devrions effectuer des tâches quotidiennes. Vous devez avoir un système par lequel les gens testent, qu’ils fassent des écouvillons nasaux ou, mieux encore, un test de gargarisme.

Vous faites un test de gargarisme, vous crachez dans un tube, et vous le mettez à disposition pour la collecte ou vous l’apportez vous-même à un site de collecte. Les tests sont effectués en une demi-heure environ. Et si vous les faites quotidiennement, vous pouvez rapidement faire baisser le nombre de cas. Vous pouvez réduire de dix fois le nombre de cas par semaine. Donc, en quelques semaines, on peut être très proche de l’élimination. Une fois que vous êtes proche de l’élimination, vous pouvez commencer à assouplir les restrictions.

Une grande partie du problème a été de savoir comment maintenir les infections à un niveau bas. La réponse est que vous pouvez les maintenir à un faible niveau en faisant deux tests par semaine, au lieu de les faire tous les jours. Cela signifie que vous continuez à faire des tests systématiquement. En ce qui concerne les restrictions de voyage, au lieu de longues périodes de quarantaine, on pourrait passer à des tests quotidiens sur une personne. Cela n’a pas besoin d’être aussi perturbant.

Les coûts sont également réduits de manière significative. Un test LAMP pour COVID coûte un dollar. Un dollar par jour et par personne peut contribuer à éliminer le COVID. Si chaque test élémentaire coûte cinq dollars par test, alors vous pouvez regrouper les tests pour quatre ou cinq personnes. En gros, vous devriez le faire par foyers où chacun met ses échantillons dans la même collection. Les tests se trouvent effectués immédiatement et les résultats sont communiqués rapidement.

C’est important que si une personne est testée positive, elle s’isole. Vous ne pouvez pas faire cet isolement de cinq jours à la Mickey Mouse. En fin de compte, l’isolement est le moyen d'arrêter les contaminations. Mais ensuite, c'est réglé. Et si tout le pays adopte cette stratégie, nous n’aurons plus besoin de faire cela plus d’un mois, car après le COVID aura disparu.

Le fait est que nous faisons la même chose depuis deux ans. Nous vivons avec un virus depuis deux ans, même si tout le monde prétend qu’il ne vit pas avec le virus. Et maintenant nous pouvons éliminer le virus sans être enfermés. Bien sûr, si vous faites un confinement, vous vous assurez simplement d’y arriver plus vite.

Nous devrions au moins continuer à utiliser des masques et des purificateurs HEPA. Mais le fait est que la diminution rapide des cas et la robustesse de l’élimination en valent la peine. On a besoin pour cela de quatre à cinq semaines. La limite et le temps ne sont pas les tests ou les confinements. C’est la période d’incubation du virus qui nous limite à ce laps de temps. Et à moins que nous n’ayons un variant qui a une période d’incubation plus longue. Cela serait un désastre plus grave. Car, alors nous ne serions pas en mesure de nous protéger, mais en attendant, si cela tient toujours, nous devrions en profiter. On arrive à l’élimination et ça en vaut clairement la peine.

BM: Je suis tout à fait d'accord.

YB: Pour résumer, on peut faire l’élimination maintenant plus facilement. On doit simplement décider de le faire, et alors nous serons en bien meilleure forme.

BM: Chaque fois que je parle avec vous, j’ai l’impression d’apprendre beaucoup plus. J’apprécie vraiment le temps que vous prenez pour parler de ces questions.

YB: Il y a une dernière chose que je voudrais dire avant de conclure. Avec les avancées dont nous disposons aujourd’hui, nous n’avons pas besoin d’attendre l’action du gouvernement. Les gens dans un réseau social, dans une communauté locale, peuvent prendre la décision eux-mêmes. Et notre objectif, je pense, est vraiment de faire en sorte que les gens et les communautés peuvent devenir habilités à être responsables de leur propre santé.

Car, s’ils prennent en charge leur propre santé, ils ne seront plus dépendants des personnes qui ne se préoccupent pas de leur santé. Et malheureusement, aujourd’hui, les personnes qui sont au gouvernement ne se préoccupent pas de la santé des autres, même si elles se préoccupent de leur propre santé. Les personnes qui disent qu’on doit sortir et prendre des risques ne prennent pas les risques de la même manière. S'ils le faisaient, ils seraient dans la situation sanitaire que connaissent malheureusement de nombreux travailleurs essentiels.

BM: Merci encore, professeur Bar-Yam.

YB: Prenez soin de vous. Bonne nuit.

(Article paru d’abord en anglais le 9 mars 2022)

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