Le NPD s’engage à maintenir le gouvernement Trudeau au pouvoir jusqu’en juin 2025

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a conclu une alliance gouvernementale officielle avec le gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau. En vertu d’un accord négocié en secret et annoncé mardi matin, le NPD s’est engagé à maintenir Trudeau et ses libéraux au pouvoir jusqu’en juin 2025, en votant avec le gouvernement sur tous les budgets, projets de loi sur les dépenses et motions de confiance.

L’«accord de soutien sans participation» entre les libéraux et les néo-démocrates est étayé par une série de mécanismes permettant aux deux partis de déterminer leurs priorités et de concilier leurs désaccords. Cela comprend notamment des réunions régulières entre, respectivement, Trudeau et le chef du NPD, Jagmeet Singh, les leaders parlementaires des deux partis et leurs whips, ainsi qu’une réunion mensuelle d’un «comité de contrôle» composé d’un petit nombre de hauts dirigeants et de cadres supérieurs du parti.

Dans le cadre d’un engagement conjoint à «empêcher les surprises», les libéraux préviendront le NPD de toute question qu’ils souhaitent soumettre comme une question de confiance afin de la mettre en œuvre rapidement. Le NPD, quant à lui, s’est engagé à informer en privé ses partenaires libéraux à l’avance de la façon dont il voterait si les libéraux procédaient ainsi, risquant une défaite au Parlement.

Le nouveau partenariat gouvernemental entre les libéraux, le parti traditionnel préféré de la classe dirigeante canadienne pour le gouvernement national, et le NPD social-démocrate n’est donc pas loin d’un gouvernement de coalition avec des ministres du NPD.

À gauche: Jagmeet Singh lors du congrès de la FTO en 2017 (Wikimedia Commons/Département des communications de la FTO), À droite: Justin Trudeau s’exprime lors d’une conférence de presse à la fin d’un sommet UE-Canada au bâtiment du Conseil européen à Bruxelles, le mardi 15 juin 2021. (AP Photo/Francisco Seco)

Dans des conditions où la pandémie de COVID-19 a énormément exacerbé une crise déjà systémique du capitalisme mondial, où les États-Unis, le Canada et leurs alliés de l’OTAN ont poussé la Russie dans une guerre qui devient rapidement un conflit mondial, et où il y a une recrudescence croissante de la lutte des classes dans le monde, le NPD et ses alliés syndicaux ont à toutes fins utiles rejoint le gouvernement Trudeau.

En annonçant leur alliance gouvernementale lors de conférences de presse distinctes mardi, Trudeau et Singh ont tous deux souligné le besoin de «stabilité politique», dans des conditions de pandémie et de guerre. Trudeau a déclaré que l’accord «signifie» que pendant «cette période d’incertitude, le gouvernement peut fonctionner avec prévisibilité et stabilité, présenter et mettre en oeuvre des budgets et faire avancer les choses pour les Canadiens». Les deux dirigeants, mais surtout Singh, ont également vanté la promesse de l’accord d’une série d’initiatives modestes en matière de dépenses sociales, à commencer par l’introduction échelonnée d’un programme de soins dentaires pour les Canadiens à faible revenu plus tard cette année. La plupart de ces initiatives sont vaguement formulées et reprises de la plateforme électorale libérale de 2021.

Le véritable objectif de l’accord entre les libéraux et les néo-démocrates est de consolider le gouvernement national du Canada afin qu’il puisse résister à l’opposition croissante de la classe ouvrière, alors qu’il s’oriente de plus en plus vers la droite.

Comme ses homologues en Europe et aux États-Unis, l’élite dirigeante capitaliste du Canada utilise la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie pour mettre en œuvre des plans de longue date visant à poursuivre plus agressivement ses intérêts impérialistes sur la scène mondiale, à augmenter considérablement les dépenses militaires et à empoisonner l’environnement politique avec un nationalisme et un chauvinisme anti-Russie et anti-Chine.

Le gouvernement Trudeau a expédié des armes létales en Ukraine, élargi les déploiements militaires du Canada dans les États de l’OTAN limitrophes de la Russie et mis plus de 3.000 soldats supplémentaires en attente de déploiement en Europe. En partenariat étroit avec le gouvernement conservateur néo-thatchérien de Grande-Bretagne, il a été le fer de lance de la campagne de l’OTAN en faveur d’une guerre économique éclair contre la Russie, incluant des sanctions, la saisie des actifs de la banque centrale russe, l’interruption de toutes les importations de pétrole et l’imposition de droits de douane de 35% sur les importations russes.

Le gouvernement libéral a également réaffirmé l’engagement qu’il a pris dans un accord avec Washington, signé en août dernier, de «moderniser» le NORAD, le commandement de la défense aérospatiale et maritime canado-américaine, en vue d’un conflit stratégique avec la Russie et la Chine.

L’agression impérialiste insouciante à l’étranger a été et sera accompagnée d’une intensification de la guerre de classe au pays. Alors même que 6.300 Canadiens de plus ont été tués en janvier et février de cette année par la cinquième vague de la pandémie provoquée par le variant Omicron, le gouvernement libéral s’est plié aux exigences du «convoi de la liberté» d’extrême droite en donnant le feu vert au démantèlement de pratiquement toutes les mesures d’atténuation en lien avec la pandémie et en déclarant la fin de tous les programmes d’aide aux travailleurs.

La guerre de l’OTAN contre la Russie exacerbe déjà les flambées de prix et les pénuries mondiales créées par la politique pandémique désastreuse du «profit avant les vies» des gouvernements capitalistes, et leur injection de milliers de milliards de dollars dans les marchés financiers pour renflouer les grandes entreprises, les riches et les super-riches.

Alors que la guerre continue d’interagir avec la crise économique, la classe dirigeante agira de manière toujours plus impitoyable pour faire porter tout le fardeau des deux sur la classe ouvrière.

Selon le journaliste de la CBC qui, lundi soir, a révélé l’existence de l’alliance imminente entre les libéraux et les néo-démocrates, l’accord est le fruit de discussions qui ont eu lieu au cours des dix derniers jours entre un cercle très étroit de dirigeants libéraux et néo-démocrates, et il était avant tout motivé par les préoccupations relatives aux répercussions de la guerre en Ukraine.

La tâche spécifique du NPD et de ses alliés syndicaux sera d’étouffer les luttes ouvrières, tout en offrant aux libéraux une couverture de «gauche» alors que le gouvernement poursuit l’agression impérialiste et pivote vers une nouvelle austérité et la «croissance de l’économie»: un euphémisme pour une série de politiques favorables aux entreprises, de la déréglementation à la privatisation.

Ce n’est pas un hasard si l’alliance gouvernementale entre les libéraux et les néo-démocrates a été annoncée le jour même où le syndicat des Teamsters a mis fin à la lutte de 3.000 cheminots du Canadien Pacifique et a accepté qu’un arbitre nommé par le gouvernement et favorable aux grandes entreprises dicte leurs conditions d’emploi.

Sans surprise, les syndicats ont salué l’alliance libérale-néo-démocrate. Une déclaration de la plus grande fédération syndicale du pays, le Congrès du travail du Canada (CTC), commence en disant que «les syndicats du Canada célèbrent l’accord historique d’aujourd’hui». Le communiqué cite ensuite la présidente du CTC, Bea Bruske, qui déclare que le CTC et ses sections affiliées «sont impatients de travailler avec le gouvernement et les néo-démocrates» pour mettre en œuvre un «programme politique progressiste». En félicitant les deux partis pour leur alliance contre la classe ouvrière, Unifor, le plus grand syndicat industriel du pays, a fait remarquer qu’il les exhortait depuis longtemps à former un tel partenariat.

Au cours des quatre dernières décennies, les syndicats ont systématiquement étouffé la lutte des classes, permettant à la classe dirigeante d’imposer cycle après cycle d’austérité et de restructuration capitaliste, tout en s’intégrant toujours davantage au patronat et à l’État. Mais ce partenariat corporatiste a atteint un seuil qualitativement nouveau au cours des deux dernières années. Les syndicats et le NPD ont soutenu la mise à disposition de fonds illimités pour les grandes entreprises et l’aristocratie financière au début de la pandémie; ils ont mis en application la volonté de la classe dirigeante de maintenir ouvertes les entreprises non essentielles et les écoles au milieu des vagues successives d’infections et de décès en masse dus à la COVID-19; puis, le mois dernier, ils ont soutenu l’utilisation par le gouvernement Trudeau des pouvoirs d’urgence pour mettre fin au convoi de la liberté d’extrême droite. Maintenant que la crise capitaliste atteint une nouvelle étape avec l’éclatement de la guerre en Europe – une guerre dans laquelle l’impérialisme canadien est un belligérant majeur – les syndicats et le NPD renforcent leur partenariat avec le gouvernement libéral et la classe dirigeante.

Le NPD, tout en prétendant être «pro-paix», a apporté son soutien inconditionnel à la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie. Lors de la conférence de presse de mardi, le chef du NPD a été pressé à plusieurs reprises d’engager le NPD à soutenir une augmentation des dépenses militaires canadiennes, qui passeraient de 1,4% du PIB actuellement à au moins 2% (35 milliards de dollars) dans le prochain budget fédéral.

Cela va dans le sens des appels des médias bourgeois et de divers groupes de réflexion en faveur d’une augmentation massive et permanente des dépenses militaires, et de l’annonce récente de la ministre de la Défense Anita Anand selon laquelle elle a fourni au cabinet de multiples options «agressives» pour augmenter les dépenses militaires à 2% du PIB ou plus.

Singh a esquivé les questions sur la cible minimale de 2% des dépenses en matière de défense de l’OTAN. Il a toutefois réitéré l’appui de longue date du NPD à l’augmentation des dépenses militaires, incluant pour l’achat de nouvelles flottes de navires de guerre et d’avions de chasse. Il a clairement indiqué que le NPD votera en faveur du prochain budget, quelle que soit l’augmentation des dépenses militaires, à condition que les libéraux aillent de l’avant en fournissant une partie de «l’aide aux Canadiens» décrite dans l’accord libéral-néo-démocrate.

Trudeau, qui est parti mardi pour le sommet de la guerre des dirigeants de l’OTAN qui se tiendra jeudi à Bruxelles, a directement déclaré lors d’une conférence de presse que son gouvernement ne se laissera pas décourager par les scrupules que le caucus du NPD pourrait avoir à mettre en œuvre les demandes des grandes entreprises. «Là où il n’y a pas d’accord», a-t-il déclaré, «nous continuerons à faire les choses pour lesquelles le Parti libéral a été élu et nous chercherons à obtenir le soutien d’autres partis si nécessaire pour aller de l’avant.»

Soucieux de contrer les insinuations de certains journalistes selon lesquelles le NPD n’est guère plus qu’une marionnette des libéraux, Singh a répété ad nauseam que son parti «ne cessera jamais de se battre pour les Canadiens». Il a notamment souligné que le NPD n’appuierait pas les tentatives de mettre fin à des conflits de travail par une loi de retour au travail, même si les libéraux choisissaient d’en faire un vote de confiance. Il s’agit là d’une fanfaronnade de la pire espèce. Tout le monde sait que si les libéraux n’avaient pas réussi à convaincre leurs alliés du syndicat des Teamsters d’imposer l’arbitrage exécutoire aux travailleurs du CP et avaient été forcés d’utiliser une loi de retour au travail contre eux, les conservateurs auraient immédiatement fourni au gouvernement l’appui parlementaire nécessaire.

L’annonce de mardi d’une alliance gouvernementale libérale-néo-démocrate soutenue par les syndicats doit servir de leçon bénéfique. Elle met en évidence le fait que la lutte de la classe ouvrière contre la guerre, la pandémie, l’austérité capitaliste et l’assaut sans cesse croissant contre les droits démocratiques ne peut se développer qu’en luttant directement contre les syndicats pro-patronat et leurs alliés du NPD, et en rompant avec eux sur les plans politique et organisationnel.

(Article paru en anglais le 23 mars 2022)

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