Le Parlement allemand débat du budget de guerre

Le budget fédéral 2022 de l’Allemagne, que le cabinet a adopté le 16 mars et qui est actuellement débattu au Bundestag (parlement fédéral), est une déclaration de guerre à la population à plusieurs égards.

Tout d’abord, avec l’augmentation massive (7,3 pour cent) du budget militaire régulier pour atteindre 50,33 milliards d’euros et la création du «Fonds spécial de l’armée allemande» d’un montant de 100 milliards d’euros, la classe dirigeante lance le plus grand réarmement de l’armée allemande depuis Hitler. Pour souligner la véritable dimension de ces plans: il n’y a jamais eu de triplement des dépenses militaires en un an, même à l’époque nazie.

Le chancelier allemand Olaf Scholz (SPD) lors d’une conférence de presse après le sommet de l’OTAN à Bruxelles le 24 mars (AP Photo/Markus Schreiber)

Deuxièmement, c’est la classe ouvrière qui va payer à tous égards le coût du réarmement. Lors de la présentation du budget au Bundestag, le ministre des Finances Christian Lindner (Démocrates libres, FDP) a réclamé à plusieurs reprises un «frein à l’endettement» et «l’assainissement nécessaire des finances publiques». Dans la planification financière, «l’intention est de respecter le frein à l’endettement de la loi fondamentale en 2023 et les années suivantes jusqu’en 2026». Il ne s’agit pas «d’une déclaration d’intention non contraignante, mais d’une exigence de notre constitution».

Les implications de ceci sont claires. Chaque centime versé à l’armée par le biais d’un «budget supplémentaire» planifié sera retiré à la classe ouvrière. Le budget des ministères du Travail et des Affaires sociales diminue de 2,9 pour cent, passant de 164,92 milliards d’euros en 2021 à 160,12 milliards d’euros cette année. Et le budget de l’Éducation sera également réduit de 2,5 pour cent, passant de 20,82 milliards d’euros (2021) à 20,3 milliards d’euros.

Troisièmement, avec des taux d’infection et d’incidence les plus élevés depuis le début de la pandémie, le gouvernement met fin aux dernières mesures de protection contre le COVID-19. Dans sa déclaration gouvernementale de mercredi, le chancelier fédéral Olaf Scholz (sociaux-démocrates, SPD) a déclaré:

«L’économie retrouve lentement son élan et peut traiter les carnets de commandes complets… C’est une bonne chose – également au vu des charges que la guerre en Ukraine apporte et apportera à l’économie. Dans presque tous les pays qui nous entourent, on a maintenant assoupli ou presque entièrement levé les restrictions liées au coronavirus. Le Bundestag a également modifié la semaine dernière la loi sur la protection contre les infections. Elle permet de nouveaux assouplissements».

Cela aussi est sans équivoque. La politique du «profit avant la vie», qui a déjà entraîné près de 130.000 décès rien qu’en Allemagne, est maintenant poursuivie de manière encore plus agressive dans des conditions de guerre. Globalement, le budget de la santé est en légère augmentation, mais les fonds destinés à la lutte contre la pandémie sont massivement réduits. Alors que 8,89 milliards d’euros étaient prévus pour l’achat centralisé de vaccins en 2021, les dépenses de cette année ne s’élèvent qu’à 6,3 milliards d’euros. Les subventions pour la lutte contre le virus chuteront de 4,06 milliards d’euros à 1,9 milliard d’euros.

Quatrièmement, l’armement sert directement à faire la guerre. Dans son discours, Scholz a souligné que l’Allemagne joue déjà un rôle central dans l’offensive de guerre de l’OTAN contre la Russie. «Depuis le début de la guerre, l’Allemagne fournit à l’Ukraine des armes antichars et antiaériennes, des équipements et des munitions», a-t-il déclaré. L’Union européenne fournirait «un milliard d’euros supplémentaires en aide militaire», et «avec nos partenaires internationaux (…) des sanctions qui n’ont rien à envier aux autres».

L’Allemagne est également de plus en plus impliquée dans le renforcement militaire massif de l’OTAN en Europe de l’Est, qui a encore été accéléré lors de la réunion de l’OTAN à Bruxelles jeudi. Ces dernières semaines, le groupement tactique de l’OTAN en Lituanie, dirigé par les forces armées allemandes, a été renforcé par 350 soldats allemands supplémentaires et 100 véhicules et systèmes d’armes. En outre, les forces aériennes ont transféré six chasseurs Eurofighter à la Roumanie et le système de missiles de défense aérienne Patriot à la Slovaquie. L’Allemagne y envoie maintenant 700 soldats supplémentaires et prend la tête d’un autre groupement tactique.

Cinquièmement, la «nouvelle ère» invoquée dans la politique et les médias concerne le retour complet du militarisme allemand. Lors du débat sur le budget, Scholz et d’autres représentants du gouvernement et de l’opposition ont justifié le réarmement en invoquant l’invasion russe en Ukraine. En réalité, ces plans – y compris le «Fonds spécial de l’armée allemande» de 100 milliards d’euros – sont en préparation depuis longtemps dans le dos de la population.

Avec l’encerclement militaire systématique de la Russie, l’OTAN a provoqué l’intervention réactionnaire de Poutine. L’impérialisme allemand l’exploite maintenant pour se rétablir en tant que puissance militaire dominante en Europe et pour militariser le continent sous sa direction. «Nous vivons actuellement la dynamique de la nouvelle ère au niveau européen», a expliqué Scholz. «Nous allons l’utiliser. Si l’on veut assurer la sécurité en Europe, il faut renforcer considérablement la résistance de l’UE aux crises».

Et la ministre de la Défense Christine Lambrecht a affirmé dans on un discours: «Notre objectif est clair: nous avons besoin d’une armée allemande capable d’accomplir sans restriction la tâche classique de la défense de l’État et des alliances». Ce qu’elle entend par là, c’est la capacité de l’armée allemande à mener des opérations «de très grande envergure» et de «haute intensité» sur «l’ensemble du spectre d’intensité», en conformité avec la «doctrine des forces armées allemandes» adoptée en 2018.

Sixièmement, la volonté de guerre – mise de l’avant par le SPD, le FDP et les Verts – est essentiellement soutenue par tous les partis du Bundestag et vient renforcer les forces les plus à droite. Dans son discours, le président d’honneur de l’AfD (extrême droite), Alexander Gauland, s’est réjoui: «Oui, Mesdames et Messieurs, le gouvernement a appris rapidement en matière de sécurité, et 100 milliards d’euros pour l’armée allemande constituent déjà un étonnant apprentissage pour des politiciens qui ont grandi en croyant fermement à une politique étrangère multilatérale et fondée sur des règles».

Lorsque les députés du Bundestag ont critiqué les plans du gouvernement, ils ont visé à organiser le réarmement de manière encore plus agressive et efficace. Ainsi, le président du groupe parlementaire de l’Union chrétienne-démocrate et de l’Union chrétienne sociale, Friedrich Merz a réclamé la création d’un «organe de contrôle approprié afin de s’assurer que le réarmement prévu a bien lieu et que les investissements dans la Bundeswehr [armée allemande] ont bien lieu dans les années à venir».

Le Parti de gauche soutient également la campagne de guerre contre la Russie et est étroitement associé à l’offensive de réarmement par le biais de la commission de la défense et du budget. Fait significatif, les représentants du Parti de gauche ont applaudi à plusieurs reprises le discours de Scholz. Le leader du Parti de gauche, Dietmar Bartsch, a accusé le gouvernement d’être resté silencieux «après le discours du président ukrainien ici au Parlement».

«C’était indigne du gouvernement et du Bundestag allemands», a-t-il ajouté. Dans son discours du 17 mars, Volodymyr Zelensky a réclamé un renforcement du militarisme allemand contre la Russie et l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine.

Septièmement, la politique étrangère de guerre va de pair avec la militarisation de la société à l’intérieur. «Le renforcement de l’alliance et de la capacité de défense ainsi que le respect de la Bundeswehr ne doivent pas seulement se mesurer en termes de titres et de chiffres budgétaires», a exigé le ministre des Finances, Lindner. C’était également important «de rendre aux soldats le respect qu’ils méritent pour s’être mis au service de notre pays».

La classe dirigeante sait que la grande majorité de la population rejette la volonté de faire la guerre. Les horreurs des deux guerres mondiales, de l’Holocauste et de la guerre d’extermination en Europe de l’Est sont trop profondément ancrées dans la conscience populaire. Dans son discours au Bundestag, l’ancien politicien de la défense de l’AfD et ancien colonel de la Bundeswehr, Rüdiger Lucassen, était visiblement en colère. Il a dit: «Un sondage de l’INSA a révélé que seuls trois Allemands sur dix sont prêts à défendre notre pays. Si c’est vrai, l’Allemagne a un problème…»

La seule façon d’arrêter le développement dangereux de la guerre et le retour du militarisme allemand est de mobiliser la classe ouvrière internationale sur la base d’un programme socialiste. C’est crucial de construire un mouvement antiguerre basé sur les principes déjà formulés par le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste, SGP) et le Comité international de la Quatrième Internationale dans la déclaration de 2016 «Le socialisme et la lutte contre la guerre»:

  • La lutte contre la guerre doit être basée sur la classe ouvrière, la grande force révolutionnaire de la société, capable d’unir derrière elle tous les éléments progressistes de la population.
  • Le nouveau mouvement antiguerre doit être anticapitaliste et socialiste, car il ne peut y avoir de lutte sérieuse contre la guerre que dans la lutte pour mettre fin à la dictature du capital financier et au système économique qui est la cause fondamentale du militarisme et de la guerre.
  • Le nouveau mouvement antiguerre doit donc, par nécessité, être complètement et sans équivoque indépendant de, et hostile à, tous les partis et organisations politiques de la classe capitaliste.
  • Le nouveau mouvement antiguerre doit, par-dessus tout, être international, mobilisant la vaste puissance de la classe ouvrière dans une lutte mondiale unifiée contre l’impérialisme.

(Article paru en anglais le 25 mars 2022)

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