Au courant de la semaine passée, la candidate néofasciste Marine Le Pen est montée rapidement dans les sondages, alors que le président sortant Emmanuel Macron chutait rapidement. Le vote Le Pen arrive à environ 21 pour cent, en hausse de 2 à 4 points selon les sondages, celui de Macron chute de 4 pour cent pour s’établir à 27 pour cent.
Il est désormais clair que l’élection d’une présidente française néofasciste est une possibilité réelle, même si le candidat France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon monte aussi dans les sondages, passant de 11 à 15,5 pour cent. Actuellement, face à Macron au second tour, Le Pen remporterait 47,5 des voix selon le dernier sondage Elabe. Dans les sondages précédents, elle était créditée de 45 pour cent des voix dans un second tour face à Macron.
Le résultat de ces sondages a déclenché des spéculations inquiètes dans les milieux dirigeants, à commencer par Macron. De manière absurde, le chef de l’État s’est défendu de toute responsabilité dans la montée de l’extrême-droite en France.
«Je n'ai jamais banalisé le Front national», a déclaré Macron en campagne à Fouras, évoquant l’ancien nom du parti d’extrême-droite de Marine Le Pen, le Rassemblement national. Interrogé par le suite sur une éventuelle victoire électorale néofasciste, il a refusé de commenter «quelque chose qui n’existe pas».
Macron s’est vu démenti par son propre ancien premier ministre, Édouard Philippe. «Bien sûr, Marine Le Pen peut gagner», a déclaré Philippe au Parisien. Il a continué, «Je crains effectivement une forte abstention, qui n’est jamais un signe de bonne santé démocratique.»
Philippe a ajouté que la campagne présidentielle du polémiste d’extrême-droite Eric Zemmour, qui cette semaine a fait scandale en appelant à «exterminer la racaille» en France, aide Le Pen. Philippe a dit, «Je constate également que la très grande agressivité d’Éric Zemmour, le caractère souvent scandaleux de ses propos semblent l’adoucir par comparaison.» Toutefois, il a ajouté: «Si elle gagnait, les choses seraient, croyez-moi, sérieusement différentes pour le pays.»
Les milieux dirigeants économiques ont déjà fait savoir qu’ils estiment que la candidature de Macron est bien plus faible qu’il ne paraît, et qu’ils craignent aussi les conséquences d’une victoire de Le Pen.
Geoffroy Roux de Bézieux a déjà fait savoir que le Medef est prêt à s’accommoder de Mélenchon présiden. Le président de l’organisation patronale a adoubé Mélenchon, «prêt à gouverner» selon Roux de Bézieux, en ajoutant: «Oui, nos désaccords sont profonds. Mais même nos adversaires le reconnaissent: le favori de la gauche pour la présidentielle est prêt à gouverner, avec un programme solide et cohérent».
L’aristocratie financière et le CAC-40 ont suivi de près la politique faite par le parti frère de LFI, Podemos, au pouvoir en Espagne. Podemos a sabré dans les dépenses sociales pour augmenter le budget militaire, fait une politique d’infection de masse pendant la pandémie, et armé massivement les milices néonazies en Ukraine contre la Russie. Le Medef a confiance que Mélenchon maintiendra ce cap vers la droite et lui accorde donc son blanc-seing.
Les dirigeants de LFI, quant à eux, ont fait signe que malgré la montée de leur candidat dans les sondages, ils se campent dans le rôle de force d’appoint à une possible victoire de Macron. Le bras droit de Mélenchon à LFI, Adrien Quatennens, a souligné qu’en cas de second tour Macron-Le Pen, LFI donnerait une consigne masquée de vote pour Macron. «Nous prendrons position», a-t-il déclaré, pour «dire que pas une voix ne doit aller à l’extrême-droite.»
Quatennens a ajouté que la direction de LFI organiserait une «consultation» des membres et partisans de LFI, pour savoir comment essayer de présenter leur appel à voter Macron. Il a toutefois indiqué que LFI craint de ne pas pouvoir influencer ses électeurs, en déclarant: «Les gens feront bien ce qu’ils veulent. Et c’est pourquoi nous allons consulter la base. Pour savoir ce qu'elle entend faire. Mais que ce soit bien clair: le vote RN ne sera pas une option.»
De puissantes réserves d’opposition existent parmi les travailleurs et les jeunes, dirigées à la fois contre Macron et Le Pen. Mais cette opposition ne peut pas trouver d’expression sans rompre le carcan politique que lui imposent des partis réactionnaires de pseudo-gauche comme LFI.
En effet, au second tour Macron-Le Pen aux élections de 2017, les deux-tiers des électeurs LFI étaient hostiles à la fois contre Macron et Le Pen. C’est en faisant appel à cette opposition que le Parti de l’égalité socialiste (PES) a lancé l’appel à un boycott actif du second tour en 2017, et à la construction d’un mouvement politiquement indépendant dans la classe ouvrière contre le candidat vainqueur, quel qu’il soit.
Toutefois, Mélenchon ainsi que le candidat du NPA, Philippe Poutou, ont tous les deux fait savoir, dans un langage voilé similaire à celui de Quatennens en 2022, qu’ils soutiennent Macron. Si leur soutien pour Macron était quelque peu masqué, il n’en était pas moins très réel. Le NPA et LFI ont ensuite isolé la première grande éruption d’opposition sociale à Macron, celle des «gilets jaunes» qui manifestaient pour l’égalité sociale. Macron les a violemment réprimés.
C’est cette opposition ouvrière, non pas une quelconque réticence envers le néofascisme, qui sous-tend les craintes du Medef sur Le Pen. La bourgeoisie, qui a su s’accommoder de l’installation de Pétain en tant que dictateur collaborationniste par le vote de l’Assemblée nationale du 10 juillet 1940 suite à la défaite de la France par la Wehrmacht nazie, s’accommoderait d’une président Le Pen. Mais elle craint les conclusions que tireraient des millions de travailleurs et de jeunes de l’élection d’un président dont l’héritage politique remonte à la collaboration nazie.
En effet, le danger de plus en plus réel de l’installation d’un gouvernement néofasciste ne fait que souligner l’avertissement lancé par le PES en 2017: on ne peut combattre le tournant des élites dirigeantes vers un autoritarisme fascisant à travers les institutions de l’État capitaliste.
Cela nécessite de mobiliser les travailleurs contre le capitalisme et la guerre, indépendamment de toutes les forces politiques qui tentent de les lier à un système capitaliste en perdition.
La présidence de Macron a vu une éruption internationale de la lutte des classes. Les premières grandes grèves depuis des décennies aux USA dans l’automobile, les écoles et les mines, et des luttes comme celles des «gilets jaunes» et du hirak algérien ont lancé une vague de grèves et de manifestations qui secouent à présent tous les continents du monde. Mais LFI, le NPA, et l’appareil de la CGT et leurs homologues à l’international sont allées dans une direction diamétralement opposée à l’entrée explosive des masses en lutte.
L’évolution de l’élite dirigeante, y compris pour ses fractions prétendument «de gauche», a été vers la droite, surtout pendant la pandémie de COVID-19. LFI et ses alliés se sont alignés sur des manifestations anti-pass sanitaire dominées par les néofascistes et hostiles à une lutte scientifique contre la transmission du virus. A présent, ils épaulent tous l’intervention en Ukraine de la France et de l’Otan, qui arment des milices nationalistes d’extrême-droite ukrainiennes contre la Russie.
Lutter contre la guerre impérialiste, l’irresponsabilité sanitaire des États, l’inflation qui ronge les salaires et le danger d’une dictature fascisante exige une rupture irréconciliable avec la pseudo-gauche. Cette lutte, comme au 20e siècle, nécessite la mobilisation internationale et révolutionnaire des travailleurs et des jeunes sur une perspective socialiste. L’alternative trotskyste à la pseudo-gauche est le PES, la section française du Comité international de la IVe Internationale.