Les mécaniciens, les chefs de train et les travailleurs de cour de triage du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP Rail) ont créé le mois dernier le Comité des travailleurs de la base du CP à la suite du sabotage par le syndicat Teamsters de leur lutte pour obtenir des augmentations de salaire et de pension et pour mettre fin aux horaires de travail et aux régimes disciplinaires brutaux du géant ferroviaire.
Cédant aux pressions de l’entreprise et du gouvernement libéral du Canada, les Teamsters ont accepté un processus en vertu duquel un arbitre nommé par le gouvernement dictera les conditions d’emploi des travailleurs de CP Rail, et toute action syndicale sera interdite jusqu’à l’expiration du prochain contrat, dans plusieurs années. Sans aucune consultation, et encore moins un vote, le syndicat des Teamsters a ordonné aux 3000 travailleurs qu’il représente au CP de retourner au travail avant midi, heure locale, le 22 mars, soit 36 heures après le début du débrayage.
Depuis sa création, le Comité des travailleurs de la base du CP est devenu un pôle d’attraction pour les travailleurs qui cherchent à montrer les terribles conditions auxquelles ils sont confrontés dans un environnement de travail dictatorial appliqué par les efforts combinés de la direction du CP, des organismes de réglementation gouvernementaux complices et des syndicats pro-patronat des Teamsters et Unifor.
Le Comité a également obtenu le soutien des travailleurs et de leurs proches qui cherchent à découvrir la vérité sur le déraillement mortel de février 2019 à Field, en Colombie-Britannique, qui a coûté la vie à trois cheminots. Pam Fraser, qui a accordé une longue interview au WSWS sur la lutte de sa famille pour découvrir la vérité sur la façon dont son fils, Dylan Paradis, a été tué, a noté que les Teamsters ont laissé sa famille se battre seule, disant que le syndicat «nous a abandonnés».
La lutte déterminée du Comité contre la connivence des Teamsters avec la direction du CP et le gouvernement libéral pour priver les travailleurs de leurs droits de grève et de négociation collective et pour superviser les conditions de travail dangereuses qui produisent des tragédies comme le déraillement de Field a manifestement fait réagir la bureaucratie syndicale. Ces derniers jours, plusieurs hauts fonctionnaires ont envoyé des messages de colère à l’adresse électronique du Comité.
Après la publication par le WSWS d’un article sur le déraillement fatal de Field, le Comité des travailleurs de la base du CP a reçu des messages belliqueux de bureaucrates syndicaux affirmant que nos critiques à l’égard des syndicats constituent une attaque contre les travailleurs qu’ils prétendent représenter. L’article qui a suscité la réponse la plus agressive était intitulé «Les Teamsters ne feront rien après que l’enquête ait établi la responsabilité du Canadien Pacifique dans le déraillement fatal de Field (C.-B.)». L’article expliquait que la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) avait réagi au rapport accablant du Bureau de la sécurité des transports sur l’accident de Field, en déclarant sa pleine confiance dans le fait que l’organisme de réglementation ferroviaire pro-entreprise et le gouvernement libéral – c’est-à-dire ceux qui sont responsables de superviser le bilan de sécurité désastreux du CP – appliqueront désormais des règles de sécurité plus strictes.
«Lorsque vous faites référence au syndicat», a écrit Steve Keene, un conseiller de la CFTC ayant «plus de quatre décennies d’expérience dans la défense des travailleurs», selon son profil LinkedIn, «vous comprenez sûrement que vous faites référence à tous les travailleurs. Votre article est une déformation méprisable et répréhensible de la position du syndicat pour servir vos propres objectifs politiques. Vous devriez avoir honte.»
Tom Doherty, président législatif de la CFTC pour la province de l’Alberta, s’est emporté contre le Comité. «Vous êtes fous», a-t-il écrit. «Je n’ai aucun problème à dire cela. Ce que vous dites est tellement irrespectueux pour les nombreux membres que nous avons perdus. Vous n’avez même pas vérifié les faits d’une de vos déclarations. La seule raison pour laquelle je prends le temps de répondre est le fait absolument dégoûtant que vous utilisez la perte de trois grandes personnes qui ont perdu la vie dans un incident tragique pour soutenir votre critique folle et blessante. Vous manquez de respect à leur mémoire, à leur famille et à nous qui essayons de faire en sorte que les personnes responsables rendent des comptes. Par votre discours stupide, vous tentez de transformer le récit d’un problème systématique dans l’industrie ferroviaire en une position personnelle et prétendez tout savoir. Ce que vous faites en réalité, c’est nous nuire à tous».
S’il y a quelque chose de «dégoûtant» et de «répréhensible» dans cet épisode, c’est bien le spectacle de bureaucrates syndicaux bien payés, qui fricotent depuis des décennies avec les dirigeants du secteur ferroviaire et les régulateurs gouvernementaux par le biais du système des «relations de travail», traitant de «fous» les travailleurs qui osent critiquer leur bilan et manquant de respect à la mémoire de leurs collègues décédés. Ce qu’ils ne peuvent vraiment pas tolérer, c’est le fait que le Comité des travailleurs de la base du CP, contrairement aux Teamsters corrompus qui fonctionnent comme une police d’entreprise sur le lieu de travail, a créé un forum démocratique permettant aux cheminots de parler librement de la complicité du syndicat dans l’imposition de conditions de travail dangereuses et de mener une véritable lutte pour les améliorer.
L’affirmation de Keene selon laquelle en critiquant le syndicat, le Comité s’attaque à «tous les travailleurs» est un mensonge éhonté et mérite une réponse détaillée. Le fait est que la CFTC, comme tous les syndicats, ne représente plus les travailleurs. Au cours des quatre dernières décennies, les syndicats ont été essentiellement transformés en des agences de la direction des entreprises et de l’appareil d’État qui promeuvent le nationalisme pour diviser les travailleurs. Ils ne sont guère plus qu’une mafia du travail, servant les intérêts d’une couche privilégiée de bureaucrates à la recherche de postes bien rémunérés au sein de comités, de conseils de pension et d’autres institutions pro-patronat. Ce que cette couche sociale de la classe moyenne craint par-dessus tout, et cela se reflète dans le vitriol avec lequel Keene et Doherty fulminent contre le Comité, c’est que les travailleurs puissent rejeter le poison nationaliste et pro-patronat des syndicats et former des organisations indépendantes pour unifier leurs luttes avec les travailleurs au niveau international contre le système de profit capitaliste.
Pendant des années, la CFTC a servi d’homme de main aux exploitants ferroviaires pour l’application brutale du régime PCR (Precision Scheduled Railroading), qui a entraîné des risques pour les travailleurs et le public jamais vus depuis les conditions de travail esclavagistes du 19e siècle.
Les syndicats ont saboté toute lutte véritable des travailleurs, en faisant passer à toute vitesse un contrat chargé de concessions après l’autre.
Les investisseurs étaient tellement convaincus que l’acceptation par la CFTC d’un arbitrage contraignant au CP Rail produirait un résultat favorable aux entreprises que le cours de l’action a bondi de 2,1 % immédiatement après l’annonce de l’accord d’arbitrage du mois dernier.
Le recours à un arbitre nommé par l’État et favorable aux entreprises pour déterminer les «conventions collectives» des travailleurs est devenu la procédure d’exploitation standard des Teamsters. Huit des neuf conflits de travail les plus récents au CP ont été «résolus» par l’arbitrage, ce qui permet de s’assurer que la politique des profits avant la sécurité des chemins de fer demeure entièrement intacte. Et dans presque tous les cas, le syndicat lui-même a sanctionné, sinon accueilli favorablement, l’arbitrage exécutoire.
Chez l’autre compagnie ferroviaire de marchandises de classe 1 au Canada, le Canadien National (CN), le syndicat Teamsters a la même habitude d’imposer des reculs et des suppressions d’emplois aux travailleurs et de se plier aux lois gouvernementales de retour au travail. En 2014, les travailleurs ont rejeté à deux reprises des accords approuvés par le syndicat. Pourtant, la CFTC a sabordé une grève avant même qu’elle ne se mette en branle, après que le gouvernement conservateur de Harper ait menacé d’adopter une loi anti-grève et un contrat imposé par un arbitre nommé par les conservateurs.
En 2019, sous la pression du gouvernement libéral dirigé par Trudeau, la CFTC s’est empressée de mettre fin à une grève de sept jours au CN. Le syndicat a abandonné plusieurs des principales revendications des travailleurs autour des conditions de travail dangereuses. La fin précipitée de la grève a évité au «partenaire» gouvernemental des Teamsters d’avoir à imposer une loi de retour au travail, ce qui aurait nui à l’image «progressiste» des libéraux que la bureaucratie syndicale fait tant pour cultiver.
Le bilan des Teamsters sur les chemins de fer canadiens est le bilan d’une organisation qui est amèrement hostile aux travailleurs de la base et qui cherche avant tout à défendre les intérêts matériels des bureaucrates privilégiés en étouffant la lutte des classes. Ces intérêts sont intimement liés à la rentabilité des exploitants ferroviaires et, plus largement, des entreprises canadiennes, ce qui explique pourquoi les syndicats sont les principaux pourvoyeurs d’un nationalisme canadien nauséabond.
La franche hostilité des syndicats envers les travailleurs est un phénomène international. En février, lorsque 17.000 mécaniciens et chefs de train de la compagnie ferroviaire BNSF, aux États-Unis, ont voté la grève en raison de la nouvelle politique punitive d’assiduité «Hi Viz», un juge fédéral a émis une injonction pour briser la grève, au mépris des droits démocratiques et même contractuels des travailleurs. La politique de présence, imposée unilatéralement par l’entreprise le 1er février, est si brutale qu’au moins 1000 travailleurs ont démissionné depuis son application. Pourtant, les syndicats impliqués dans la lutte, le syndicat Sheet Metal Air Rail Transportation-Transportation Division (SMART-TD) et la Brotherhood of Locomotive Engineers and Trainmen (BLET) – une division des Teamsters – ont fait respecter l’injonction antidémocratique.
Le Comité des travailleurs de la base du CP se bat pour mettre fin à la domination des chemins de fer nord-américains par la grande entreprise en luttant pour unifier les cheminots canadiens, américains et mexicains dans une rébellion contre les conditions de vie dangereuses supervisées par l’alliance tripartite des dirigeants d’entreprise, des bureaucrates syndicaux et des organismes de réglementation gouvernementaux.
Le fait que cette lutte ait provoqué l’indignation de hauts fonctionnaires des Teamsters devrait être un gage de fierté pour les membres du Comité et prouve qu’ils sont sur la bonne voie. La tâche urgente consiste maintenant à étendre l’influence du comité parmi les travailleurs des chemins de fer privés et parmi des sections plus larges de la classe ouvrière, qui sont tous confrontés à une bande de patrons, de bureaucrates syndicaux et de fonctionnaires déterminés à accroître l’exploitation des travailleurs afin d’augmenter les profits des entreprises.
Nous appelons tous les travailleurs qui souhaitent se joindre à notre lutte à envoyer un courriel au comité des travailleurs de la base du CP à cpworkersrfc@gmail.com.
(Article paru en anglais le 24 avril 2022)