LFI cherche à s’allier au PS: Mélenchon tourne le dos à ses électeurs

Après avoir reçu 22 pour cent des voix au premier tour des présidentielles, la France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon ouvre des négociations avec le Parti socialiste (PS). Ce retour vers un parti discrédité du patronat, qui a toujours renié dans les faits les références cyniques au socialisme qu’il faisait à des fins électoralistes, constitue un avertissement: Mélenchon essaie non pas de mobiliser ses électeurs, mais de les emmener vers la droite.

Jean-Luc Mélenchon à Marseille, le 11 mai 2019 (AP Photo/Claude Paris)

Mardi, LFI et le PS se sont rencontrés au siège de LFI pour trouver un accord aux élections législatives des 12 et 19 juin 2022. Le Conseil national du PS avait adopté au préalable une résolution comprenant toutes les forces qu’il appelait «de gauche», avant de suspendre les négociations hier. LFI, elle, négocie avec le PS alors qu’elle propose de bâtir une «Union populaire» avec Europe Ecologie-Les Verts (EELV), un parti qui soutient ouvertement Macron, mais aussi le PCF stalinien et le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot.

La décision de LFI de chercher une alliance avec le PS confirme à nouveau que les manœuvres de Mélenchon sont dénuées de principes. Face au second tour Macron-Marine Le Pen, le Parti de l’égalité socialiste (PES), section française du Comité international de la IVe Internationale (CIQI), a appelé les travailleurs et les jeunes à boycotter une élection frauduleuse entre deux candidats d’extrême-droite. Le PES a expliqué qu’un refus irréconciliable des deux candidats préparerait au mieux les travailleurs pour les luttes à venir contre le prochain président.

Mélenchon s’est déjà déclaré ouvert, avant le second tour des présidentielles, à servir de premier ministre, que ce soit sous la présidence de Macron ou de Le Pen. « Je demande aux Français de m’élire premier ministre » en votant une « majorité d’Insoumis » aux législatives, a-t-il déclaré à Bruce Toussaint sur BFM-TV le 19 avril. Interrogé par Toussaint, Mélenchon a précisé que la question de savoir s’il servirait Macron ou Le Pen était « secondaire ».

LFI tourne le dos à son électorat jeune et ouvrier, pour se vautrer dans des manœuvres avec le PS, qui a suspendu les négociations avec LFI alors que d’importantes fractions du PS dénoncent LFI en tant que menace aux intérêts de l’Union européenne et du capitalisme européen.

L’ex-président PS François Hollande, si détesté des électeurs qu’il n’a même pas osé se représenter pour un second mandat en 2017, a indiqué des réserves sur une alliance PS-LFI. Il a affirmé que « le Parti socialiste doit être fidèle à sa propre histoire ». Ce que LFI propose, a-t-il prétendu, « C’est une remise en cause de l’histoire même du socialisme ».

Hollande a indiqué que toute alliance PS-LFI serait fondée sur une répudiation des promesses faites par LFI dans son programme. « Si les programmes sont faits pour être appliqués », a-t-il dit, « ça voudrait dire que le prochain gouvernement serait amené à (…) désobéir aux traités européens? Le prochain gouvernement, s’il était constitué, s’il avait une majorité, serait amené à quitter l’OTAN ? A ne plus aider les Ukrainiens en leur fournissant des équipements militaires ?»

L’ex-premier ministre PS Lionel Jospin, qui s’est retiré de la vie publique après avoir été éliminé au second tour des présidentielles en 2002 au profit de Jean-Marie Le Pen, a adopté une posture plus conciliatrice dans une entrevue au Parisien. Sur Mélenchon, Jospin a déclaré que son « devoir est de rassembler », mais qu’il est « pas sûr que certaines thématiques et le style de La France insoumise soient majoritaires à gauche ». Néanmoins, Jospin a invité le PS à trouver « un accord électoral avec toute la gauche ».

Jospin a souligné sa crainte face à l’effondrement du PS et des gaullistes, les partis qui ont structuré la vie politique française après la grève générale de Mai 68. Les candidates social-démocrate et gaulliste, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse ont été toutes deux éliminées avec moins de 5 pour cent des voix.

« Emmanuel Macron a agrégé derrière lui un conglomérat hétéroclite et sans identité claire. Il a tout fait pour que se reproduise le face-à-face ultime avec l’extrême-droite qu’il jugeait plus aisée à vaincre », a dit Jospin, qui s’est dit inquiet de la « déstructuration de notre système politique ». Il a ajouté, « L'abstention est considérable et l’extrême droite a encore progressé. Les deux partis qui, à droite et à gauche, structuraient hier le débat citoyen et offraient au pays l’alternance ont été marginalisés ».

Jospin exprime les calculs cyniques d’une fraction du PS qui veut utiliser le score de LFI pour se refaire une virginité politique et stabiliser une élite dirigeante déconsidérée. En effet, le Premier secrétaire du PS Olivier Faure donne des arguments similaires. Critiqué mardi soir lors d’un bureau national par une minorité du PS sur sa tentative d’union avec LFI, il a dit que l’alliance avec LFI est le seul moyen d’éviter que le PS soit aspiré par le parti de Macron, La République en Marche.

Faure a dit, « Si vous pensez que le PS est mort, qu’il n’y a plus rien à faire, que vous n’appartenez plus à la gauche, alors partez. Rejoignez La République en marche. Sinon restez et battez-vous avec nous. Ça nous changera ».

Les arguments de Faure sont des mensonges venant d’un parti qui impose l’austérité et la guerre aux travailleurs depuis quatre décennies. Ils veulent de faire oublier aux électeurs, entre autres, la présidence réactionnaire de Hollande, les décrets anti-ouvriers de sa loi El Khomri, l’état d’urgence qu’il a imposé et son pillage de la société dans les intérêts des banques. La question qui se pose n’est pas ce que fait le PS, mais plutôt : pourquoi LFI participe-t-elle à cette mascarade ?

Le PES a expliqué que LFI est, objectivement, dans une position puissante. Forte de son vote dans les quartiers ouvriers des grandes villes, LFI a tous les moyens pour mobiliser des masses de travailleurs dans des grèves contre un gouvernement mal élu dans un vote de barrage contre Le Pen, et contre la hausse des prix et la guerre de l’OTAN contre la Russie. De telles grèves pourraient non seulement ébranler et stopper l’économie française, mais initier une lutte internationale de la classe ouvrière contre le danger de guerre.

Mais LFI, un parti petit-bourgeois basé dans les milieux universitaires et les appareils syndicaux, refuse d’entamer une lutte contre l’impérialisme. Il rejette la perspective trotskyste du PES, préférant le nationalisme de sa conception d’une « révolution citoyenne » et « l’ère du peuple », cherchant un accord parlementaire avec le PS. Au lieu de mobiliser ses électeurs contre la guerre et l’austérité, LFI les pousse à prendre pour de l’argent comptant les promesses cyniques du PS.

Manuel Bompard, représentant LFI qui mène les discussions avec le PS, a salué des discussions « positives » avec le porte-parole du PS Pierre Jouvet. « On n’avait pas l’impression de discuter avec le même PS qu’il y a deux-trois ans », a dit Bompard, pour qui il n’y avait « pas de point de discussion qui paraissait insurmontable » avec le PS « sur la retraite ou la question européenne».

Bompard a ajouté que le PS tente de faire oublier aux électeurs les politiques qu’il a menées au pouvoir: «Il y a clairement une volonté d’afficher une rupture avec le PS de François Hollande, ils n’avaient pas de difficulté à s’engager sur l’abrogation de la loi El Khomri, sur la VIe République, le blocage des prix, qui sont pour nous des marqueurs importants».

Ainsi, la députée LFI Mathilde Panot parlant à Sud Radio a fait passer la stratégie d’alliances de LFI dans les législatives : « Nous pouvons utiliser ces élections législatives, qui, par ailleurs, sont une manière de renverser aussi la monarchie présidentielle dans laquelle nous vivons pour mettre Jean-Luc Mélenchon à Matignon, mais pas seulement pour mettre Jean-Luc Mélenchon à Matignon, mais pour appliquer réellement le programme ».

L’idée véhiculée par LFI selon laquelle elle pourrait appliquer un programme progressiste sous une présidence Macron ou Le Pen est un autre mensonge politique. Cet argument, qui endort la classe ouvrière face au danger de guerre et de dictature d’extrême-droite, vise surtout à rassembler tous les soutiens de l’ancienne Union de la gauche formée entre le PS et le PCF en 1972, pour bloquer un mouvement des travailleurs et des jeunes vers la gauche.

En effet, Jospin et Mélenchon travaillent depuis longtemps pour rassembler les forces staliniennes et social-démocrates afin d’échafauder des gouvernements bourgeois et d’attaquer les travailleurs.

Ils ont tous deux commencé en politique dans l'Organisation communiste internationaliste (OCI) de Pierre Lambert alors qu'elle rompait avec le CIQI, dont la section française est aujourd'hui le PES. Après cette rupture avec le CIQI et avec le trotskysme en 1971, l’OCI a rallié l’Union de la gauche. Jospin et Mélenchon ont tous deux milité dans l’OCI et dans le PS, devenant proches du président François Mitterrand. Jospin est devenu premier ministre et Mélenchon ministre du gouvernement de la Gauche plurielle de 1997-2002 dont l’impopularité a provoqué l’élimination de Jospin en 2002.

Un avertissement clair et net doit être fait par rapport au « bloc populaire » que Mélenchon veut construire avec le PS. Ce n’est pas un mouvement révolutionnaire, socialiste, ou ouvrier, mais un bloc petit-bourgeois sans principes visant à stabiliser le gouvernement. Pour les travailleurs et les jeunes, la tâche urgente est de rompre avec des partis petit-bourgeois de la pseudo-gauche comme LFI, et de construire le PES en tant qu’alternative trotskyste à la poussée de la bourgeoisie vers la guerre, l’extrême-droite, et l’austérité.

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