Après avoir déclaré son appui à l’AFL-CIO et au Parti démocrate

Le syndicat est rejeté chez Amazon lors d’un vote dans un deuxième entrepôt

Christian Smalls, à droite, le président du syndicat des travailleurs d’Amazon (ALU), et le sénateur Bernie Sanders (indépendant, Vermont), à gauche, lors d’un rassemblement devant un établissement Amazon à Staten Island, à New York, le dimanche 24 avril 2022 (AP Photo/Seth Wenig)

Les travailleurs du centre de tri LDJ5 d’Amazon dans l’arrondissement new-yorkais de Staten Island ont voté pour rejeter l’Amazon Labor Union (ALU), selon les totaux des votes publiés lundi après-midi. Le résultat final est de 380 voix contre 610, sur un effectif d’environ 1.600 personnes.

Ce vote constitue un rapide retournement de situation pour le nouveau syndicat. Il a lieu à peine un mois après sa campagne de syndicalisation réussie et très médiatisée à JFK8, un établissement beaucoup plus grand situé en face de LDJ5. Le président de l’ALU, Chris Smalls, et d’autres responsables de l’ALU ont tenté de limiter les dégâts après le vote, déclarant que la lutte à LDJ5 «n’était pas terminée» et en indiquant qu’ils allaient contester le résultat parce qu’Amazon avait intimidé les travailleurs.

Le résultat a clairement pris par surprise non seulement l’ALU, mais aussi les médias bourgeois et le Parti démocrate. Après le résultat de JFK8, les principaux démocrates, des groupes de pseudogauche tels que les Socialistes démocrates d’Amérique et même les journaux bourgeois, y compris le Washington Postqui appartient à Jeff Bezos, ont salué Smalls, un ancien superviseur de JFK8 licencié en 2020 pour avoir organisé des protestations contre le manque de protections COVID-19, le décrivant comme le leader d’une nouvelle vague du mouvement ouvrier.

La motivation derrière ce soutien mur à mur, cependant, n’était pas innocente. La bureaucratie corrompue de l’AFL-CIO espérait utiliser l’ALU comme un moyen d’étayer sa propre crédibilité en lambeaux. Quant aux démocrates, y compris le président Biden, leur soutien à l’ALU découle de leur stratégie qui consistait à utiliser les services des syndicats procapitalistes et proguerres afin de détourner l’opposition explosive de la classe ouvrière vers des canaux inoffensifs et officiellement sanctionnés.

L’adoption de l’ALU est intervenue alors que cette stratégie commençait à rencontrer de sérieuses difficultés. Le succès du vote à JFK8 a été annoncé au même moment où échouait, pour une deuxième fois, la tentative de syndiquer l’entrepôt d’Amazon à Bessemer, en Alabama, par le syndicat mieux établi du Retail, Wholesale and Department Store Union (RWDSU).

Le rejet massif du RWDSU lors du premier vote de l’année dernière, malgré une mobilisation nationale du Parti démocrate et un soutien personnel de Biden lui-même, a clairement constitué un choc. Il a démontré à quel point les syndicats – qui, pendant des décennies ont trahi à maintes reprises, tout en maintenant en enrichissement personnel effréné par leur possession d’actions, les pots-de-vin et le détournement de l’argent des cotisations des travailleurs – sont isolés et méprisés par la classe ouvrière.

En même temps, le soutien accordé aux syndicats par les démocrates – un parti capitaliste qui a depuis longtemps abandonné tout programme de réforme sociale et qui fonctionne aujourd’hui comme un parti qui réunit Wall Street, l’armée et à une partie de la classe moyenne supérieure privilégiée – non seulement n’a eu aucun effet, mais pourrait bien avoir discrédité davantage le syndicat aux yeux des travailleurs.

Lors du JFK8, l’ALU a pu attirer une certaine couche de soutien en se présentant comme différent des syndicats établis. Contrairement au refus catégorique du RWDSU de formuler des revendications, l’ALU a affirmé qu’elle se battrait pour un salaire de départ de 30 dollars de l’heure, de meilleures conditions de travail et un service de navette gratuit pour se rendre au travail. Pendant ce temps, l’ALU reçoit relativement peu de soutien ouvert du Parti démocrate. Cela a occasionnellement suscité des critiques de Smalls, y compris de politiciens démocrates de «gauche» comme le sénateur Bernie Sanders et la députée Alexandria Ocasio-Cortez, redorant davantage ses titres de personnalité «anti-establishment».

Cependant, immédiatement après le résultat à JFK8, l’ALU s’est déplacé à une vitesse record dans les bras des démocrates et de la bureaucratie syndicale. Smalls a fait un voyage à Washington DC où il a serré la main du président des Teamsters, Sean O’Brien, et de la présidente de l’Association of Flight Attendants, Sara Nelson. La photo de Smalls avec O’Brien, un gangster notoire qui a été sanctionné en 2014 pour avoir menacé de s’en prendre physiquement à ses opposants au sein du syndicat, a été largement diffusée et critiquée, ce qui a forcé Smalls à défendre sa visite sur les médias sociaux.

La bureaucratie syndicale a également inondé l’ALU de promesses de soutien financier et institutionnel. La présidente de la Fédération américaine des enseignants, Randi Weingarten, qui a mené une offensive contre l’opposition de ses propres membres à la réouverture des écoles en pleine pandémie, a promis des centaines de milliers de dollars pour aider l’ALU à acheter des bureaux. «Les grands syndicats vont nous soutenir, et c’est tout ce que nous demandons: des ressources, des bureaux, de l’argent, tout ce qu’il faut, de la main-d’œuvre, des fonds de grève, des avocats, des négociateurs», a déclaré Smalls.

Smalls a également fait le tour des chaînes de télévision câblées, donnant des interviews partout, du droitier Tucker Carlson à Trevor Noah du «Daily Show». Dans le même temps, l’ALU a rapidement abandonné les revendications qu’elle avait formulées au cours de sa campagne à JFK8. De toute façon, il n’a jamais indiqué comment il comptait gagner ces revendications.

La campagne de la LDJ5 était beaucoup plus orientée vers ce soutien institutionnel croissant. Une paire de rassemblements organisés le dimanche précédant le début du scrutin a vu la participation de Sanders, Ocasio-Cortez, Weingarten et d’autres hauts responsables syndicaux, mais pratiquement aucun travailleur. On n’a même pas informé les travailleurs de LDJ5 de l’événement, qui a de toute façon eu lieu en dehors des changements d’équipe réguliers. Le rassemblement ressemblait à ceux que le RWDSU avait organisés lors de sa campagne de syndicalisation infructueuse à Bessemer.

La tentative d’utiliser l’ALU comme une couverture volontaire pour la bureaucratie et les démocrates semble maintenant s’être retournée contre le syndicat de manière spectaculaire. En effet, c’est exactement le contraire qui s’est produit: l’ALU a réussi à se discréditer en quelques semaines à peine par son association avec ces couches. Chaque pas en direction de la bureaucratie et du Parti démocrate était un pas qui s’éloignait des travailleurs.

L’ALU et ses bailleurs de fonds semblent avoir largement surestimé son soutien parmi les travailleurs d’Amazon qui, dans la mesure où il existe encore, reste très conditionnel et ténu. Le syndicat a remporté le vote à JFK8 à 55 voix contre 45, avec un taux de participation légèrement supérieur à 50 pour cent. Seuls 2.654 travailleurs sur un effectif estimé à 8.300, soit 32 pour cent des électeurs éligibles, ont voté pour l’ALU. Le soutien de l’ALU parmi les travailleurs de JFK8 est beaucoup plus modéré que la réponse enthousiaste du magazine Jacobinet d’autres publications de la pseudogauche, et il dépendra des actions de l’ALU et si elles sont à la hauteur de ses promesses pendant la campagne de syndicalisation.

Déjà, il y a des tentatives d’attribuer le résultat à une campagne antisyndicale renforcée d’Amazon à LDJ5, y compris par l’utilisation d’agents de l’entreprise dans l’atelier pour répandre des calomnies sur Smalls et l’ALU. Des affirmations similaires avaient été répandues à la suite du résultat de 2021 à Bessemer, où la défaite écrasante avait été attribuée à une boîte aux lettres située sur la propriété d’Amazon et utilisée pour recueillir les bulletins de vote. Le National Labor Relations Board (NLRB) a jugé que cela avait entaché les «conditions de laboratoire» du vote et a ordonné un nouveau vote. Mais cela n’a abouti qu’à une deuxième défaite cette année, par une avance un peu plus faible, mais avec un taux de participation nettement inférieur.

En supposant que les allégations de tactiques sournoises de la part d’Amazon soient vraies, et il n’y a aucune raison d’en douter, c’est un fait que les syndicats ont été construits en Amérique au 19e et au début du 20e siècle face à l’opposition violente des patrons capitalistes qui employaient des espions industriels et des voyous armés pour arrêter et assassiner les organisateurs syndicaux. Ils étaient soutenus par l’État capitaliste, qui émettait des injonctions judiciaires, procédait à des arrestations massives et mobilisait des forces militaires pour écraser les grèves et briser les syndicats. Mais aujourd’hui, l’ALU et les syndicats dans leur ensemble ont le soutien de sections puissantes de l’establishment politique, y compris la Maison-Blanche et le NLRB. En effet, Amazon conteste le résultat de JFK8 au motif qu’un fonctionnaire local du NLRB a interféré au nom de l’ALU.

Les syndicats des premières décennies du 20e siècle se sont construits par des luttes semi-insurrectionnelles de la classe ouvrière contre l’exploitation et la violence de l’État capitaliste. Les syndicats d’aujourd’hui sont totalement intégrés à la fois au patronat et à l’État. Ils appliquent conjointement l’exploitation et dirigent tous leurs efforts pour réprimer et perturber la lutte des classes. Ils sont incapables et même effrayés de lancer le moindre appel aux travailleurs.

Le vote est une débâcle non seulement pour l’ALU lui-même, mais aussi pour l’ensemble de ce cadre syndical dirigé par l’État. Bien que ce dernier a été utilisé avec succès pendant des décennies par la classe dirigeante pour empêcher toute contestation de la base, le rejet de l’ALU démontre l’aliénation de la classe ouvrière vis-à-vis de la bureaucratie et son désir de trouver une avenue véritablement indépendante. Ce processus est maintenant à un stade très avancé.

Les travailleurs ne trouveront pas cette voie à travers l’ALU ou une formation «syndicale démocratique» similaire. De nouveaux types d’organisations sont nécessaires, des comités d’usine et d’entrepôt de la base, capables d’unir les travailleurs à l’intérieur et à l’extérieur des syndicats et de leur fournir les moyens de lutter non seulement contre les attaques de la direction mais aussi contre les trahisons de la bureaucratie syndicale.

(Article paru en anglais le 4 mai 2022)

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