Élections en Ontario: Victoire des conservateurs dans un effondrement de l’appui pour tous les partis de l’establishment

Le premier ministre ontarien Doug Ford et ses progressistes-conservateurs (PC) ont remporté par défaut les élections générales de jeudi dans la province la plus peuplée du Canada.

Ce qui a surtout caractérisé cette élection, c’est le dégoût et l’aliénation de la population à l’égard de l’ensemble de l’establishment politique.

La participation électorale s’est effondrée, puisque le pourcentage d’Ontariens qui ont voté a chuté d’un quart, passant de 57% en 2018 à un creux historique de 43,5%.

Le premier ministre de l’Ontario Doug Ford vantant la levée de toutes les mesures sanitaires restantes contre la COVID-19, en mars 2022 (Photo: SCFP) [Photo: CUPE]

Ford a augmenté sa majorité parlementaire de 76 à 83, même si son parti a perdu des centaines de milliers de voix.

La capacité de Ford à remporter une victoire électorale après avoir imposé pendant quatre ans une austérité impitoyable, des attaques contre les droits des travailleurs et une politique d’infection et de mort massives durant la pandémie est une condamnation dévastatrice des partis d’opposition néo-démocrate (NPD) et libéral et, surtout, de la bureaucratie syndicale.

La première année et les huit mois du mandat de Ford, avant le déclenchement de la pandémie de COVID-19, ont été caractérisés par une opposition sociale croissante, laissant entrevoir la perspective imminente d’un choc frontal entre la classe ouvrière et le populiste de droite Ford et son gouvernement déterminé à faire la guerre aux travailleurs. Mais les syndicats, tant à l’époque que pendant la pandémie, ont systématiquement réprimé toutes les luttes ouvrières. Ils ont prétendu que la réponse aux attaques de Ford n’était pas la mobilisation de la classe ouvrière dans la lutte industrielle et politique, mais l’élection d’un «gouvernement progressiste» le 2 juin 2022. La Fédération du travail de l’Ontario (FTO) avait même une horloge à rebours en haut de sa page d’accueil qui était censée mesurer les jours, les heures, les minutes et les secondes jusqu’à l’élection d’un «gouvernement progressiste» de droite, qu’il soit libéral ou néo-démocrate.

Cette politique a renforcé la main de Ford et de la classe dirigeante dans son ensemble, comme l’illustre le résultat des élections de jeudi.

Les néo-démocrates, l’opposition officielle, ont subi une débâcle électorale. Ils ont obtenu 31 sièges, en baisse par rapport aux 40 qu’ils avaient remportés en 2018. Les sociaux-démocrates ont perdu au profit des conservateurs des sièges qu’ils détenaient depuis longtemps et qui appartenaient majoritairement à la classe ouvrière, fréquemment dans des régions où les conservateurs ont traditionnellement fait figure d’outsiders. Le NPD a perdu le siège de Timmins, dans le nord de l’Ontario, qu’il détenait depuis plus de trois décennies, un siège dans la ville industrielle de Hamilton, et deux des trois sièges qu’il détenait à Windsor, le centre de l’industrie automobile canadienne.

L’effondrement du vote du NPD, tant en pourcentage qu’en termes réels, est encore plus frappant. La part du NPD dans le vote populaire a chuté de 10 points de pourcentage, passant de 33% lors de la dernière élection à seulement 23% en 2022.

Le nombre total de votes du NPD est passé de 1,92 million en 2018 à seulement 1,11 million jeudi: une baisse de 40%.

Alors que le NPD a subi l’effondrement le plus brutal du soutien populaire, la véritable histoire de l’élection de jeudi a été la répudiation populaire des trois partis principaux.

Le taux de participation a chuté de façon spectaculaire, exprimant le manque de confiance de larges sections de travailleurs envers l’ensemble de l’establishment politique et ses promesses électorales bidon. Dans le contexte de la guerre contre la Russie, de l’inflation galopante, de la pandémie qui fait rage et des attaques constantes contre les travailleurs et les dépenses publiques, le système politique sclérosé du Canada s’est révélé totalement imperméable aux préoccupations des travailleurs.

Dans le but d’intimider les travailleurs, les médias tentent de présenter le résultat des élections de jeudi comme un appui massif à Ford et à son gouvernement progressiste-conservateur. Mais la part de 40,8% des votes exprimés par les 43,5% de l’électorat qui se sont rendus aux urnes signifie que les conservateurs ont en réalité obtenu le soutien de moins d’un électeur potentiel sur cinq (17,5%).

Le total des voix des conservateurs, soit 1,91 million, est inférieur à celui que le NPD a récolté en 2018, lorsqu’il avait obtenu 1,92 million de voix et terminé loin derrière.

Les libéraux de l’Ontario ont également subi une déroute jeudi, ne remportant que huit sièges dans l’Assemblée législative provinciale de 124 membres. Il s’agit d’un gain d’un seul par rapport à leur défaite historique de 2018, lorsqu’ils ont été chassés du pouvoir après 15 ans de mise en œuvre d’une austérité axée sur les dépenses sociales et de réductions d’impôts pour les grandes entreprises et les riches. Comme en 2018, les libéraux n’ont même pas réussi à obtenir le statut de parti officiel à l’Assemblée législative, et le chef du parti Stephen Del Duca n’a pas réussi à reconquérir le siège de la région de Toronto qu’il avait perdu il y a quatre ans. Bien que le vote libéral ait augmenté en termes de pourcentage, dépassant celui du NPD d’une fraction de point de pourcentage, son vote total est égal à celui qu’il a obtenu en 2018, lors de la pire raclée électorale de son histoire.

Un peu plus de deux heures après la fermeture des bureaux de vote, Del Duca et la chef du NPD de l’Ontario, Andrea Horwath, ont tous deux annoncé qu’ils démissionnaient de leur poste de chef de leur parti respectif.

Le résultat des élections en Ontario est une réprimande cinglante de l’alliance «progressiste» entre les syndicats, le NPD et les libéraux. Il survient deux mois à peine après que cette alliance ait été formalisée comme jamais auparavant au niveau fédéral, par un accord de «confiance et d’approvisionnement»soutenu par les syndicats entre les libéraux du premier ministre Justin Trudeau et le NPD. Présenté comme un moyen de «fournir» des mesures progressistes aux Canadiens et d’assurer la «stabilité politique» en période de turbulence, l’accord est en fait un engagement du NPD et de la bureaucratie syndicale à soutenir le gouvernement minoritaire de Trudeau jusqu’en juin 2025, alors qu’il fait la guerre à la Russie, augmente massivement les dépenses militaires, impose une austérité «post-pandémique» et supervise des réductions des salaires réels des travailleurs dues à l’inflation.

Le gouvernement Ford réélu sera confronté à une classe ouvrière de plus en plus radicalisée

Les élections de jeudi se sont déroulées dans un contexte de recrudescence spectaculaire de la lutte des classes à travers le Canada. Poussés par une inflation galopante et des décennies de stagnation salariale présidée par les syndicats, les travailleurs de CP Rail, les travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick et d’autres ont mené des luttes déterminées au cours des derniers mois. Quarante mille travailleurs de la construction de l’Ontario ont débrayépendant la campagne électorale pour exiger des augmentations de salaire qui suivent l’inflation et des améliorations à la sécurité au travail. Les principaux syndicats de la construction, dont la Labourers Industrial Union of North America et l’International Union of Operating Engineers, ont veillé à ce que les grévistes restent isolés sur le piquet de grève et ont clairement manifesté leur hostilité aux revendications des travailleurs en faisant campagne pour un vote en faveur des conservateurs de Ford.

Le NPD et les syndicats qui le soutiennent se sont montrés tout à fait incapables de faire appel à la colère populaire des travailleurs. Cela est dû au fait que ces organisations ont abandonné toute association avec la défense des intérêts des travailleurs au cours des quatre dernières décennies, et ont passé les quatre dernières années à étouffer l’opposition au programme anti-ouvrier de Ford. Les masses de travailleurs le reconnaissent de plus en plus, comme le montre l’incapacité du NPD à faire des gains contre les progressistes-conservateurs, largement méprisés, et les pertes du parti dans ses foyers traditionnels du nord et du sud-ouest de l’Ontario.

La transformation des syndicats et du NPD en défenseurs de l’austérité pour les travailleurs et en alliés clés des libéraux pro-guerre a permis à Ford, homme d’affaires millionnaire et partisan de Trump, de se faire passer frauduleusement pour un «homme du peuple» et le porte-parole des «citoyens ordinaires». Lors de la célébration de sa victoire jeudi soir, Ford a déclaré: «Si vous êtes un mineur du Nord qui est sans emploi, je veux que vous sachiez que nous construisons cette route vers le Cercle de feu. Si vous vous inquiétez de votre emploi à l’usine automobile locale, je veux que vous sachiez que nous investissons dans l’avenir du secteur automobile de l’Ontario. Si vous êtes un étudiant qui veut travailler dans le secteur de la technologie, nous aurons un emploi pour vous.»

Tout cela n’est que foutaise. L’une des premières mesures prises par Ford après son arrivée au pouvoir en 2018 a été de criminaliser une grève des assistants d’enseignement des étudiants diplômés mal payés de l’Université York. Au cours de son premier mandat, il a imposé un plafond salarial de 1% par an sur trois ans à plus d’un million de travailleurs du secteur public, a éliminé 10.000 postes d’enseignants par des coupes budgétaires et a saccagé les normes du travail et l’aide financière aux étudiants du postsecondaire. En étroite collaboration avec le gouvernement fédéral Trudeau et Unifor, Ford a versé des centaines de millions de dollars en subventions aux trois constructeurs automobiles de Detroit pour aider ces entreprises très rentables à payer la transition vers la production de véhicules électriques, ce qui a entraîné l’élimination de milliers d’emplois à l’usine GM d’Oshawa et à l’usine Stellantis de Windsor. Il a invoqué l’antidémocratique «clause dérogatoire» pour imposer des changements au financement électoral.

Mais l’hostilité du gouvernement Ford envers les travailleurs a surtout été incarnée par sa réponse à la pandémie de COVID-19. Suivant l’exemple des libéraux de Trudeau, Ford a mis en œuvre une politique de «profits avant la vie» fondée sur la sauvegarde des intérêts des sociétés au détriment de la sécurité et de la vie même des travailleurs. Les entreprises des secteurs de la fabrication, de la construction, de l’automobile et d’autres secteurs ont été déclarées «essentielles» par Ford afin qu’elles puissent être exclues de tout confinement, ce qui a obligé les travailleurs à travailler dans des conditions dangereuses pendant toute la durée de la pandémie. Avec le soutien des syndicats, Ford a contraint les enseignants à retourner en classe sans pratiquement aucune protection, contribuant ainsi à alimenter les vagues successives d’infections mortelles.

Ces politiques ont officiellement coûté la vie à plus de 13.200 Ontariens. La décision de son gouvernement de s’attaquer au régime d’inspection provincial des établissements de soins de longue durée à la fin de 2018 s’est avérée mortelle, alors que des milliers de résidents âgés ont succombé à la COVID-19 dans des conditions horribles dans des foyers manquant de personnel et de ressources.

L’évolution de Ford, qui est passé d’aspirant Trump en 2018 à une figure maintenant vantée par les médias bourgeois comme un leader «adouci et plus sage», témoigne du net virage à droite qui a eu lieu au sein de la politique canadienne officielle au cours des quatre dernières années. La capacité de Ford à promouvoir les intérêts des grandes entreprises ontariennes et de l’oligarchie financière de Toronto a entraîné un changement important dans la façon dont les sections clés de l’élite dirigeante du Canada le considèrent. Trudeau a développé une relation de travail étroite avec Ford, notamment sur la politique en matière de pandémie et les négociations commerciales avec les États-Unis. Le Globe and Mail, le porte-parole de l’élite de Bay Street, a titré son éditorial post-électoral: «Le Doug Ford de 2018 n’aurait jamais pu gagner une élection en 2022. Mais il a changé.»

Ce qui a en fait «changé», c’est le ralliement d’une grande partie de la section libérale traditionnelle de la classe dirigeante, ainsi que d’importantes sections de la classe moyenne privilégiée, derrière le programme d’austérité impitoyable de Ford et les attaques contre les droits des travailleurs et les droits démocratiques. Cela inclut une faction minoritaire au sein de la bureaucratie syndicale, composée principalement de syndicats du secteur de la construction, qui a explicitement fait campagne pour la réélection de Ford.

Les mois et les années à venir placeront les travailleurs de l’Ontario dans un conflit direct avec Ford et son gouvernement, qui se sont engagés à intensifier leur régime de faibles impôts sur les sociétés et d’austérité des dépenses publiques. Malgré la solide majorité parlementaire des conservateurs, le nouveau gouvernement ontarien sera un régime en crise, qui s’efforcera d’imposer son programme pro-patronal à une classe ouvrière de plus en plus radicalisée qui commence à se libérer du carcan politique que lui ont imposé les syndicats et le NPD au cours des quatre dernières décennies. Tout dépendra du développement d’une direction socialiste pour guider les luttes à venir de la classe ouvrière, ce qui pose avec une urgence renouvelée la construction du Parti de l’égalité socialiste en tant que parti socialiste de masse de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 3 juin 2022)

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