Les législatives produisent une défaite pour Macron et un parlement instable, sans majorité

La coalition Ensemble du président Emmanuel Macron n'a pas réussi à obtenir la majorité à l'Assemblée lors du second tour des élections législatives hier. Ce résultat, qui intervient dans un contexte de grèves et de luttes contre l'inflation, est une défaite cuisante pour Macron. C'est la première fois depuis 1988 que le parti du président n'a pas réussi à obtenir une majorité absolue de 289 sièges à l'Assemblée, qui en compte 577, lors d'élections législatives qui suivaient une élection présidentielle.

Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur ce matin, Ensemble a remporté 246 sièges, la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (NUPES) de Jean-Luc Mélenchon 142, le Rassemblement national (RN) néo-fasciste de Marine Le Pen 89, et Les Républicains (LR) 64. L'abstention a atteint un niveau record de 54 pour cent.

Macron a proposé un programme anti-ouvrier pour relever l'âge de la retraite à 65 ans, obliger les bénéficiaires du RSA à travailler et à augmenter les frais d'inscription à l'université. Sur fond de grèves dans les aéroports, les hôpitaux, le transport routier et les transports en commun contre la flambée des prix, le résultat a été un désastre.

Des poids-lourds d'Ensemble ont subi des défaites humiliantes. L'ancien ministre de l'Intérieur et président du groupe parlementaire de la République en Marche (LREM) de Macron, Christophe Castaner, a perdu face au candidat NUPES Léo Walter dans les Alpes-de-Haute-Provence. L'ancien président de l'Assemblée nationale et leader de LREM Richard Ferrand a été battu dans le Finistère.

Plusieurs ministres du gouvernement provisoire installé par Macron après les présidentielles du 24 avril n'ont pas pu se faire réélire. La ministre de la Santé Brigitte Bourguignon, la ministre de la Mer Justine Benin et la ministre de l'Écologie Amélie de Montchalin ont toutes été éliminées et devront quitter le gouvernement. Le Premier ministre Elisabeth Borne a remporté de justesse sa réélection avec 52 pour cent face à un jeune inconnu de la NUPES, Noé Gauchard.

L'ancien ministre de la Santé, Olivier Véran, a déclaré à TF1 que malgré son échec à obtenir une majorité, M. Macron continuerait à faire passer ses coupes sociales. « Nous allons construire très vite une majorité pour qu'elle devienne absolue à l'Assemblée nationale », a-t-il dit avant d'ajouter: « d'autres groupes nous permettront d'obtenir le quota de voix suffisant pour présenter les réformes et faire adopter les textes. »

Le président du groupe parlementaire LR, Christian Jacob, a annoncé hier soir que ses députés ne soutiendraient Macron. 'Pour ce qui nous concerne, nous avons fait campagne dans l’opposition, nous sommes dans l’opposition, nous resterons dans l’opposition', a dit Jacob.

Mélenchon, dont la coalition NUPES est désormais le principal parti d'opposition parlementaire, a déclaré que la « débâcle du parti présidentiel » était « totale. »

Mélenchon a répété son argument selon lequel la France serait désormais polarisée en trois camps, entre les 'libéraux' de Macron, l'extrême droite, et son propre parti « populaire ». Il a déclaré : « La France s'est exprimée, insuffisamment il faut le dire, car les niveaux d'abstention sont encore beaucoup trop élevés, ce qui signifie qu'une grande partie de la France ne sait pas vers qui se tourner, et les trois blocs sont à des niveaux similaires. »

Il reproche à Macron de ne pas avoir appelé clairement à voter pour la NUPES contre les candidats du RN, et d'avoir ainsi aidé le RN à atteindre son score record: « Mais c’est l’échec de la macronie, l’échec moral de ceux qui donnaient des leçons à tout le monde, ajoute le leader de LFI. Ils ont renforcé les rangs du RN. Les donneurs de leçon de la macronie ont été incapables de donner une consigne claire dans 52 cas, ce qui les disqualifie dorénavant à faire des leçons de morale pour qui que ce soit. »

Mélenchon a remporté un large vote en s'engageant à ramener l'âge de la retraite à 60 ans, à bloquer les prix et à s'opposer à Macron. Cependant, on voit aussi que toute sa perspective pour les élections législatives, qui gardait le silence sur la lutte des classes et ne faisant aucune tentative pour mobiliser ses millions d'électeurs ouvriers dans des manifestations ou des grèves, a échoué. Mélenchon avait même déclaré qu'il pourrait imposer son programme social en remportant la majorité de l'Assemblée et en devenant Premier ministre.

Alors que les sondages ont toujours montré que le NUPES n'obtiendrait pas une majorité, Mélenchon a affirmé que ses actions parlementaires pourraient stopper les coupes budgétaires de Macron et imposer un gouvernement progressiste.

Le parlement sans majorité révèle l'escalade rapide des tensions politiques en France et à l'international. Elle laisse présager une crise prolongée, alors que Macron s'efforce de rallier le soutien à son programme, peut-être de la part de LR ou de la NUPES de Mélenchon. Dans le même temps, la classe dirigeante met d'énormes efforts pour mettre en avant les néo-fascistes et les officiers qui ont appelé au déploiement de l'armée en France pour mener la répression intérieure.

Le Pen a salué le groupe parlementaire de son RN, notant qu'il est « de loin le plus nombreux de l’histoire de notre famille politique. ... Le peuple a décidé d’envoyer un très puissant groupe parlementaire de députés du Rassemblement national à l’Assemblée ». Elle a déclaré sans détour qu'elle compte prendre le pouvoir après la fin du mandat de Macron.

Traitant les députés RN d' « avant-garde de la nouvelle élite politique qui prendra le pouvoir quand l'aventure Macron aura pris fin », elle a dit: « Nous avons atteint les trois objectifs que nous nous étions fixés. Faire d'Emmanuel Macron un président minoritaire, ... poursuivre la recomposition politique indispensable, ... et constituer un groupe d'opposition déterminant face aux déconstructeurs d'en haut, les macronistes, et les déconstructeurs d'en bas, cette extrême gauche antirépublicaine. »

Le parlement sans majorité, l'effondrement du parti de Macron et la croissance rapide à la fois de l'extrême droite et du parti de Mélenchon sont autant d'avertissements de la montée de conflits politiques et de classe irréconciliables.

La France et toute l'OTAN font la guerre à la Russie en Ukraine, et Macron a appelé à réquisitionner l'industrie et à imposer une ' économie de guerre ' aux travailleurs. En même temps, l'explosion de l'inflation provoque une recrudescence des luttes de classe. Des grèves nationales du secteur public ont eu lieu en Tunisie et en Italie, des grèves similaires auront lieu au Maroc et en Belgique aujourd'hui, et les aéroports sont en grève dans toute l'Europe. En France, routiers et travailleurs des transports préparent une vague de grèves au cours des deux prochaines semaines.

Le fait que Mélenchon n'ait pas appelé à des manifestations ou à devenir Premier ministre, comme il l'avait annoncé, doit être considéré comme un avertissement. Sur fond de montée explosive de la lutte des classes en France et en Europe, la bourgeoisie met en avant des figures sécuritaires comme Macron et des partisans de la répression d'extrême-droite comme Le Pen. Mélenchon lui-même, qui est resté silencieux sur les menaces de coup d'État du général Pierre de Villiers et de son entourage, n'a tracé aucune perspective claire pour mobiliser une lutte contre eux.

Au contraire, lorsque Macron s'est rendu à Kiev pour mettre la France dans une 'économie de guerre' etpoursuivre la guerre avec la Russie, Mélenchon l'a soutenu. Il a dità France Bleu : « Je commence d’abord par m’associer à son message de solidarité avec l’Ukraine. Je l’ai fait pendant toute la campagne présidentielle, et je trouve bien que le président de la République française rappelle de quel côté sont les Français, tous, sans exception. » Cette capitulation devant la guerre de Macron prépare le terrain pour une capitulation à Macron sur toute la ligne.

La solution à la crise croissante du capitalisme ne sera pas trouvée dans le parlement français, ou dans les manœuvres de Mélenchon et des syndicats français, mais dans la lutte des classes. Un mouvement de grève puissant et croissant s'oppose à l'appauvrissement de masse par l'inflation et au danger croissant d'une guerre totale entre les grandes puissances nucléaires.

La voie à suivre est de clarifier au sein de ce mouvement en développement la nécessité de l'unification internationale de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste et pour un transfert socialiste du pouvoir d'Etat à la classe ouvrière.

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