Le Sénat américain adopte la loi «CHIPS and Science» pour renforcer l’industrie technologique américaine face à la Chine

Le Sénat américain a adopté mercredi un projet de loi bipartisan qui engage 280 milliards de dollars sur cinq ans en faveur de l’industrie américaine des semi-conducteurs et la recherche scientifique dans plusieurs disciplines stratégiques de haute technologie. Le vote en faveur de ce financement, par 64 voix contre 33, a exprimé l’unité des démocrates et des républicains en faveur de l’intensification de l’agression économique et militaire des États-Unis contre la Chine.

La législation, appelée la Loi sur les puces et la science (CHIPS and Science Act), fournira 52 milliards de dollars de subventions et de crédits d’impôt aux fabricants de puces pour qu’ils développent ou construisent de nouvelles installations aux États-Unis et 200 milliards de dollars pour la recherche sur l’intelligence artificielle, la robotique et l’informatique quantique ainsi que d’autres technologies.

Dix-sept républicains ont voté avec 47 démocrates pour adopter le projet de loi et le transmettre à la Chambre, où la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, a déclaré qu’il serait adopté rapidement. Le président Biden a déclaré que la loi CHIPS and Science était une priorité absolue de l’administration et qu’il la signerait dès que possible.

L’alliance des démocrates et des républicains a soutenu un projet de loi qui exprime directement les objectifs de politique intérieure et étrangère de l’establishment dirigeant américain en vue d’un conflit de grande puissance avec la Chine.

Le chef de la majorité du Sénat, Charles Schumer (démocrate, New York), qui travaille sur ce projet de loi depuis trois ans, a déclaré que les entreprises de semi-conducteurs pouvaient se débrouiller «seules» dans les années 1970 et 1980. Il a ajouté: «Mais au XXIe siècle, avec des pays comme la Chine et l’Allemagne qui investissent massivement, nous pourrions rester sur la touche et qui serait perdant? Les travailleurs américains, la domination économique américaine et notre sécurité nationale».

Chuck Schumer, leader de la majorité au Sénat (AP Photo/Jose Luis Magana)

La référence de Schumer aux travailleurs américains est, bien sûr, entièrement cynique. Il sait très bien que les investissements massifs dans les industries de haute technologie américaines profiteront aux entreprises américaines et au Pentagone, et non à la classe ouvrière. Un approvisionnement fiable en semi-conducteurs avancés est nécessaire pour les fabricants de systèmes d’armes de haute technologie et «intelligents», ainsi que pour l’industrie automobile et l’industrie informatique en général.

L’adoption du projet de loi au Sénat ne s’est pas faite sans le marchandage typique de Washington. Afin d’obtenir l’aval du chef de la minorité sénatoriale Mitch McConnell (républicain, Kentucky), les démocrates ont été contraints d’abandonner tout effort qui vise à annuler les réductions d’impôts républicaines qui ont été signées par le président de l’époque, Donald Trump, en 2017. Il y a également eu des négociations avec le démocrate de droite Joe Manchin (Virginie-Occidentale), qui a soutenu McConnell sur le maintien des réductions d’impôts de Trump qui ont remis des milliers de milliards aux couches les plus riches de la société américaine.

Le seul démocrate qui s’est opposé au projet de loi, le sénateur «indépendant» Bernie Sanders du Vermont, l’a qualifié de don à une industrie déjà énormément rentable. Sanders a été rejoint par des républicains de droite comme le sénateur Rick Scott (républicain, Floride), qui a qualifié l’enveloppe de «l’un des cadeaux les plus grossiers aux entreprises américaines que j’ai jamais vus».

Sanders a également critiqué l’industrie des semi-conducteurs du point de vue du nationalisme économique en déclarant: «Toute entreprise qui est prête à aller à l’étranger, qui a ignoré les besoins du peuple américain, dira ensuite au Congrès: “Hé, si vous voulez que nous restions ici, vous feriez mieux de nous faire la charité”».

Dans une déclaration, Biden a affirmé que le projet de loi était une réponse à l’état de l’économie américaine et à l’inflation croissante. Pour en venir à l’objectif stratégique de la mesure bipartisane, le président américain a déclaré qu’elle améliorerait «les chaînes d’approvisionnement américaines, afin que nous ne soyons plus aussi dépendants des pays étrangers pour les technologies essentielles dont nous avons besoin pour les consommateurs américains et la sécurité nationale».

À la Maison-Blanche, la secrétaire d’État au commerce, Gina Raimondo, a exprimé les inquiétudes largement répandues dans les cercles dirigeants, selon lesquelles l’industrie technologique américaine aurait cédé sa place de leader aux Chinois. Elle a déclaré que la part des États-Unis dans la fabrication mondiale de puces était passée de 40 à 12 pour cent et que les puces les plus avancées étaient toutes fabriquées à Taïwan.

Raimondo a déclaré que les États-Unis n’avaient «pratiquement rien» investi dans le secteur de la fabrication des semi-conducteurs, contrairement à la Chine, qui a dépensé 150 milliards de dollars pour sa capacité nationale. Le gouvernement a dû accorder des subventions, a-t-elle ajouté, afin de concurrencer les autres pays et d’inciter les entreprises à développer leurs installations de production.

Le projet de loi contient également des dispositions qui interdisent à toute entreprise recevant des fonds américains de construire des usines de fabrication en Chine «ou dans tout autre pays préoccupant» pendant les dix années suivant l’acceptation des subventions.

Le sénateur Roger Wicker (républicain, Mississippi) a déclaré que l’objectif du projet de loi était la «suprématie technologique» des États-Unis sur la Chine. Exprimant l’élément de peur et de désespoir qui sous-tend l’insouciance derrière la campagne d’hégémonie militaire et économique mondiale des États-Unis, Wicker a déclaré: «Malheureusement, à l’heure actuelle, nous ne sommes pas aux commandes d’une série de technologies importantes. C’est la Chine qui l’est. La Chine et d’autres nations dominent de plus en plus l’innovation technologique, ce qui constitue une menace massive non seulement pour notre économie, mais aussi pour notre sécurité nationale».

Parmi les entreprises qui feront la queue pour obtenir un financement gouvernemental figurent Intel Corp, Taiwan Semiconductor Manufacturing Co, Global Foundries, Micron Technology et Applied Materials. Le marché mondial des semi-conducteurs a atteint 556 milliards de dollars en 2021, les entreprises américaines en contrôlant environ 46 pour cent, soit 258 milliards de dollars.

À bien des égards, l’industrie des semi-conducteurs exprime le caractère intégré de l’économie mondiale et la dépendance de la société moderne vis-à-vis des systèmes fondamentaux qui rendent possibles les communications électroniques et les technologies numériques. Chaque segment de l’économie ainsi que la vie quotidienne de milliards de personnes sur terre dépendent de plus en plus du développement, de l’approvisionnement et de la production de ces puces de plus en plus miniaturisées.

Toute tentative d’inverser le processus internationalisé qui a donné naissance à ces technologies, en ramenant la production à l’intérieur des frontières d’une seule nation, est une entreprise profondément réactionnaire et catastrophique. Cependant, c’est précisément la direction que l’impérialisme américain doit suivre pour enrayer son déclin historique et subordonner l’ensemble de l’économie mondiale à ses intérêts hégémoniques.

(Article paru en anglais le 28 juillet 2022)

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