Les travailleurs de Rolls-Royce dénoncent les concessions exigées par la multinationale

Mercredi dernier le 10 août, des reporters du WSWS ont participé à une manifestation des travailleurs de l’usine Rolls-Royce à Montréal. Ces derniers ont été mis en lock-out par la compagnie le 15 mars dernier, le jour même où ils votaient à 94% en faveur d’une grève. Malgré l’intransigeance de l’entreprise, les travailleurs sont déterminés à lutter pour préserver leurs acquis et améliorer leur niveau de vie face à l’inflation galopante et la montée des inégalités sociales.

Les reporters du WSWS ont pu s’entretenir avec des travailleurs afin d’en connaître davantage sur le conflit de travail et discuter des enjeux politiques plus larges auxquels ils sont confrontés dans leur lutte. Des travailleurs ont aussi parlé du climat malsain qui règne à l’usine, lequel s’est détérioré depuis la pandémie.

Nos reporters ont expliqué la nécessité pour les travailleurs de retirer le contrôle de la lutte des mains des appareils syndicaux et de bâtir un comité de la base pour que les travailleurs établissent leurs propres demandes et étendent la lutte à d’autres sections de la classe ouvrière. Ils ont entre autres discuté de la campagne du travailleur de l’automobile Will Lehman pour la présidence de l’UAW (syndicat national de l’auto) aux États-Unis, et de la nécessité pour les travailleurs au Canada de soutenir sa candidature, qui est fondée sur la lutte pour unir les travailleurs au-delà des frontières.

Jean-Philippe, un inspecteur de moteur, piquetait avec une collègue ayant une quinzaine d’années d’expérience. Il a expliqué l’impact de l’élimination du régime de pension à prestations déterminées. «Un représentant nous dit que ça va entraîner une perte de 125.000 dollars en moyenne par travailleur au moment de prendre sa retraite. Le travailleur moyen qui a juste 10 ans d’ancienneté ici, c’est lui qui va perdre le plus». Il a dénoncé les concessions exigées aux travailleurs pendant que la compagnie «fait des profits de 538 millions, juste à l’usine ici».

Sa collègue a ajouté que pendant la pandémie, l’usine a fait «deux années record. Ils nous ont déclarés travailleurs essentiels, mais là, ça fait cinq mois qu’ils n’ont plus besoin de nous». Faisant référence aux moteurs entretenus à l’usine pour les avions privés de gens riches et célèbres, Jean-Philippe a renchéri: «C’était essentiel d’enrichir les gens qui sont riches puis qui veulent se rendre à Bora-Bora». Il a ajouté: «Le conflit a pu perdurer aussi longtemps pendant 5 mois, grâce à l’argent que l’entreprise a obtenu durant la pandémie. C’est l’argent de tous les travailleurs qui sert à cette compagnie pour qu’elle continue d’appauvrir les travailleurs, ça n’a aucun sens», a-t-il conclu.

La travailleuse nous a expliqué que la compagnie a profité de la pandémie pour accroître l’exploitation des ouvriers. «Maintenant, ils ne veulent plus permettre de flexibilité dans nos horaires ni de conciliation travail-famille. Maintenant, c’est des horaires fixes obligatoires, c’est complètement différent. C’est notre convention collective qu’ils sont en train de bafouer». Elle a poursuivi en disant: «Nous étions censés avoir un bonus de performance de production pour l’année 2021, mais la direction ne nous l’a jamais donné avant de nous mettre en lock-out. Ils nous ont donc enlevé nos bonus, coupé nos assurances personnelles, les assurances-vie et les assurances dentaires, ils ont tout coupé. Ils ne m’ont pas payé mes vacances dues pour 2021. Est-ce que l’on peut appeler ça du vol? C’est mon salaire de 2021 qui n’a pas été payé.»

Elle a aussi vivement dénoncé la récente installation de 33 caméras pour surveiller leurs faits et gestes. «En aéronautique, les caméras ne sont habituellement pas permises par Transports Canada, car le risque d’erreur est très élevé. C’est un stress supplémentaire. Je n’ai pas besoin de ce stress de savoir que mon boss me surveille toutes les deux minutes. Il y a même une caméra qui pointe sur le clavier d’ordinateur que j’utilise pour entrer mes mots de passe.»

Jean-Philippe a aussi parlé de la poursuite intentée par Rolls-Royce contre 150 employés qui ont manifesté dans un parc apparemment trop près de la résidence d’un gestionnaire. «La compagnie a envoyé des lettres par huissier à la maison pour outrage au tribunal, au moins 150. Pour avoir fait du piquetage dans un parc public! Je pensais qu’au Québec on avait le droit de manifester pacifiquement.»

Edno et Pierre se sont entretenus avec le WSWS lors de la manifestation du 10 août.

Edno (inspecteur de moteur) et Pierre (machiniste) ont aussi parlé au WSWS. Edno a affirmé qu’ «en aéronautique, si on fait une mauvaise job, on peut tuer 300 personnes. Nous avons de grosses responsabilités. Nous ne sommes pas ici pour jouer, mais parce que nous sommes responsables. Notre métier a de la valeur.»

Il a ensuite expliqué qu’avec le nouveau régime, «les travailleurs vont perdre de 10.000 à 15.000 dollars par année pour leur retraite. J’ai douze ans d’expérience dans la compagnie ici et même si je vais perdre, je ne vais pas perdre autant que certains de mes collègues qui ont moins d’ancienneté. C’est pour eux que je me bats.»

Pierre a pour sa part mentionné que les caméras ont été installées après que les travailleurs ont commencé à faire de brèves manifestations par tranche de 10-15 minutes à l’intérieur de l’usine pendant les quarts de travail. «Nous avions voté pour un bloc d’actions de grèves de 24h, et le syndicat prenait des minutes dans ce bloc pour faire des actions». Il a ensuite dit qu’«en plus des caméras, ils ont fait entrer des agents de sécurité qui nous surveillaient. Ils prenaient des photos, ils nous filmaient.»

Edno ne pouvait s’expliquer les inégalités évidentes entre les gestionnaires de Rolls-Royce et les ouvriers. «En Angleterre, ils ont donné 3 millions de livres sterling au gestionnaire qui partait. Pourquoi est-ce qu’ils ont de l’argent pour ces gens-là, mais pas pour nous qui faisons rouler la machine? Durant la pandémie, 70% de notre salaire était payé par le gouvernement. La compagnie n’a pas perdu d’argent. En plus, ils n’ont pas payé nos bonus et ils n’ont pas payé nos semaines de vacances. C’est mon argent, c’est illégal»!

Edno a affirmé que «les syndicats devraient faire une grève générale à travers le Canada. Tous les syndicats dans les toutes les compagnies devraient sortir en grève. Là, ça va changer!» Lorsque les reporters du WSWS ont expliqué pourquoi les syndicats refusent de lutter sérieusement pour défendre leurs membres, les deux travailleurs ont commenté que «le syndicat est devenu une business».

Au cours de la discussion sur les inégalités sociales et les parallèles historiques avec la période de la Révolution française à la fin du 18e siècle, Pierre a dit: «J’avais lu un article sur les nouvelles monarchies fondées sur des fortunes qui se bâtissent sur des générations. C’est le top du 1% et nous sommes leurs sujets et on leur fait faire toujours plus d’argent. C’est un balancier qui est en train de revenir. C’est ces petites monarchies-là qui tirent les ficelles et disent au gouvernement quoi faire.»

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