Rolls-Royce maintient ses 530 employés de Montréal en lock-out depuis 5 mois

Le lock-out des travailleurs de l’usine Rolls-Royce à Montréal, déclenché le 15 mars dernier par la compagnie le jour même où les travailleurs votaient à 94% en faveur d’une grève, se poursuit sur fond de vives tensions. «Ils nous ont enlevé nos bonus, coupé nos assurances personnelles, les assurances-vie et les assurances dentaires, ils ont tout coupé», a expliqué une travailleuse à des reporters du WSWS lors d’une manifestation tenue le 10 août dernier.

Les quelque 530 machinistes et ouvriers spécialisés dans l’entretien de moteurs d’avion ont rejeté à 95% une première offre patronale le 11 mai dernier. À la fin juillet, le Syndicat des travailleurs et travailleuses de Rolls-Royce Canada (STTRRC), affilié à la Centrale des syndicats nationaux (CSN), a présenté à ses membres une seconde offre patronale tout aussi pourrie, qui a été refusée à 75%. La compagnie mise sur l’essoufflement des travailleurs, dont la lutte a été isolée par la CSN, pour imposer des reculs majeurs à ses employés.

Rolls-Royce est une multinationale britannique spécialisée dans la fabrication de voitures de luxe et de moteurs aéronautiques civils et militaires. En 2021, elle avait des revenus de plus de 13 milliards US$, dont 4 milliards provenant de contrats militaires avec les États-Unis pour «les prochaines décennies». Au Canada, Rolls-Royce a des partenariats à long terme avec le gouvernement. Cela inclut, à travers sa branche Defence Aerospace, des contrats avec le ministère de la Défense nationale et l'Aviation royale du Canada.

Un enjeu majeur du présent conflit à Montréal est l’intransigeance de l’entreprise qui veut étendre à tous les travailleurs l’assaut massif sur les pensions qui a déjà été imposé, avec la complicité syndicale, aux employés embauchés après le 24 mars 2013 – l’élimination du régime de retraite à prestationsdéterminées et son remplacement par un régime à cotisationsdéterminées, ce qui permet de transférer la majorité des risques financiers de la compagnie aux employés.

Des travailleurs de Rolls-Royce ont expliqué au WSWS qu’un tel changement pourrait représenter des pertes de plus de 125.000 dollars par travailleur. L’entreprise veut également imposer un gel salarial pour les années 2020-2021 et, pour les années suivantes, des hausses salariales inférieures à l’inflation.

Les travailleurs convergent devant l’usine de Rolls-Royce à Lachine (Montréal) le 10 août pour manifester leur opposition aux attaques patronales.

L’intransigeance patronale fait partie de l’assaut généralisé de la classe dirigeante contre la classe ouvrière au Canada et internationalement. La pandémie a intensifié ce processus alors que les banques, les riches et les sociétés, dont Rolls-Royce, ont reçu des milliards de dollars des gouvernements fédéraux et provinciaux en «plan de sauvetage». Des travailleurs ont fait remarquer au WSWS qu’au début de la pandémie, 70 pour cent des salaires des employés étaient payés par le gouvernement. La classe dirigeante, qui s’est enrichie de manière grotesque pendant que les travailleurs étaient renvoyés au travail en pleine pandémie, exige maintenant un transfert accéléré des richesses sociales du bas vers le haut.

Dans leur lutte, les travailleurs de Rolls-Royce font face non seulement face à une multinationale et aux gouvernements qui les appuient, mais aux appareils syndicaux, qui agissent comme de véritables partenaires d’affaires de la grande entreprise.

Dirigés par des bureaucrates grassement rémunérés qui acceptent pleinement le soi-disant «droit» de l’entreprise de faire des profits sur le dos des travailleurs, le STTRRC et la CSN n’ont rien fait pour mobiliser les quelque 300.000 membres de la CSN aux côtés des lock-outés de Rolls-Royce, sans parler de l’ensemble de la classe ouvrière, qui entre aussi en lutte et qui face au même assaut sur ses conditions de vie.

De plus, la stratégie nationaliste des syndicats est vouée à l’échec devant la capacité d’une multinationale comme Rolls-Royce à transférer la production où elle veut, ce que la compagnie s’est d’ailleurs vantée d’avoir fait tout au long du lock-out. «Nous avons déplacé du travail à travers notre réseau de service mondial pour nous assurer de pouvoir continuer à offrir le niveau élevé de soutien qu’attendent nos clients», a déclaré un porte-parole de Rolls-Royce, Donald Campbell.

Un survol du lock-out et des luttes des travailleurs de Rolls-Royce à Montréal montre que les syndicats agissent pour démobiliser leurs membres et permettre l’imposition des concessions exigées par la grande entreprise. Ce que les bureaucrates syndicaux cherchent à préserver, d’abord et avant tout, c’est leur «place à la table», c’est-à-dire leur relation cordiale avec le gouvernement et la grande entreprise ainsi que leurs revenus à six chiffres et leurs privilèges.

Durant la récente période de «maraudage», les travailleurs ont changé d’allégeance syndicale, tournant le dos à l’Association Internationale des Machinistes et des Travailleurs de l’Aérospatiale (AIMTA) qui les représentait depuis 66 ans, pour passer à la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM–CSN). Des travailleurs ont expliqué au WSWS que les hauts dirigeants de l’AIMTA, affiliée à la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), faisaient du copinage avec la direction contre les travailleurs. Après le maraudage, l’AIMTA est parti avec leur fond de grève. Mais, la CSN a aussi une longue histoire de trahison des luttes ouvrières, dont la récente grève de 4 mois des travailleurs de l’abattoir Olymel à Vallée-Jonction.

À travers son fonds d’investissement Fondaction, la CSN et ses riches dirigeants prennent l’argent de ses actionnaires et investissent entre autres dans des entreprises privées. Ces fonds d’investissement, comme le Fonds de solidarité FTQ, incarnent la relation corporatiste qu’entretiennent les appareils syndicaux avec la grande entreprise et l’État. Les syndicats jouent aujourd’hui le rôle d’une police industrielle vouée à supprimer la lutte de classes et à imposer les reculs aux travailleurs pour faire mousser les profits des entreprises.

En mars, le président du STTRRC, Frédéric Labelle, avait affirmé qu’il ferait des concessions clés. Notant que les employés ont déjà «de bons salaires», il avait dit être «ouvert» à abandonner la demande d’une hausse de 5% par année pendant cinq ans – qui représentait déjà une baisse des salaires réels considérant que l’inflation est maintenant à plus de 8 pour cent.

Or les ouvriers de Rolls-Royce ont fait preuve d’une grande combativité, ce qui fait partie d’une montée de la lutte des classes partout au Canada. Il y avait, en juillet dernier, 48 grèves ou lock-out impliquant plus de 10.000 travailleurs au Québec seulement. Des conflits importants ont éclaté à travers la province, y compris à la mine Raglan dans le Nord du Québec, à Agropur à Granby et à Molson-Coors en Montérégie. Dans chaque cas les enjeux sont les mêmes: les entreprises exigent d’importantes concessions aux salariés pour satisfaire leurs riches actionnaires.

Au lieu d’encourager les travailleurs de Rolls-Royce à unir leur lutte à celle de leurs frères et sœurs de classe, la CSN se tourne plutôt vers les forces sociales qui sont à la source même de l’exploitation des travailleurs.

C’est dans cet esprit que le STTRRC a organisé une manifestation devant les bureaux du premier ministre à Montréal pour «expliquer» au premier ministre François Legault que son gouvernement subventionne une entreprise qui néglige ses employés. Comme si Legault, lui-même multimillionnaire et ancien PDG d’Air Transat, n’était pas au courant! Continuant de semer des illusions dans ce gouvernement anti-ouvrier, Labelle a ajouté qu’il «donne une chance à Legault de corriger le tir» en prévision des élections de cet automne!

La Coalition Avenir Québec de Legault a une longue histoire de soutien aux grandes entreprises lors des conflits de travail. Lors du lock-out à l’Aluminerie de Bécancour (ABI) en 2018, Legault avait dénoncé les salaires «trop élevés» dans le secteur manufacturier. Suivant les mêmes politiques d’austérité que les gouvernements péquistes et libéraux précédents, la CAQ prône les coupures sociales, la privatisation des services publics et les baisses d’impôts pour les grandes entreprises et les riches. L’an dernier, sans opposition des syndicats, Legault a brandi la menace d’une loi spéciale lors des négociations collectives du secteur public avant d’imposer des reculs à plus d’un demi-million de travailleurs de l’État.

Il est révélateur que Labelle lui-même se présente comme candidat aux élections provinciales du 3 octobre sous la bannière du Parti québécois. Le PQ est un parti de la grande entreprise qui a imposé, lorsqu’il était au pouvoir à la fin des années 90, les pires coupes sociales de l’histoire de la province et qui a opéré, depuis, un virage marqué vers la droite et vers le chauvinisme anti-immigrants.

Les lock-outés de Rolls-Royce doivent rejeter la politique nationaliste et procapitaliste du STTRRC et de la CSN, qui ne sert qu’à les isoler et les démobiliser devant une multinationale comme Rolls-Royce. Ils doivent reconnaître qu’ils ont de puissants alliés: les dizaines de milliers d’autres travailleurs de Rolls-Royce à travers le monde et l’ensemble des travailleurs, au Québec, dans tout le Canada et partout dans le monde, qui font face au même assaut généralisé contre leurs conditions de vie.

Pour lancer un appel énergique aux autres sections de la classe ouvrière dans le cadre d’une lutte commune contre les concessions imposées par la classe capitaliste, les travailleurs de Rolls-Royce de Montréal doivent former leur propre comité de base, complètement indépendant de la bureaucratie syndicale.

Une initiative similaire a déjà été prise au Canada par des enseignants et éducateurs, ainsi que des cheminots de CP Rail, dans le cadre de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base. Cette alliance, formée à l’initiative du World Socialist Web Site, est un réseau de comités de base en train de se construire sur tous les continents et impliquant déjà des travailleurs du secteur manufacturier, du transport ferroviaire, du secteur public et dans bien d’autres domaines.

En s’y joignant, les travailleurs de Rolls-Royce pourront avoir des discussions démocratiques sur les questions politiques cruciales qui sous-tendent leur lutte, tout en coordonnant leurs revendications et leurs actions avec des travailleurs de partout dans le monde.

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