Les incidents haineux contre les minorités religieuses au Québec en forte hausse depuis l’adoption de la Loi 21

Une étude publiée la semaine dernière par l’Association d’études canadiennes (AEC) met en lumière les effets dévastateurs que la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21), adoptée le 16 juin 2019 par le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), a eus sur la qualité de vie des membres des minorités religieuses au Québec.

La Loi 21 interdit le port de symboles religieux par les enseignants et les employés de l'État dits «en position d'autorité», prive les femmes musulmanes entièrement voilées de services publics essentiels et contient une «clause dérogatoire» afin qu’elle ne puisse pas être invalidée par les tribunaux même si elle bafoue les droits constitutionnellement «garantis» par la Charte canadienne des droits et libertés.

Une manifestation contre la loi 21 [Photo: McGill Students Union/Twitter ]

Selon le sondage mené par la firme Léger pour l’AEC, deux femmes musulmanes sur trois ont été victimes ou témoins d’un incident haineux depuis l’adoption de la Loi 21. En plus d’attaques verbales, elles ont rapporté des cas de violence physique comme se faire cracher dessus ou se faire arracher son foulard islamique. Conséquemment, 78% ont rapporté une détérioration de leur sentiment «d’être acceptées comme membres à part entière de la société québécoise». Des membres d’autres minorités religieuses, tels que les hommes sikhs et juifs, ont également rapporté une hausse importante d’acte haineux à leur égard et par conséquent un sentiment de rejet.

Cette marginalisation des minorités religieuses est le résultat prévu et souhaité par la classe dirigeante québécoise qui encourage un chauvinisme anti-immigrants de plus en plus virulent afin de faire de ces derniers des boucs émissaires pour la crise économique et sociale causée par le capitalisme et afin de diviser les travailleurs sur des lignes ethniques, culturelles ou linguistiques.

À partir de 2007, l’establishment politique et médiatique a utilisé quelques incidents isolés pour dénoncer les accommodements supposément «déraisonnables» accordés aux minorités religieuses. Cette campagne a débouché sur une série de projets de loi antidémocratiques visant à interdire aux travailleurs du secteur public de porter un voile ou d’autres symboles religieux. Elle a culminé avec l’adoption de la Loi 21 peu après l’élection de la CAQ, un gouvernement de droite mené par le multimillionnaire et ancien PDG d’Air Transat François Legault.

Tous les partis politiques ont joué un rôle dans cette campagne réactionnaire. Le Parti libéral du Québec (PLQ), qui était au pouvoir lors de la «crise» des «accommodements raisonnables», a le premier proposé en 2010 le projet de loi 94 sur l’obligation de recevoir les services publics «à visage découvert». Ce principe anti-démocratique sera inscrit au cœur du projet de loi 62 adopté par les libéraux de Couillard en 2017, puis incorporé dans la propre Loi 21 de CAQsous une forme renforcée grâce à l’invocation de la «clause dérogatoire».

Le Parti Québécois (PQ), qui prône l’indépendance du Québec en tant que nouvel État capitaliste prédateur en Amérique du Nord, est allé encore plus loin avec sa Charte des valeurs québécoises de 2014. Bernard Drainville, responsable de ce projet de loi alors qu’il était ministre péquiste, sera candidat pour la CAQ aux élections provinciales de l’automne 2022. La semaine dernière, Jean-François Lisée, un conseiller des premiers ministres péquistes Lucien Bouchard et Jacques Parizeau qui a lui-même été chef du PQ de 2016 à 2018, a critiqué de façon virulente une publicité de l’établissement universitaire HEC Montréal qui montrait une femme portant un hidjab (foulard islamique).

Quant à Québec Solidaire (QS), un parti qui se prétend de gauche, il a contribué à la montée du chauvinisme antimusulmanen maintenant pendant plus d’une décennie que le «débat» sur les «accommodements raisonnables» était légitime et en présentant, en 2013, son propre projet de loi sur la «laïcité de l’État» qui ne différait de ceux des autres partis que dans le degré avec lequel il discriminait les membres des minorités religieuses.

Ce n’est qu’en 2019 que le parti a tenté un repositionnement politique en déclarant soudainement son opposition au projet de loi 21, alors qu’il était déjà évident que ce dernier serait adopté par l’Assemblée nationale, avec ou sans l’appui de Québec Solidaire.

Démontrant le cynisme de cette manœuvre opportuniste, le dirigeant de QS, Gabriel-Nadeau Dubois, a récemment déclaré en vue des prochaines élections vouloir «permettre le port de signes religieux pour tout le monde», avant d’ajouter que sous un éventuel gouvernement QS, ils seraient, en fait, toujours interdits aux employés tels que les enseignantes et les policiers pour «des raisons de sécurité» ou s’ils constituent une entrave à leur travail. Il a également insisté ne pas vouloir en faire un enjeu électoral. Cela revient à endosser les mesures discriminatoires de la Loi 21 et à continuer de cibler les minorités religieuses.

Le nationalisme québécois, qui a toujours été une arme de prédilection de la bourgeoisie francophone pour empêcher les travailleurs québécois de joindre leur lutte à celle de leurs frères et sœurs du reste du Canada, a pris un tournant extrême depuis le début de la pandémie de COVID-19. Le gouvernement de la CAQ a notamment lancé plusieurs mesures de nationalisme économique, imposé un cours Culture et citoyenneté québécoisedans les écoles et fait adopter la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (Loi 96), qui modifie la Constitution du Canada pour y ajouter l’existence d’une «Nation québécoise» qui a pour «langue commune» le français.

Cette loi réactionnaire cible la minorité anglophonedu Québec ainsi que les immigrants qui, six mois après leur arrivée dans la province, n’auront pas le droit de communiquer avec le gouvernement provincial, ni accéder aux services publics essentiels, en anglais. Elle élargit également la portée des clauses discriminatoires de la loi 101 pour faciliter l’accès de la classe moyenne francophone aux postes de cadres dirigeants dans l’État et la grande entreprise.

Les partis d’opposition ont tous exprimé leur accord fondamental avec l’objectif central de la loi. Le PQ a voté contre, jugeant qu’elle n’allait pas assez loin. QS a voté pour, sa députée Ruba Ghazal déclarant au cours des débats que c’était une occasion de «rassembler» les Québécois «autour de notre langue commune».

Ce discours nationaliste n’est pas différent de celui de Legault qui a promu la «fierté nationale» tout au long de la pandémie de COVID-19 comme moyen d’assurer la «cohésion sociale», c’est-à-dire de réprimer la lutte des classes en faveur de l’unité fictive de la supposée «nation» québécoise dont tous les membres, des travailleurs à bas salaire aux multimillionnaires, partageraient les mêmes intérêts.

Confrontée à une classe ouvrière qui entre en lutte contre son assaut généralisé sur les conditions de travail et de vie, l’élite dirigeante québécoise va profiter de la campagne électorale qui approche pour intensifier sa promotion du chauvinisme et du nationalisme. Elle cherche ainsi à détourner la colère populaire provoquée par les inégalités sociales grandissantes en redirigeant celle-ci contre les immigrants et les minorités religieuses et linguistiques, tout en minant la conscience de classe des travailleurs du Québec.

Déjà, les différents partis de la grande entreprise rivalisent à qui propose la mesure la plus empreinte de chauvinisme québécois: pour la CAQ, il s’agit de «reprendre le contrôle» sur l’immigration; le Parti conservateur du Québec d’Éric Duhaime abonde dans le même sens en promettant de réduire le nombre d’immigrants reçus dans la province; quant au PQ, il veut renforcer les mesures linguistiques discriminatoires de la loi 101 en étendant leur application aux cégeps.

Les travailleurs du Québec doivent rejeter ce déferlement de nationalisme réactionnaire et bâtir leur unité avec leurs frères et sœurs de classe du Canada – français, anglais et immigrants – dans une lutte commune pour la défense des emplois, salaires et services publics de tous et pour la réorganisation socialiste de l’économie afin d’établir l’égalité sociale.

Loading