Afrique du Sud: les syndicats organisent un «jour de congé» en guise d’avertissement à l’ANC

Des milliers de travailleurs sont descendus mercredi dans les rues de Pretoria, du Cap et d’autres grandes villes du pays. Ils protestaient contre la flambée du coût de la vie, les coupures d’électricité et le chômage généralisé qui ont rendu les conditions de vie intolérables pour les travailleurs et leurs familles.

Des mineurs chantent en attendant le début des cérémonies de commémoration près de Marikana à Rustenburg, en Afrique du Sud, le mardi 16 août 2022. L’Afrique du Sud marque mardi 10 ans depuis le massacre de Marikana, où 44 personnes ont été tuées lors d’une grève de mineurs à une mine de platine près de Rustenburg, dans la province du Nord-Ouest en août 2012. [AP Photo/Themba Hadebe] [AP Photo/Themba Hadebe]

À Pretoria, les travailleurs ont marché en direction des Union Buildings où se trouve la présidence sud-africaine, brandissant des pancartes disant: «Arrêtez de taxer les produits alimentaires de base». Ils ont appelé le président Cyril Ramaphosa et son gouvernement du Congrès national africain (ANC) à faire baisser le coût de la vie en hausse constante.

Une femme a déclaré à la BBC: «Nous sommes fatigués. Le coût de la vie est trop élevé maintenant, nous ne pouvons plus rien nous permettre. C’est les frais de scolarité, c’est le transport, c’est le loyer, c’est tout.»

Elle a ajouté: «Nous ne pouvons plus vivre, et nous sommes sans augmentation [de salaire] depuis quatre ans maintenant, et les choses deviennent intenses maintenant. Le gouvernement doit intervenir et faire quelque chose maintenant.»

L’inflation est à son plus haut niveau depuis la hausse des prix alimentaires mondiaux en 2008-09. Les prix à la consommation ont augmenté de 7,8 pour cent en juillet et les aliments de base ont augmenté de 10 pour cent l’année dernière, une miche de pain blanc étant maintenant à 1,05 euro contre 0,91 euro il y a un an et le prix du carburant a augmenté de 56,2 pour cent par rapport à l’année dernière.

La semaine dernière, le rand sud-africain a encore chuté de 5 pour cent par rapport au dollar américain alors que la Réserve fédérale discutait de nouvelles hausses des taux d’intérêt, une décision qui exacerbera la crise économique qui frappe le pays déjà lourdement endetté.

L’Afrique du Sud est la société la plus inégalitaire de la planète. Le nombre de travailleurs sans emploi s’élève à un stupéfiant 46 pour cent, 30,3 millions des 59 millions d’habitants du pays vivant dans la pauvreté et 13,8 millions étant confrontés à la pénurie alimentaire.

C’est dans ces conditions que le Congrès des syndicats sud-africains (COSATU) et la Fédération sud-africaine des syndicats (Saftu), deux des plus grandes fédérations syndicales, ont appelé à un «jour de congé massif» des travailleurs non essentiels, pour exiger que l’ANC passe à l’action. La Fédération des syndicats d’Afrique du Sud (Fedusa) et le Conseil national des syndicats (Nactu), ainsi que plusieurs syndicats de chauffeurs de taxi et de transport, n’ont pas participé à l’action, bien que plusieurs organisations de la société civile et communautaires se soient jointes aux marches.

La dernière fois que le COSATU a appelé une Journée nationale d’action, c’était en octobre 2020 pour protester contre la réponse du gouvernement à la pandémie – y compris les couvre-feux mis en œuvre avec une brutalité policière horrible – qui a exacerbé le chômage et la pauvreté tout en protégeant l’élite patronale et financière. Selon les chiffres officiels, une sous-estimation grossière compte tenu du manque de tests, plus de 102.000 personnes ont perdu la vie à cause de la COVID-19.

Le COSATU est depuis des décennies dans une triple alliance avec l’ANC et le Parti communiste sud-africain (SACP). Ensemble, ils ont oeuvré pour réprimer les luttes ouvrières et les empêcher de prendre une voie révolutionnaire pour mettre fin à l’apartheid, assurant ainsi la survie du capitalisme sud-africain et évitant l’éruption de conflits politiques et sociaux dans toutes les anciennes colonies africaines des puissances impérialistes.

Depuis l’accession au pouvoir de l’ANC après les élections de 1993, le COSATU a tout fait pour contrôler ses membres. Mais avec Saftu, il a appelé à un débrayage national pour endiguer la montée de la colère face à l’absence de réponse du gouvernement à la crise du coût de la vie. Leur espoir est que cette action limitée, combinée à une rhétorique à consonance de gauche contre le 3 pour cent d’augmentation de salaire que Ramaphosa s’est attribué ainsi qu’aux ministres, désamorcera la colère des travailleurs.

COSATU et Saftu cherchent désespérément à restaurer la crédibilité des syndicats, à garantir les liens politiques nécessaires aux capitalistes pour maintenir leur exploitation de la classe ouvrière, et à avertir l’ANC qu’il est assis sur un volcan social. Ramaphosa est désormais si largement vilipendé que le parti longtemps associé à la lutte contre le système détesté de l’apartheid pourrait perdre les élections de 2024.

En 2017, le COSATU a soutenu Ramaphosa comme successeur de Jacob Zuma, qui a été contraint de démissionner tandis que se multipliaient les allégations de corruption, en tant que président de l’ANC. Ramaphosa, qui dirigeait autrefois le plus grand syndicat du pays, le Syndicat national des mineurs, avant d’exploiter les structures du Black Economic Empowerment (développement économique des noirs) de l’ANC pour devenir multimillionnaire, a utilisé son poste de directeur non exécutif du conglomérat minier Lonmin pour appeler le gouvernement à intervenir contre les mineurs en grève en 2012. L’ANC a réagi en envoyant des forces de sécurité pour mettre fin à la grève. Dans les affrontements qui se sont produits, elles ont ouvert le feu, tuant 34 mineurs et blessant 78 autres.

Depuis lors, le «boucher de Marikana» a fait tout ce qu’il pouvait pour soutenir le capitalisme sud-africain, réduisant l’imposition des entreprises tout en coupant les salaires des travailleurs, reniant les accords salariaux du secteur public et réduisant considérablement le niveau de vie. Cela lui a valu la haine éternelle des travailleurs sud-africains.

Des mineurs d’or en grève à Sibanye-Stillwater ont hué Ramaphosa, l’invité d’honneur du COSATU, lors du rassemblement du 1er mai à Rustenburg, le centre de la région minière du pays. Alors que le porte-parole du COSATU, Sizwe Pamla, s’est excusé pour ces actions «regrettables» et «inacceptables», il a dit que c’était une expression compréhensible de la frustration des travailleurs envers le gouvernement de l’ANC.

Il a averti l’ANC: «Historiquement, la Journée des travailleurs est une journée où les travailleurs réfléchissent à leurs luttes et poussent au changement. C’est un message que l’ANC ne peut prétendre méconnaître et qui ne peut plus être ignoré. Le révolutionnaire marxiste et théoricien politique Léon Trotsky a dit un jour: “Un parti qui s’appuie sur les ouvriers mais qui est au service de la bourgeoisie ne peut pas, dans une période d’extrême exacerbation de la lutte de classe, ne pas sentir le souffle du tombeau.”

Ramaphosa et le gouvernement de l’ANC ont ignoré l’avertissement et ont continué comme si de rien n’était, utilisant les forces de sécurité pour intimider les travailleurs et réprimer les manifestations.

Au cours de la semaine dernière, les travailleurs municipaux en grève pour de meilleurs salaires à Middelburg, au Mpumalanga, ont été confrontés à la violence d’agents de sécurité employés par l’Hôtel de Ville. La municipalité a mis à pied 100 travailleurs qui avaient débrayé le 15 août pour exiger une augmentation au niveau 5 de l’échelle salariale. Lorsque les travailleurs sont entrés dans les locaux municipaux pour récupérer leurs lettres de mise à pied, les agents de sécurité ont ouvert le feu, faisant un mort et trois blessés.

Cela fait suite au meurtre d’au moins quatre travailleurs et à des milliers de blessés par la police lors de manifestations contre le manque de fourniture de gaz et électricité, les impôts élevés et le coût exorbitant de l’électricité dans le canton de Thembisa, à Johannesburg, après que les autorités ont annulé l’électricité et l’eau gratuites.

Le mois dernier, des centaines de partisans de l’ANC ont défilé à Johannesburg, la capitale commerciale et la plus grande ville d’Afrique du Sud, avec des revendications économiques et des appels pour que Ramaphosa, maintenant embourbé dans les scandales, démissionne. Dans le scandale le plus récent, il est accusé d’avoir dissimulé le vol présumé de 4 millions de dollars cachés dans sa ferme Phala Wildlife, avec l’aide de responsables namibiens et de ses gardes de sécurité personnels qui sont accusés d’avoir kidnappé et torturé les voleurs. Le rassemblement de l’ANC a suivi les appels des partis d’opposition à la démission de Ramaphosa, le chef des Combattants de la liberté économique (EEF), Julius Malema, appelant à sa destitution pour cette affaire. L’EEF a été créée par Malema, une ancienne Ligue de la jeunesse du Congrès national africain, en 2013.

L’ancien président de l’ANC, Thabo Mbeki, a émis une rare critique de Ramaphosa, affirmant qu’il n’avait aucun plan pour lutter contre la pauvreté, le chômage et les inégalités, et prédit des troubles civils qui pourraient «déclencher notre propre version du printemps arabe».

Malgré les troubles généralisés, le COSATU et Saftu ont fait peu d’efforts pour que «le jour de congé massif» soit une vraie réussite, émettant peu de revendications de fond adressées au gouvernement. Secrétaire général de Saftu, Zwelinzima Vavi a même déclaré aux journalistes que les syndicats ne s’attendaient pas à ce qu’un grand nombre de personnes se joignent aux marches, citant comme excuse l’état catastrophique des transports en commun. Il a dit qu’il était plus important que les travailleurs participent à la grève nationale. En l’occurrence, l’appel a reçu une réponse limitée auprès des travailleurs.

La profonde méfiance à l’égard des syndicats manifestée par la participation relativement faible exprime le besoin de nouvelles formes d’organisation de la classe ouvrière. Pour donner une expression politique et organisationnelle au mouvement mondial en développement de la classe ouvrière, le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) lutte pour la construction de comités de la base sur les lieux de travail, coordonnés aux niveaux national et international par l’Alliance ouvrière internationale des comités de base et la construction d’une section sud-africaine du CIQI.

(Article paru en anglais le 26 août 2022)

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