Les services secrets allemands gèrent des centaines de profils d'extrême droite sur les médias sociaux

L'Office fédéral allemand pour la protection de la Constitution (Verfassungsschutz) emploie au moins 100 agents, chacun ayant jusqu'à cinq ou six identités, qui tiennent des discours de haine d'extrême droite sur Internet et commettent des 'délits typiques du milieu', comme la sédition. Ces informations ont été révélées par l'interview d'un agent du service de renseignement intérieur allemand dans le quotidien Süddeutsche Zeitung, publiée la semaine dernière.

L'entrée du siège du service de renseignement intérieur allemand, Bureau fédéral pour la protection de la Constitution.[AP Photo/Martin Meissner] [AP Photo/Martin Meissner]

Selon l'agent, leur tâche ne consiste pas seulement à «nager dans la masse», mais aussi à diffuser des positions d'extrême droite et à commettre des crimes. «Bien sûr, je valide les gens dans leur vision du monde», explique-t-elle. «En principe, je diffuse une idéologie que d'autres trouvent meilleure». Des crimes sont également commis dans ce but, ajoute-t-elle. «Les nombreuses personnes victimes des discours de haine en ligne de l'extrême droite seraient probablement stupéfaites si elles savaient ce qui est posté et liké entre-temps sur ordre de l'État», commente le Süddeutsche Zeitung(SZ).

Étant donné qu'il existe 500 identités d'extrémistes de droite en ligne et bien plus encore dans la périphérie du mouvement Reichsbürger et parmi les négationnistes du COVID-19, qui ne sont plus qualifiés d'extrémistes de droite par les services secrets, on doit supposer qu'une partie considérable du marais fasciste en ligne et du milieu terroriste d'extrême droite est organisée par l'État.

Le fait que l'État se concentre sur la commission de crimes, et non sur leur découverte, est mis en évidence par les exemples cités par le SZ comme des succès d'enquête des agents. Lorsque le magazine, Frontal, de la télévision ZDF a découvert un groupe terroriste d'extrême droite appelé «Dresden Offline Networking», qui planifiait l'assassinat du ministre-président de Saxe Michael Kretschmer, les autorités n'ont rendu public qu'ultérieurement qu'elles étaient elles-mêmes présentes dans le groupe.

La police «n'a pas eu besoin de confisquer d'abord le matériel de la ZDF», a déclaré fièrement un agent des services secrets de haut rang, selon le°SZ. Ils disposaient déjà de captures d'écran probantes, avec horodatage. La question se pose inévitablement de savoir pourquoi une procédure d'enquête n'avait pas déjà été ouverte avant la publication par les journalistes de la ZDF. La raison invoquée est que le groupe devait être protégé.

Le cas est similaire avec le groupe de discussion terroriste d'extrême droite «United Patriots», qui avait planifié l'enlèvement du ministre de la santé Karl Lauterbach (sociaux-démocrates). Dans ce cas, les autorités ont ouvert des enquêtes avant la publication, mais le magazine Report Mainz de l'ARD observait le groupe depuis longtemps sur la base du travail d'un militant antifasciste. Les services secrets auraient pu simplement traiter la question avant la publication.

Indépendamment de la question de savoir si les enquêtes en cours peuvent démontrer que les agents ont donné l'impulsion aux projets d'attentats terroristes, l'image d'un milieu d'extrême droite organisé et contrôlé par l'État se dessine.

De nombreuses études ont montré que, par exemple, le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) est massivement surreprésenté en termes de portée et de diffusion sur les médias sociaux par rapport aux autres partis. Bien que l'AfD ne recueille qu'environ 10 % des voix aux élections législatives, les contributions du parti sont partagées plus de deux fois plus souvent que celles de tout autre parti. Les activités des services secrets jouent probablement un rôle important à cet égard.

Le rôle central du service de renseignement intérieur allemand dans la constitution du marécage fasciste est bien documenté. En 2003 déjà, les juges de la Cour constitutionnelle fédérale ont rejeté l'interdiction du parti néonazi NPD lorsqu'ils ont appris qu'au moins un fonctionnaire sur sept du parti fasciste était payé par les services secrets. Les juges ont déclaré que le NPD devait «être considéré comme une affaire d'État».

Les services secrets ont également joué un rôle central dans la création du plus grand groupe terroriste de droite à ce jour, le National Socialist Underground (NSU). En Thuringe, l'extrémiste de droite Helmut Roewer a créé dans les années 1990 l'Office d'État pour la protection de la Constitution et a employé, entre autres, Tino Brandt, le chef de la «Sécurité intérieure de Thuringe», comme enquêteur secret.

Brandt a reçu un total de 200.000 euros de l'argent des contribuables pour mettre sur pied son organisation néofasciste, dont faisaient partie les trois assassins ultérieurs de la NSU. Lorsqu'ils se sont cachés pour planifier leurs tentatives d'assassinat, Brandt est resté en contact avec eux. Les services secrets ont même fourni 2.000 euros au trio de la NSU pour qu'il puisse obtenir de nouveaux passeports. Un employé des services secrets, Andreas Temme, était même présent lors de l'un des meurtres perpétrés par la NSU. Son influence a également conduit au meurtre du politicien CDU Walter Lübcke.

La liste pourrait se poursuivre indéfiniment, de la production et de l'envoi de CD inhumains et fascistes dans le Brandebourg, organisés par les services secrets, à la fondation de la branche allemande du Ku Klux Klan par un employé des services secrets.

Cette politique a été systématiquement poursuivie ces dernières années. Après que les liens étroits entre les services secrets et la NSU ont été révélés, le gouvernement fédéral a nommé Hans-Georg Maassen, ouvertement d'extrême droite, à la tête de l'autorité. Maassen n'a pas seulement couvert l'affaire de la NSU, il a également étendu son soutien à l'extrême droite. Par exemple, il a rencontré régulièrement les représentants de l'AfD et a discuté avec eux du rapport des services secrets du Verfassungsschutz.

Le budget du seul Office fédéral de protection de la Constitution a presque doublé au cours des cinq dernières années, passant de 253 à 423 millions d'euros. Les services secrets des 16 États allemands ont connu des augmentations similaires. Le gouvernement fédéral développe délibérément les services secrets pour en faire un centre de contrôle du mouvement d'extrême droite.

Par le biais de cette agence fasciste et de ses réseaux d'extrême droite, le gouvernement prend des mesures contre toute personne qui s'oppose à sa politique de guerre, à la crise sociale et à l'enrichissement fabuleux des plus fortunés. En 2018, le Verfassungsschutz, sous Maassen, a désigné pour la première fois le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP, Parti de l'égalité socialiste) comme une «association extrémiste de gauche», préparant ainsi l'interdiction du parti. L'action des services secrets s'est accompagnée d'attaques d'extrême droite contre des événements du SGP, par exemple à l'université Humboldt ou à l'université de Dresde.

Après que le SGP a intenté un procès contre son inclusion dans le rapport du Verfassungsschutz, le gouvernement allemand a soutenu les actions de l'agence et a déclaré que même le fait de «plaider pour une société égalitaire, démocratique et socialiste» était inconstitutionnel. Il a notamment accusé le SGP de faire de l'agitation «contre l'impérialisme et le prétendu nationalisme». Cette attaque outrageante contre les droits démocratiques a depuis été scandaleusement soutenue par deux tribunaux.

Alors que les services secrets couvrent les structures terroristes et renforcent l'extrême droite, ils s'en prennent à tous ceux qui critiquent le capitalisme et s'opposent à la guerre. La guerre par procuration que les États-Unis et l'OTAN mènent contre la Russie sur le dos du peuple ukrainien a intensifié ce phénomène. Le plus grand réarmement depuis Hitler, l'inflation insupportable et les licenciements massifs dans l'industrie rencontrent une résistance croissante dans la classe ouvrière. Dans ces conditions, le gouvernement mobilise les groupes d'extrême droite et l'appareil d'État pour réprimer cette opposition.

Au début de l'année, la formulation utilisée dans la décision de justice contre le SGP a été utilisée en partie dans un jugement contre le quotidien de gauche junge Welt, qui avait intenté un procès pour protester contre sa surveillance par les services secrets. En août, la ministre de l'intérieur Nancy Faeser (SPD) a annoncé qu'elle allait «combattre» de toutes ses forces les prétendus «extrémistes de gauche» du mouvement pour le changement climatique.

Il y a deux semaines, les services secrets de Hambourg ont attaqué l'initiative d'un référendum sur l'expropriation des corporations immobilière. La présence d'«extrémistes de gauche» a été jugée «déterminante». Selon la police, ils prônaient un «communisme démocratique et décentralisé» qui était «incompatible avec l'ordre démocratique libéral.»

Le SGP s'est engagé dans la lutte contre l'attaque de l'État contre la gauche et la promotion de l'extrême droite et a déposé une plainte auprès de la Cour constitutionnelle fédérale contre son inclusion dans le rapport du Verfassungsschutz, ainsi que contre les décisions de justice scandaleuses. Nous appelons tous les lecteurs à soutenir cette action en justice. Signez notre pétition sur Change.org, et inscrivez-vous dès aujourd'hui en tant que supporter actif.

(Article paru en anglais le 29 septembre 2022)

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