Québec Solidaire réagit à sa débâcle électorale en se tournant encore plus à droite

Québec Solidaire, le parti qui passe pour la «gauche» sur l’échiquier politique du Québec, a subi une débâcle électorale aux dernières élections provinciales.

Même si le nombre de ses députés siégeant à l'Assemblée nationale est passé de 10 à 11, sa part du vote populaire a chuté de 0,5 pour cent par rapport aux dernières élections. Au total, son nombre de votes a diminué de 3,5 pour cent. Après avoir passé les quatre dernières années à se présenter comme la «véritable opposition» au gouvernement droitier de la Coalition Avenir Québec, QS est arrivé bien en deçà de son objectif de former l'opposition officielle.

Ce revers électoral est le produit du virage prononcé vers la droite qu’a pris la direction de QS dans ses efforts pour prouver à l’élite dirigeante qu’il ne constituait aucune menace à l’ordre social existant et était prêt à assumer un rôle direct, au sein de l’État capitaliste, dans l’imposition de nouvelles attaques sur la classe ouvrière.

Québec Solidaire, un parti qui représente des sections des classes moyennes aisées, va maintenant poursuivre et intensifier sa collaboration avec le gouvernement anti-ouvrier de la CAQ, qui s'apprête à imposer une austérité «post-pandémique» tout en intensifiant son chauvinisme anti-immigrants. Gabriel Nadeau-Dubois, le co-porte-parole de QS, s'est vanté d'avoir parlé au premier ministre François Legault le soir des élections tout en s'engageant à «travailler avec lui».

Gabriel Nadeau-Dubois en 2020 (source: Wikipedia) [Photo: (Wikipedia) ]

Les raisons données par la direction de QS pour son revers électoral sont peu convaincantes. Elles visent à masquer le fait que Québec Solidaire a mené une campagne de droite, à peine discernable de celle menée par la CAQ et les autres partis capitalistes sur les enjeux majeurs auxquels font face la classe ouvrière –l'inflation et les inégalités sociales croissantes, la guerre, la pandémie, le danger du fascisme. La campagne électorale de QS a été saluée et qualifiée de «responsable» par les cercles financiers et les commentateurs les plus à droite de la presse bourgeoise, y compris le Journal de Montréal. Ces derniers sont très conscients du rôle crucial que QS est de plus en plus appelé à jouer: donner une couverture «de gauche» aux politiques anti-ouvrières de la classe dirigeante.

L'un d'entre eux, Mario Dumont, a même publié un article après les élections où il encourage QS à «repartir à l'offensive», malgré ses résultats électoraux décevants. Dumont est un architecte du tournant vers le chauvinisme de toute la classe dirigeante québécoise il y a plus de 10 ans. En tant que chef de l'Action démocratique du Québec, il avait attisé, avec les médias de la grande entreprise, tout un «scandale» autour des soi-disant «accommodements déraisonnables» accordés aux immigrants.

Gabriel Nadeau-Dubois, qui n'a pas raté une occasion pour se défaire de son image d'ex-leader étudiant «radical», a dit que son parti a résisté à une «vague caquiste», acceptant ainsi cette grossière exagération répétée par la CAQ et les grands médias. En fait, la CAQ a fait augmenter sa part du vote populaire d'un modeste 3,5 pour cent. Et si l’on tient compte du tiers des électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes (l'élection a vu l'un des plus faibles taux de participation de l'histoire de la province), elle n'a reçu le vote que de 27 pour cent des électeurs. La CAQ n'a fait élire que deux députés à Montréal, la ville la plus populeuse, cosmopolite et ouvrière de la province.

Andres Fontecilla, un autre député de Québec Solidaire, a dit, de façon grotesque, que la réélection de la CAQ montrait que la population ne voulait «pas tellement changer les choses».

En fait, il y a énormément d'opposition aux politiques droitières, anti-ouvrières et chauvines de la CAQ. Cela est montré, d'abord et avant tout, par des luttes croissantes de travailleurs au Québec qui, comme leurs confrères et consoeurs de classe partout dans le monde, sont entrés en grève pour lutter pour de meilleurs salaires, des horaires et charges de travail décents, des conditions de travail sécuritaires, la défense des retraites, etc. Rien qu'au Québec, des grèves et luttes importantes ont eu lieu récemment dans les secteurs agroalimentaires, manufacturiers, les ports, la construction, ainsi que la santé et l’éducation.

Mais, cette opposition croissante ne peut s'exprimer à travers le programme droitier de tous les partis qui se présentaient aux élections, incluant Québec Solidaire, qui a utilisé la campagne électorale pour se défaire de son image de parti «contestataire», qu'il juge être un frein à sa pleine intégration à l'establishment capitaliste.

Ce parti, qui se décrit comme favorable à l’indépendance du Québec, environnementaliste, féministe et anti-mondialisation, rejette la lutte des classes. Il ignore largement les luttes des travailleurs et lorsqu’il en parle, c’est pour appuyer la bureaucratie syndicale pro-capitaliste dans ses efforts de longue date pour isoler ces luttes et les garder dans le cadre du système pro-patronal de relations de travail qu’on nomme «négociations collectives». QS fait peu de cas du recours régulier de la classe dirigeante québécoise et canadienne à des lois spéciales anti-grèves: il n’appelle jamais à une mobilisation politique de toute la classe ouvrière contre ces lois antidémocratiques. 

C'est dans ces conditions d'immense vide politique à gauche que la CAQ a profité de l'aliénation populaire face aux deux partis traditionnels de la classe dirigeante québécoise pendant près de 50 ans, le Parti libéral fédéraliste et le Parti québécois indépendantiste. Ces deux partis ont obtenu leurs pires scores de leur histoire après avoir tous les deux imposé des coupes budgétaires massives et opéré un vaste transfert des richesses vers les mieux nantis lorsqu'ils étaient au pouvoir.

Ce même processus prend place internationalement où de nombreux partis populistes de droite ont réussi à se faire élire en se présentant comme «anti-establishment» et en profitant du tournant à droite de tous les partis «de gauche», le dernier exemple étant l'élection de la fasciste Giorgia Meloni en Italie. Et lorsque des partis nationalistes et pro-capitalistes de la pseudo-gauche prennent le pouvoir, comme PODEMOS en Espagne, Die Linke en Allemagne ou SYRIZA en Grèce, ils imposent, de façon entièrement prévisible, l'austérité tout en intensifiant le militarisme et en attisant le chauvinisme anti-immigrants.

Québec Solidaire accepte pleinement tous les aspects clés du programme anti-ouvrier de la classe dirigeante: il appuie la guerre de l'OTAN contre la Russie qui soulève le danger d’un recours à l'arme nucléaire par l'un ou l'autre des pays belligérants; il est complètement silencieux sur la hausse massive des dépenses militaires par le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau et il accepte la gestion désastreuse de la pandémie par le gouvernement Legault. Celui-ci a fait passer les profits avant les vies tout en répandant toutes sortes de faussetés antiscientifiques sur la COVID-19 pour faire accepter à la population sa politique meurtrière du «vivre avec le virus», la même que celle adoptée par ses homologues provinciaux et pleinement endossée par le gouvernement Trudeau.

Sur la question du chauvinisme québécois, QS a parfois critiqué certains commentaires ouvertement anti-immigrants du premier ministre ou de ses ministres, mais en prenant toujours soin de légitimer tous les débats chauvins et anti-immigrants autour des «valeurs québécoises» et de la «laïcité» en les présentant comme «nécessaires». Jamais il ne met à nu ces débats et lois pour ce qu'ils représentent vraiment: des efforts conscients de la classe dirigeante pour désigner les immigrants comme des boucs émissaires de l'immense crise sociale causée par le capitalisme et pour diviser la classe ouvrière sur des lignes ethniques ou linguistiques.

QS a refusé de faire campagne contre la loi 21, qui cible particulièrement les femmes musulmanes, et a voté en faveur de la loi 96, une loi qui s'inscrit pleinement dans la tentative de la CAQ d'attiser le chauvinisme et qui vise à renforcer le statut du français comme la seule «langue commune» et «officielle» de la province.

QS prône de timides mesures sociales financées par des hausses d'impôts tout aussi timides et pour lesquelles il n’a de toute façon même pas l’intention de se battre. Très sensibles aux critiques des médias capitalistes, les députés de QS, dont leur ex-banquier nouvellement élu Haroun Bouazzi, ont indiqué que les dérisoires hausses d'impôts qu'ils avaient proposées en campagne électorale allaient faire partie des «discussions» entourant les soi-disant causes de la défaite de QS.

Sur la question de l'environnement et des changements climatiques, autour de laquelle QS a centré sa campagne pour se donner un air «radical», le programme de «capitalisme vert» de QS est fait sur mesure pour des sections de la classe dirigeante du Québec, qui voient dans la transition énergétique une opportunité en or pour exploiter les vastes ressources naturelles de la province, développer ses avantages géostratégiques et accumuler d'immenses profits. QS avait d'ailleurs reçu des commentaires positifs de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain lors du passage enthousiaste de Nadeau-Dubois dans ce lobby qui représente la grande entreprise québécoise.

Tandis que QS se tourne résolument et inexorablement vers la droite, des groupes soi-disant marxistes comme La Riposte socialiste et Gauche socialiste, qui travaillent en son sein depuis sa fondation pour glorifier sa tentative réactionnaire de faire renaître le nationalisme indépendantiste, cherchent maintenant à cacher leur propre responsabilité dans la promotion de ce véhicule nationaliste de droite. Ils soulèvent de timides critiques dans le cadre d’une vaine agitation pour ramener QS sur la ligne «de gauche» que ce dernier aurait supposément adoptée à ses débuts et maintenue jusqu’ici – une fiction politique de plus en plus difficile à maintenir.

Pendant plusieurs semaines, les députés de QS ont fait bloc avec le Parti québécois de droite sur le refus de prêter serment au Roi Charles III, une obligation réactionnaire de la constitution canadienne pour tous les députés élus. Les députés de QS ont plutôt prêté serment au «peuple québécois», une expression frauduleuse qui masque les profondes divisions de classe de la société capitaliste, au Québec comme ailleurs – les travailleurs d'un côté, qui produisent tout ce qui est nécessaire au fonctionnement de la société et qui subissent de plein fouet la crise du système capitaliste, et de l'autre, les ultra-riches, qui exploitent la classe ouvrière et engrangent des richesses toujours plus grotesques.

C’est cette réalité de classe que cherche à masquer Québec Solidaire. En tant que parti nationaliste, il prône la solidarité entre les classes dans le cadre de son projet réactionnaire d'une troisième république impérialiste en Amérique du Nord, plutôt qu'une solidarité de classe, c'est-à-dire entre tous les travailleurs peu importe leur nationalité, langue, genre ou couleur de peau, dans une lutte commune contre le système capitaliste en faillite.

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