Les socialistes démocrates d’Amérique s’empressent de défendre leur rôle dans l’imposition du contrat ferroviaire

Les Socialistes démocrates d’Amérique ont été plongés dans la crise après que trois de leurs quatre membres à la Chambre des représentants ont voté pour imposer un contrat aux cheminots, bloquant ainsi une grève ferroviaire nationale. Alexandria Ocasio-Cortez, Jamaal Bowman et Cori Bush ont tous voté en faveur du projet, seule Rashida Tlaib a voté contre.

Avec Bernie Sanders au Sénat, le caucus soutenu par les DSA a introduit une résolution distincte pour donner aux cheminots sept jours de congés maladie payés. C’était un pur théâtre politique destiné à fournir une couverture politique aux démocrates. Elle n’avait aucune chance de passer au Sénat face à l’opposition des républicains et même des démocrates de droite comme Joe Manchin. La résolution était conçue de telle manière que son adoption à la Chambre mais son rejet au Sénat ne retarderait même pas la signature de la loi antigrève.

Au Sénat, Sanders a émis un «non» sans importance contre l’imposition du contrat, mais son soutien était essentiel pour la procédure accélérée par laquelle il a été adopté, car selon les règles du Sénat, le soutien des 100 sénateurs est nécessaire.

Le président Biden signe une loi qui annule le droit démocratique de grève des cheminots, dans la salle Roosevelt de la Maison-Blanche, le vendredi 2 décembre 2022. Biden se trouve accompagné (de gauche à droite) de Celeste Drake, du Bureau de la gestion et du budget; du directeur du Conseil économique national, Brian Deese (anciennement de Blackrock, le plus grand gestionnaire d’actifs de la planète); du ministre de l’Agriculture, Tom Vilsack; du ministre des Transports, Pete Buttigieg; et du ministre du Travail, Marty Walsh. [AP Photo/Manuel Balce Ceneta] [AP Photo/Manuel Balce Ceneta]

Le rôle des DSA a choqué et mis en colère nombre de ses propres membres, parmi lesquels des jeunes sincères, mais politiquement inexpérimentés qui ont adhéré en croyant que les DSA étaient une organisation véritablement socialiste.

La direction des DSA, pendant ce temps, est en mode de limitation des dégâts. Le comité politique des DSA a publié lundi une déclaration intitulée «Aux côtés des cheminots, construisez le pouvoir des travailleurs» (Stand with Railworkers, Build Workers Power), qui était en réalité entièrement consacrée à blanchir le rôle des DSA dans la criminalisation d’une grève des cheminots.

«Nous condamnons la décision du président Biden et du Congrès de forcer plus de 100.000 travailleurs du rail à accepter l’entente de principe en leur refusant le droit légal de faire grève», affirme la déclaration. Elle ajoute: «Lorsque tous les grands pouvoirs du pays – le centre, la droite et nos lois – ont fait bloc contre les travailleurs, les membres des DSA au Congrès ont introduit une pression législative pour les jours de congé de maladie, et ont forcé un vote sur la mesure, qui n’a pas abouti.»

Après avoir salué le vote de Rashida Tlaib contre l’imposition du contrat, le communiqué ajoute au passage, plusieurs phrases plus bas: «Nous sommes en désaccord et déçus de la décision des membres des DSA, la représentante Alexandria Ocasio-Cortez et le représentant Cori Bush, de voter inutilement pour l’application de l’entente».

Les DSA tentent d’annuler la perception publique de son soutien à la loi antigrève en invoquant son soutien à l’ajout de sept jours de maladie au contrat que le Congrès a voté pour imposer. Mais même si cette feuille de vigne était passée, cela n’aurait rien changé au fait que les membres des DSA ont voté pour priver les travailleurs de leur droit démocratique de grève, une question bien plus fondamentale que les jours de maladie.

La déclaration du comité politique des DSA tente de séparer faussement les actions de Biden et du Parti démocrate, dont il fait partie, des DSA. En réalité, les DSA sont un élément essentiel des tentatives des démocrates de maintenir les travailleurs et les jeunes de gauche piégés dans les limites de ce parti capitaliste de droite. Ils sont aidés dans ce rôle par toute une constellation de groupes de pseudogauche au sein et autour des DSA, comme la publication Labor Notes, le magazine Jacobin et d’autres.

Ils ont pris à plusieurs reprises la défense du gouvernement Biden et du Parti démocrate contre l’opposition de la gauche. En mars 2021, Alexandria Ocasio-Cortez a dénoncé les critiques de gauche à l’encontre de Biden, les qualifiant de «critiques privilégiées» par des «acteurs de mauvaise foi».

Lors de la conférence «Labor Notes» de cet été, Sara Nelson, membre éminente des DSA et présidente du syndicat des hôtesses de l’air, s’est vigoureusement opposée aux suggestions des membres de l’auditoire selon lesquelles les travailleurs devraient rompre avec les démocrates. «Si nous commençons à nous considérer comme une classe ouvrière, alors nous n’avons pas besoin d’un parti», a-t-elle affirmé. «Le parti [les démocrates, ainsi que les républicains] viendra à nous». Le vote des DSA eux-mêmes pour imposer le contrat ferroviaire montre que cette perspective est une fausseté qui sert leurs propres intérêts.

D’autres déclarations des DSA ont été plus stridentes dans leur défense du vote de criminalisation de la grève, déclarant que toute critique était hors limite et illégitime. La fraction des DSA Socialist Majority a demandé à ses lecteurs de «rester concentrés sur les ennemis de classe» dans une déclaration. La direction du groupe comprend la présidente du Comité politique, Kristian Hernandez.

«Plusieurs voix au sein des DSA ont récemment appelé les DSA à censurer ou à expulser les membres de l’“Escouade” qui ont voté pour la mesure du Congrès qui vise à imposer le contrat ferroviaire», reconnaît la déclaration. «Bien que nous n’approuvions pas leur stratégie qui consiste à échanger le soutien à l’entente qui révoque le droit de grève des travailleurs du rail contre un vote sur les congés de maladie, nous pensons que diriger l’énergie d’organisation des DSA en ce moment uniquement vers l’attaque d’élus étroitement alliés est à la fois une distraction et contre-productif par rapport aux tâches urgentes à accomplir».

«Si, en tant que socialistes, nous pouvons – et devons – critiquer les choix stratégiques des syndicats, nous devons le faire dans l’esprit de faire avancer la lutte, et non de remettre en question les actions passées», conclut la déclaration. En d’autres termes, les travailleurs ne devraient rien apprendre des trahisons du «passé» – dans ce cas, la semaine dernière – mais seulement «aller de l’avant»… vers la prochaine trahison.

Pour les DSA, l’«ennemi de classe» ne comprend pas leurs propres membres du Congrès qui votent pour priver les travailleurs de leur droit de grève. Il inclut, cependant, les travailleurs de la base qui luttent contre cette mesure dictatoriale.

Une déclaration du Comité de base des cheminots (RWRFC) qui qualifie les actions du Congrès de «totalement illégitimes» a été largement partagée sur Twitter ce week-end, où sa déclaration selon laquelle «les travailleurs du rail se réservent le droit de s’organiser et de préparer une action collective» a reçu une réponse particulièrement enthousiaste.

La large diffusion de la déclaration a provoqué un déluge de tweets de colère de la part de membres des DSA, y compris de hauts dirigeants des DSA, qui demandent aux gens de cesser de la partager et de calomnier le RWRFC pour son association avec le World Socialist Web Site, où la déclaration a été publiée. L’activité du RWRFC parmi les cheminots comprend des réunions publiques auxquelles participent des centaines de cheminots et une série de piquets d’information à l’échelle nationale qui ont été amplement documentées.

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David Duhalde, ancien directeur adjoint des DSA, a écrit: «N’est-ce pas une façade du WSWS?» Un autre a écrit: «Est-ce une déclaration officielle du syndicat? Non. Est-ce au moins le fait de véritables cheminots? Pas sûr». Un troisième a dit: «Quand vous lisez une publication trotskiste comme celle-ci, soyez attentifs aux nuances. Ce n’est pas, comme vous l’avez écrit, le syndicat qui a fait quelque chose, c’est un comité de “base” qui implique même des travailleurs d’autres industries». En d’autres termes, les travailleurs ne sont pas autorisés à parler en leur nom. Seuls les bureaucrates syndicaux qui ont joué un rôle central dans l’élaboration du contrat de capitulation sont autorisés à parler en leur nom.

En règle générale, chaque fois que les DSA entrent dans une crise politique grave, ses dirigeants répondent par des attaques furieuses contre le World Socialist Web Site. L’année dernière, des dizaines de membres dirigeants des DSA ont répondu au reportage du WSWS sur la dénonciation par Ocasio-Cortez des critiques de Biden en partageant des mèmes faisant référence à l’assassinat de Léon Trotsky par un agent stalinien. Il s’agissait d’une menace implicite de violence que les DSA eux-mêmes ont refusé de condamner. Ils sont furieux que des milliers de cheminots lisent le WSWS, qu’ils respectent comme le seul organe d’information à écrire systématiquement du côté des cheminots et à faire la lumière sur les machinations du gouvernement et de la bureaucratie syndicale détestée.

Au lieu du Comité de base des cheminots, les DSA font la promotion du Railroad Workers United (RWU) avec lequel les DSA et Labor Notes entretiennent des liens étroits. Sa direction se compose principalement de responsables syndicaux de bas niveau, et au lieu de faire campagne pour mobiliser les travailleurs afin qu’ils luttent contre la bureaucratie, il s’agit d’un caucus de réforme syndicale qui prétend que la bureaucratie peut être réformée de l’intérieur en présentant des candidats d’opposition.

Le magazine Jacobin, qui fait office d’organe interne des DSA, a publié vendredi dernier une interview réalisée par Jonah Furman, rédacteur de Labor Notes, avec Ross Grooters, membre éminent du RWU, dans laquelle Grooters défendait le rôle des DSA au Congrès. «Le cheminot moyen ne fait pas attention à cela… la loi sur les sept jours de maladie payés est probablement ce à quoi on prête le plus attention». Grooters a affirmé avec cynisme: «C’est une victoire. Cela a nécessité beaucoup de travail de la part des mêmes progressistes qui sont sous le feu des critiques – des gens comme Jamaal Bowman, qui se sont vraiment levés et ont défendu l’inclusion de l’arrêt maladie payé. Je pense qu’on doit les féliciter pour cette action».

L’hostilité des DSA à l’égard de l’opposition de la base est motivée par des intérêts de classe évidents. Les DSA eux-mêmes sont un groupe d’intérêt majeur, non seulement du Parti démocrate, mais aussi de la bureaucratie syndicale elle-même. Ils contrôlent ou ils apportent un soutien crucial à la direction de nombreux syndicats importants. Ils soutiennent l’appareil syndical non pas en dépit de son rôle de police de la classe ouvrière, mais à cause de celui-ci.

Cette expérience est une démonstration pratique des politiques des DSA et du reste de la pseudogauche. Leurs politiques expriment les perspectives d’une section privilégiée de la classe moyenne qui se consacre à une lutte pour les privilèges et les positions. Ils ne sont pas socialistes, mais une branche du Parti démocrate qui utilise un langage à consonance de gauche pour fournir au parti une couverture politique alors même qu’il évolue davantage vers la droite.

(Article paru en anglais le 6 décembre 2022)

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