La flambée de la mortalité maternelle révèle l'état déplorable des soins de santé pour les femmes en Amérique

De nouvelles données internationales montrent que le taux de mortalité maternelle (TMM) aux États-Unis continue de dépasser de loin celui d'autres pays à haut revenu. Ce scandale national de la santé maternelle révèle, peut-être plus que tout autre indice de la santé de la population américaine, l'état épouvantable d’un système de santé américain soumis au profit privé.

Un médecin utilise une sonde Doppler portative sur une femme enceinte pour mesurer le rythme cardiaque du fœtus le 17 décembre 2021 [AP Photo/Rogelio V. Solis, File] [AP Photo/Rogelio V. Solis, File]

Les données de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et des Centres de contrôle et prévention des maladies (CDC) des États-Unis – analysées par le Fonds du Commonwealth – montrent tant une aggravation ces dernières années du taux de mortalité maternelle dans le monde qu’un élargissement de l’écart entre les États-Unis et les autres grands pays industrialisés.

La mortalité maternelle est définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme le décès d'une femme durant la grossesse ou dans les 42 jours suivant l'accouchement. En 2020, la dernière année de données disponibles auprès des CDC, le taux de mortalité maternelle aux États-Unis était de 23,8 décès pour 100 000 naissances vivantes. Aux Pays-Bas en revanche, ce chiffre n'était que de 1,2.

Pour les femmes noires aux États-Unis, la mortalité maternelle en 2020 était encore plus effroyable: 55,3 décès pour 100 000 naissances vivantes, révélant de graves disparités raciales dans les soins de santé maternelle aux États-Unis. Pour les femmes blanches, le taux était de 19,1, tandis que pour les femmes hispaniques, il s'élevait à 18,2, des chiffres toujours plus du double de ceux du Canada, le voisin du nord.

Les femmes amérindiennes et autochtones de l'Alaska sont plus de deux fois plus susceptibles d’être victime d’un décès maternel que les femmes blanches.

Les données pour tous les pays sauf États-Unis tirées des Statistiques de santé 2022 de l'OCDE. Données pour les États-Unis de Donna L. Hoyert, Taux de mortalité aux États-Unis, 2020 (National Center for Health Statistics, février 2022). Source: Munira Z. Gunja, Evan D. Gumas et Reginald D. Williams II, « La crise de la mortalité maternelle aux États-Unis continue de s'aggraver: une comparaison internationale», To the Point (blog), Fonds du Commonwealth, 1er décembre 2022. https://doi.org/10.26099/8vem-fc65 [Photo : Fonds du Commonwealth] [Photo: Commonwealth Fund]

La mortalité maternelle aux États-Unis est en hausse depuis 2000 et a grimpé en flèche ces dernières années. Le taux de mortalité maternelle a augmenté dans six des neuf pays étudiés avec des chiffres disponibles à partir de 2020: Canada, Allemagne, Corée, Norvège, Suède et États-Unis. La mortalité maternelle a baissé en 2020 en Australie, au Japon et aux Pays-Bas. (Les chiffres datent de 2015 en France, 2017 au Royaume-Uni, 2018 en Nouvelle-Zélande et 2019 pour la Suisse.)

Dans le classement mondial, les États-Unis ne se situent qu'au 55e rang pour le taux de mortalité maternelle, juste derrière la Russie et devant l'Ukraine, selon l'OMS.

En décembre 2020, le département américain de la Santé et des Services sociaux a déclaré que les décès maternels étaient une crise de santé publique. En octobre 2022, les CDC ont publié de nouvelles données recueillies entre 2017 et 2019 qui montraient une augmentation de 27 pour cent depuis le rapport précédent de l'agence couvrant les années 2008 à 2017.

Parmi les décès en 2020, 22 pour cent sont survenus pendant la grossesse, 13 pour cent pendant l'accouchement et 65 pour cent dans l'année suivant l'accouchement. (Cette période d'un an diffère des 42 jours après l'accouchement utilisés par l'OMS.)

Les données des CDC montrent une augmentation constante des décès maternels de 2018 à 2021 : 658 décès en 2018, 754 décès en 2019, 861 décès en 2020 et 1 178 décès en 2021. Les données pour 2021 sont provisoires.

Le CDC a conclu que 84 pour cent des décès liés à la grossesse étaient évitables.

Dans le dernier rapport de l'agence, les problèmes de santé mentale sont cités comme la cause la plus fréquente de décès liés à la grossesse, et environ 23 pour cent des décès sont attribués au suicide, aux troubles liés à l'utilisation de substances ou à d'autres problèmes de santé mentale. Presque tous les décès liés à des surdoses de drogue pendant la grossesse et la période post-partum impliquaient des opioïdes.

Une femme qui recherche des soins pour toxicomanie pendant sa grossesse aux États-Unis risque des sanctions pénales ou civiles, comme l'emprisonnement et la perspective de voir son enfant enlevé par les Services de protection de l'enfance. Actuellement, 24 États considèrent la consommation de substances pendant la grossesse comme une maltraitance des enfants, tandis que les prestataires de soins de santé de 25 États sont tenus de signaler aux autorités toute suspicion de consommation prénatale de drogues.

Rachel Diamond, directrice de la formation clinique et professeure adjointe à l'Université Adler, écrit dans The Conversation: « La recherche a depuis longtemps montré qu'une femme sur cinq souffre de problèmes de santé mentale pendant la grossesse et la période post-partum, et que c'est aussi une période de risque accru de suicide. Pourtant, la maladie mentale, à savoir la dépression, est la complication obstétricale la plus sous-diagnostiquée en Amérique. » Diamond dit que le suicide maternel a triplé au cours de la dernière décennie.

Après la santé mentale, les deux principales causes de décès maternels sont les hémorragies et les maladies cardiaques, qui représentent respectivement environ 14 et 13 pour cent.

Les chiffres de 2020 analysés par le Commonwealth Fund datent de la première année de la pandémie. Une analyse des données des CDC par le Government Accountability Office (GAO) des États-Unis [l’équivalent de la Cour des comptes] montre que le COVID-19 a contribué à un quart de tous les décès maternels en 2020 et 2021.

Les données provisoires des CDC de 2021 montrent que sur 1178 décès maternels signalés, 401, soit plus d'un tiers, étaient liés au COVID. On peut s'attendre à ce que la tendance générale à la hausse de la mortalité maternelle se poursuive alors que le COVID-19 continue de se propager dans le monde.

Une lettre de recherche ouverte du réseau JAMA publiée en juin a révélé une augmentation de 18,4 pour cent de la mortalité maternelle entre 2019 et 2020. Les CDC rapportent 658 décès en 2018, 754 en 2019 et 861 en 2020. Cela, dans des conditions où le nombre de naissances vivantes est tombé de 3 791 712 en 2018 à 3 613 647 en 2020.

Aux Pays-Bas, qui ont le TMM le plus bas des 14 pays étudiés, il y a eu une augmentation des naissances à domicile et des accouchements vaginaux et une diminution des césariennes (tant planifiées que d'urgence), semblant indiquer que ces types d'accouchements étaient plus sûrs pour les femmes durant la pandémie.

Les États-Unis sont le seul pays inclus dans l'analyse du Fonds du Commonwealth qui ne fournit pas de soins de santé universels, laissant près de 8 millions de femmes en âge de procréer sans couverture médicale. Bien que la loi de l’Affordable Care Act [ACA, Soins abordables] ait étendu Medicaid, l’assurance maladie pour les pauvres, des centaines de milliers de femmes vivent dans onze États n'ayant pas étendu Medicaid dans le cadre de l'ACA.

Alors que Medicaid couvre environ quatre naissances sur dix, les prestations de ce programme ne couvrent les soins que jusqu'à 60 jours après l'accouchement. Environ 40 pour cent seulement des nouvelles mères assistent à leurs visites post-partum. Un rapport de [l’association caritative] March of Dimes plus tôt cette année a révélé qu'une femme amérindienne sur quatre et une femme noire sur cinq n'avaient pas reçu de soins prénatals adéquats en 2020. Le taux pour les femmes blanches était d'une sur 10.

March of Dimes a trouvé que près de 7 millions de femmes en âge de procréer et 500 000 bébés vivaient dans des comtés qualifiés de « déserts de soins de maternité » (article en anglais), c'est-à-dire sans hôpitaux obstétriques ou maisons de naissance et sans prestataires d'obstétrique. Plus de 2,8 millions de femmes en âge de procréer et près de 160 000 bébés souffrent d’un accès réduit aux soins de maternité.

Suite à la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Dobbs c. Jackson Women's Health, au moins 15 États ont désormais interdit entièrement ou quasi-entièrement l'avortement. Une lettre de recherche de décembre 2021 publiée par Duke University Press prévoyait qu'une interdiction totale de tous les avortements souhaités aux États-Unis entraînerait une augmentation de 7 pour cent des décès liés à la grossesse la première année et une augmentation de 21 pour cent les années suivantes. Pour les femmes noires, ces années suivantes d'interdiction totale de l'avortement entraîneraient une augmentation de 33 pour cent des décès maternels, selon ces projections.

Selon les Centers for Medicare & Medicaid Services, les dépenses de santé aux États-Unis ont atteint 4300 milliards de dollars en 2021. Les services hospitaliers représentaient plus de 31 pour cent, soit 1300 milliards de dollars, des dépenses de santé en 2021.

Les chaînes de soins de santé géantes privées, l'industrie pharmaceutique et les compagnies d'assurance dominent les services de soins de santé aux États-Unis. La prestation des soins médicaux n'est pas organisée pour répondre aux besoins de la population mais pour remplir les poches des PDG des hôpitaux et des actionnaires des sociétés liées à la santé.

Les politiciens des deux grands partis d'affaires qui ont permis que bien plus d'un million de personnes, selon le décompte officiel, meurent jusqu'à présent de la pandémie de COVID-19 sont aussi coupables d'avoir permis l'état déplorable actuel des soins de santé des femmes et leur aggravation.

Les médecins, les soignants et les autres travailleurs de la santé ayant choisi un travail dédié aux soins et au traitement des femmes enceintes sont paralysés dans leurs efforts par le contrôle privé exercé par l'industrie des soins de santé, qui entraîne fermetures d'hôpitaux et suppressions d'emplois et de services.

La grossesse et l'accouchement doivent être des moments joyeux et épanouissants pour les femmes et leurs familles. Mais selon la propre estimation des CDC, 990 des 1 178 décès maternels de 2021 étaient évitables. Des millions de femmes enceintes se voient refuser des soins prénatals et post-partum en raison de la pauvreté et du manque de services dans les régions où elles vivent. Seul le combat pour une véritable médecine socialisée peut commencer à s'attaquer à cette tragédie.

(Article paru en anglais le 7 décembre 2022)

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